Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 28 janvier 2020, et un mémoire en réplique, enregistré le 17 septembre 2020, la société Prada Retail France, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1802791/3-1 du 10 décembre 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 22 décembre 2017 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la consommation, de la concurrence, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a confirmé la décision du 26 octobre 2017 du directeur général de la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France lui enjoignant de prendre les mesures appropriées pour prévenir les risques de lésions graves aux pieds auxquels étaient exposés les salariés de son établissement situé 10, avenue Montaigne dans le 8ème arrondissement de Paris ;
3°) d'annuler l'injonction qui lui a été délivrée le 26 octobre 2017 par la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France sur le fondement des articles L. 422-4 et R. 522-5 du code de la sécurité sociale ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 600 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que c'est à tort que, par la décision contestée du 22 décembre 2017, la directrice régionale des entreprises, de la consommation, de la concurrence, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a confirmé l'injonction du 26 octobre 2017. En effet, les désordres subis par les salariés du fait du port de chaussures qui seraient inadaptés sont antérieurs à 2017, et il n'est pas établi que ces désordres se seraient poursuivis au cours du deuxième semestre de 2017. Par ailleurs, la société a mis en oeuvre un certain nombre de mesures (fourniture de plusieurs paires de chaussures de grande qualité, possibilité de porter des chaussures de sport pour des raisons médicales avérées) visant à remédier à ces désordres. En outre, le choix de chaussures proposé aux salariés a été élargi depuis le mois de mai 2018. Ces mesures d'amélioration du confort des chaussures ont conduit la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France à lever, par un courrier du 19 décembre 2018, l'injonction qu'elle avait prononcée le 26 octobre 2017. Enfin, le faible pourcentage de salariés ayant bénéficié de chaussure de confort ne pouvait justifier que soit prononcée une injonction sur le fondement des articles L. 422-4 et R. 422-5 du code de la sécurité sociale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 août 2020, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société Prada Retail France ne sont pas fondés.
Un mémoire en production de pièce, présenté par la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, a été enregistré le 3 septembre 2020.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 septembre 2020, la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société Prada Retail France ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 9 décembre 2010 relatif à l'attribution de ristournes sur la cotisation ou d'avances ou de subventions ou à l'imposition de cotisations supplémentaires en matière d'accidents du travail ou de maladies professionnelles ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. D'une part, aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ; 2° Des actions d'information et de formation ; 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes " ; aux termes de l'article L. 4121-2 du même code : " L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : 1° Eviter les risques ; (...) 3° Combattre les risques à la source ; 4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne (...) le choix des équipements de travail (...) ; 6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ".
2. D'autre part, aux termes de l'article L. 422-4 du code de la sécurité sociale, la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France " peut : 1°) inviter tout employeur à prendre toutes mesures justifiées de prévention, sauf recours de l'employeur à l'autorité compétente de l'Etat qui doit être saisie et doit se prononcer dans les délais qui sont fixés par voie réglementaire " ; aux termes de l'article R. 422-3 du même code : " L'autorité compétente pour l'exercice des pouvoirs prévus au 1° du premier alinéa de l'article L. 422-4 est le directeur régional du travail et de l'emploi ".
3. Enfin, aux termes de l'article 11 de l'arrêté susvisé du 9 décembre 2010 relatif à l'attribution de ristournes sur la cotisation ou d'avances ou de subventions ou à l'imposition de cotisations supplémentaires en matière d'accidents du travail ou de maladies professionnelles : " Les mesures de prévention visées à l'article L. 422-4 du code de la sécurité sociale et, dans les conditions fixées par arrêtés ministériels, à l'article L. 422-1 du code de la sécurité sociale relèvent de la procédure d'injonction. L'injonction est adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, après enquête sur place effectuée par un ingénieur-conseil ou un contrôleur de sécurité. Elle doit indiquer avec précision le risque exceptionnel concerné, les mesures à prendre par l'employeur, les possibilités techniques de réalisation, fixer le délai d'exécution et mentionner qu'à l'expiration de ce délai l'employeur est passible d'une cotisation supplémentaire en application des dispositions de l'article 8 ci-dessus ".
4. Par une décision du 26 octobre 2017, le directeur général de la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France a enjoint à la société Prada Retail France de prendre des mesures appropriées afin de prévenir les risques de lésions graves aux pieds auxquels étaient exposés des salariés de son établissement situé 10, avenue Montaigne dans le 8ème arrondissement de Paris. Ces mesures de prévention, détaillées dans une annexe, consistent à prendre toutes dispositions pour supprimer les risques liés au port de chaussures inadaptées, d'autoriser, à titre conservatoire, sans délai ni condition médicale, le port de chaussures personnelles et formaliser cette autorisation auprès de l'ensemble des salariés, d'impliquer les utilisateurs dans le choix de chaussures confortables, adaptées à la morphologie de chacun et à la situation de travail, de mettre ces chaussures à disposition des salariés au nombre de deux paires par salarié a minima et de renouveler régulièrement ces deux paires, a minima chaque année ou autant que de besoin en cas de problèmes constatés sur des paires de chaussures. Saisie d'un recours administratif formé par cette société, la directrice régionale des entreprises, de la consommation, de la concurrence, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a confirmé cette injonction par la décision litigieuse du 22 décembre 2017, qui s'est substituée à la décision du directeur général de la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France.
5. D'une part, il ressort des pièces du dossier que, lors de visites effectuées en 2016 dans la boutique Prada au 10, avenue Montaigne à Paris, les agents du service de prévention de la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France ont constaté que les pieds des salariés, astreints au port de chaussures d'uniforme fournies par leur employeur, étaient détrempés après le retrait de leurs chaussures, que la peau de leurs pieds avait un aspect flétri et, pour certains, présentait des lésions, des hématomes, des ulcérations et des mycoses, que des moisissures étaient présentes sur plusieurs paires de chaussures, le lien entre les lésions constatées et les chaussures fournies par l'employeur étant établi par les médecins du travail ainsi que par d'autres certificats médicaux. Aucune amélioration n'a été relevée lors de la visite de l'agent du service de prévention dans la boutique le 18 septembre 2017, dont le rapport de visite a été produit en appel. Par suite, la société Prada Retail France n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée serait entachée d'une erreur de fait en ce qu'il n'était pas établi que les problèmes causés par le port de chaussures d'uniforme se seraient poursuivis au cours du deuxième semestre de 2017 et étaient encore existants à la date de la décision litigieuse.
6. D'autre part, si la société Prada Retail France fait valoir qu'à la suite notamment des plaintes qui avaient été présentées lors des réunions du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail du 22 mars 2016, 13 décembre 2016 et 26 juillet 2017 relatives aux nombreux désagréments subis par les salariés exerçant une fonction de vente du fait du port des chaussures d'uniforme, elle avait diligenté une enquête technique interne auprès de la division chaussures hommes de la société et avait mis en oeuvre un certain nombre de mesures préventives (à chaque saison, deux fois par an, la remise de deux paires de souliers à chaque salarié travaillant en boutique, soit, pour les femmes, une paire à talon de cinq centimètres et une paire confort style derby, ou bien, sur production d'un certificat médical, pour les salariées ne pouvant porter le modèle à talon, deux paires confort style derby, et, pour les hommes, deux paires à lacets à semelle en cuir, ou bien, sur production d'un certificat médical, pour les salariés ne pouvant porter le modèle à semelle cuir, deux paires confort à lacets avec semelle en gomme, l'ensemble de ces souliers, de grande qualité, étant confectionné en cuir, et enfin, pour les salariés ayant un problème d'ordre médical empêchant le port des chaussures dites de confort et en justifiant par la production d'un certificat médical, une paire de type chaussures de sport), la procédure ayant été ultérieurement simplifiée en autorisant les directeurs de magasin à solliciter directement auprès des services opérationnels la fourniture de chaussures de confort ou de sport, elle n'établit ni le caractère général de ces mesures au bénéfice de l'ensemble des salariés exerçant des fonctions de vente, ni leur date de mise en oeuvre. Les seules circonstances que le nombre de chaussures de sport mises à disposition des salariés soit passé de 8 en 2016 à 24 en 2017 et que sept salariés de la société souffrant de problèmes médicaux ou anatomiques aux pieds aient attesté, au début de novembre 2017, être très satisfaits des chaussures qui leur avaient été remises ne sauraient établir le caractère général et effectif des mesures alléguées d'assouplissement du port des chaussures d'uniforme à la date de la décision contestée. Enfin, la société Prada Retail France ne peut utilement se prévaloir ni du courrier électronique que son directeur des ressources humaines a adressé à l'ensemble du personnel le 17 mai 2018 fixant la nouvelle procédure pour l'attribution des chaussures d'uniforme (set " normal " : 2 paires de chaussure classique ; set " confort " : 2 paires de chaussure de confort ; set " médical " : 2 paires de chaussure de type sneakers, un certificat médical n'étant plus exigé pour l'attribution de chaussure de confort ou de chaussure de type sneakers), ce courrier électronique, qui formalisait et généralisait les mesures faisant l'objet de la décision portant injonction litigieuse, étant postérieur à cette décision, ni de la circonstance, également postérieure à cette décision, qu'à la suite de la visite sur site du 19 novembre 2018 au cours de laquelle il a été constaté une amélioration du confort des chaussures de travail des quatorze salariés présents, le directeur général de la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France a, par une décision du 19 décembre 2018, levé l'injonction prise à l'encontre de la société Prada Retail France par la décision querellée.
7. En outre, la société Prada Retail France n'est pas fondée à soutenir que le faible pourcentage de salariés ayant bénéficié de chaussures de confort ne pouvait justifier que soit prononcée une injonction sur le fondement des articles précitées L. 422-4 et R. 422-5 du code de la sécurité sociale dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que le problème des désagréments multiples provoqués par le port des chaussures d'uniforme était récurrent depuis deux ans au moins à la date de la décision contestée et qu'il n'avait pas été trouvé de solution satisfaisante, ainsi que cela ressort du constat de l'agent du service de prévention de la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France lors de sa visite de la boutique de l'avenue Montaigne le 18 septembre 2017, avant les mesures prises par la société, mentionnées au point précédent, qui ont conduit à la levée de l'injonction.
8. Enfin, la circonstance, à la supposer établie, qu'aucun salarié de la société Prada Retail France n'aurait présenté de demande de reconnaissance de maladie professionnelle en raison de lésions aux pieds et qu'aucun ne justifierait de lésions graves aux pieds en dehors d'un inconfort et des conséquences liées à la station debout et au piétinement dans un espace de vente est sans incidence sur la légalité de la décision litigieuse.
9. Il s'ensuit que, comme l'ont à bon droit relevé les premiers juges, la directrice régionale des entreprises, de la consommation, de la concurrence, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France n'a pas fait une inexacte application des dispositions précédemment rappelées de l'article L. 422-4 du code de la sécurité sociale en rejetant le recours de la société requérante dirigé contre l'injonction, en date du 26 octobre 2017, de prendre les mesures de prévention appropriées pour éviter le risque de lésion aux pieds des salariés de l'établissement sis 10, avenue Montaigne à Paris 8ème.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Prada Retail France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 10 décembre 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 22 décembre 2017 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la consommation, de la concurrence, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a confirmé la décision du 26 octobre 2017 du directeur général de la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France lui enjoignant de prendre les mesures appropriées pour prévenir les risques de lésions graves aux pieds auxquels étaient exposés les salariés de son établissement sis 10, avenue Montaigne à Paris (8ème arrondissement). Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées de même que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Prada Retail France est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Prada Retail France, à la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France et à la ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, président de chambre,
- M. B..., président assesseur,
- Mme Larsonnier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 octobre 2020.
Le rapporteur,
I. B...Le président,
H. VINOT
Le greffier,
C. POVSELa République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA00295