Procédure devant la Cour :
I. Par une requête sommaire et un mémoire, enregistrés sous le n° 19PA01993, les 19 juin et 20 septembre 2019, la CPAM de l'Essonne, représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n°1711849/6-3 du 18 avril 2019 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande indemnitaire ;
2°) de condamner l'AP-HP, sur le fondement de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et dans la limite de la part de responsabilité mise à sa charge, à lui verser une somme de 245 515,43 euros au titre des frais de santé actuels, de 3 250,40 euros correspondant aux dépenses de santé futures supportées du 1er mai 2015 au 1er mai 2020, une somme de 30 096,23 euros au titre des frais de santés futurs viagers ou, subsidiairement, une rente annuelle équivalente et une somme de 13 944,40 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels (indemnités journalières versées du 10 novembre 2013 au 30 avril 2015, avec intérêts de droit et capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé dès lors que les premiers juges n'ont pas répondu à l'ensemble de ses moyens par lesquels elle soutenait que les fautes commises par l'AP-HP avaient fait perdre à M. A... une chance sérieuse de retrouver un emploi ;
- elle s'en remet à l'appréciation du juge d'appel s'agissant de la détermination de la part de responsabilité de l'AP-HP qui ne saurait être inférieure à 25 % ;
- elle sollicite la confirmation du jugement qui a constaté la réalité des dépenses de santé actuelles pour un montant de 245 515,43 euros, des dépenses de santé futures occasionnelles supportées du 1er mai 2015 au 1er mai 2020 et correspondant à 4 consultations annuelles sur 5 ans ainsi qu'à des frais pharmaceutiques pour un montant de 3 250,40 euros, des dépenses de santé futures viagères pour un montant de 1 234,16 euros par an et des indemnités journalières du 10 novembre 2013 au 30 avril 2015 pour un montant de 13 944, 40 euros et a condamné l'AP-HP à l'indemniser de l'ensemble de ses débours dans la limite de la part de responsabilité mise à sa charge ;
- s'agissant des dépenses de santé futures viagères, elle sollicite de l'AP-HP, dans la limite de la part de responsabilité mise à sa charge, le versement d'un capital évalué, compte tenu de l'âge de M. A... et de l'euro de rente fixé à 24,386, à 30 096,23 euros ;
- s'agissant des indemnités journalières versées à M. A... du 10 novembre 2013 au
30 avril 2015, date de la consolidation, elle ne conteste pas l'appréciation des premiers juges selon laquelle la demande de remboursement ne peut s'imputer que sur le poste de préjudice correspondant à la perte de gains professionnels ; en revanche le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation en écartant tout droit à réparation de ces indemnités au titre de la perte de gains professionnels au motif qu'elle n'établit pas que M. A... qui était sans emploi à la date du fait générateur du dommage et qu'il aurait, avant la consolidation de son état de santé, perdu une chance sérieuse de retrouver un emploi du fait de la faute commise par l'AP-HP ; si M. A... était effectivement au chômage depuis environ un an à la date du fait générateur du dommage, il était inscrit à pôle emploi ce qui démontre la recherche active d'emploi et par ailleurs du 7 novembre 2013 jusqu'au 30 avril 2015 il était hospitalisé et / ou soumis au régime des indemnités journalières traduisant une situation d'arrêt maladie et était ainsi médicalement dans l'incapacité de pouvoir reprendre le moindre emploi.
Par un mémoire en appel incident, enregistré le 5 mars 2020, l'AP-HP, représentée par Me E..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête d'appel de la CPAM de l'Essonne ;
2°) à titre principal, d'annuler le jugement n°1711849/6-3 du 18 avril 2019 du tribunal administratif de Paris et les demandes de la CRAMIF ;
3°) à titre subsidiaire, d'infirmer ce jugement et de ramener à de plus justes proportions la somme allouée à la CRAMIF et de rejeter la requête d'appel de la CRAMIF ;
4°) de rejeter la requête d'appel de la CRAMIF ;
5°) à titre infiniment subsidiaire, de ramener le montant des demandes à de plus justes proportions.
Elle soutient que :
- s'agissant des demandes de la CPAM de l'Essonne concernant le remboursement des indemnités journalières versées à M. A... du 10 novembre 2013 au 30 avril 2015, le jugement ne pourra qu'être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande dès lors qu'il n'est pas établi qu'il disposait d'une chance sérieuse de retrouver un emploi comparable à son ancien emploi dès lors que l'inscription à pôle emploi de ce dernier ne préjuge pas du caractère sérieux d'une chance de retrouver un emploi et qu'il n'a pas été en mesure de retrouver un emploi antérieurement au fait générateur du dommage alors qu'il était au chômage depuis un an et qu'à supposer même qu'il disposait d'une chance sérieuse de retrouver un emploi comparable, ce n'est pas la faute de l'AP-HP qui l'a privé de cette chance mais l'infection qu'il a présentée et ses conséquences irréductibles dès lors que la fasciite nécrosante est une affection particulièrement grave, difficile à diagnostiquer et conduisant, même avec une prise en charge irréprochable, à de graves séquelles physiques ;
- s'agissant des demandes de la CRAMIF, le jugement attaqué doit être annulé et les demandes rejetées dès lors que les circonstances qu'elle ait alloué à M. A... une pension d'invalidité de 2ème catégorie, que la formation d'animateur social ne lui ait pas permis de trouver un emploi, qu'il soit au chômage 4 ans après la consolidation et que la situation économique soit peu propice à l'emploi ne permettent pas d'établir que l'intéressé se trouverait " absolument incapable d'exercer une profession quelconque " et à supposer même que cela soit le cas, cette incapacité absolue d'exercer toute profession doit être imputée à sa pathologie initiale et non au fait générateur de responsabilité ; dès lors qu'il n'est pas établi que M. A... aurait subi des pertes de gains professionnels futurs, c'est à bon droit que les premiers juges ont seulement reconnu l'existence d'une incidence professionnelle mais dont la somme allouée doit être ramenée à de plus justes proportions.
La procédure a été communiquée à M. A... qui n'a pas produit d'observations.
II. Par une requête sommaire et un mémoire, enregistrés sous le n°19PA01994, les 19 juin et 20 septembre 2019, la CPAM de l'Essonne agissant pour le compte de la CRAMIF, représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n°1711849/6-3 du 18 avril 2019 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à la demande indemnitaire de la CRAMIF ;
2°) de condamner l'AP-HP, sur le fondement de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et dans la limite de la part de responsabilité mise à sa charge, à verser à la CRAMIF une somme de 183 632,12 euros correspondant aux arrérages de pension d'invalidité versés à
M. A... du 1er mai 2015 au 31 juillet 2018 compte tenu de la faute dont il a été victime et des arrérages à échoir à compter du 1er août 2018 jusqu'à la date de la substitution d'une pension de retraite, avec intérêts de droit et capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé dès lors que les premiers juges n'ont pas répondu à l'ensemble de ses moyens par lesquels elle soutenait que les fautes commises par l'AP-HP avaient fait perdre à M. A... une chance sérieuse de retrouver un emploi de sorte que la CRAMIF avait aussi droit à un remboursement des arrérages de pension d'invalidité versés à son assuré au titre d'une perte de revenus professionnels ;
- elle s'en remet à l'appréciation du juge d'appel s'agissant de la détermination de la part de responsabilité de l'AP-HP qui ne saurait être inférieure à 25 % ;
- elle sollicite la confirmation de l'appréciation des premiers juges qui ont considéré que la demande de remboursement de la pension d'invalidité versée par la CRAMIF à M. A... postérieurement à la date de la consolidation soit le 30 avril 2015 ne peut s'imputer que sur les deux postes de préjudices correspondant à la perte de gains professionnels et à l'incidence professionnelle de l'incapacité permanente fixée à 60 %, que l'AP-HP doit indemniser en fonction de sa part de responsabilité et l'évaluation de cette incidence professionnelle de l'incapacité permanente à 100 000 euros ;
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit dès lors que c'est à tort que les premiers juges ont considéré qu'aucune perte de gains professionnels postérieure à la date de consolidation ne pouvait donner lieu à indemnisation dès lors que M. A... n'était pas inapte à tout emploi alors qu'il n'est pas nécessaire que la victime d'une faute médicale soit inapte à tout emploi pour qu'une indemnisation au titre de la perte de revenus professionnels soit due, il suffit que la victime soit devenue inapte à exercer un emploi comparable à celui qu'elle exerçait auparavant ce qui est bien le cas de M. A...; en réalité M. A... est inapte à tout emploi et ce depuis la date de consolidation fixée au 30 avril 2015 ; la période de chômage subi par M. A... avant l'intervention du fait générateur du dommage ne fait pas obstacle à la réparation des pertes de revenus résultant dudit dommage dès lors qu'avant sa survenue il avait a priori des chances sérieuses de retrouver un emploi comparable à celui qu'il détenait auparavant ;
- la demande de remboursement de la pension d'invalidité versée par la CRAMIF à
M. A... , postérieurement à la date de la consolidation fixée au 30 avril 2015, doit s'imputer, non seulement sur le poste de préjudice de l'incidence professionnelle mais également et prioritairement sur celui de la perte de gains professionnels contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges.
Par un mémoire en appel incident, enregistré le 5 mars 2020, l'AP-HP, représentée par
Me E..., conclut aux mêmes fins et pour les mêmes motifs que ceux exposés sous le numéro 19PA01993.
La procédure a été communiquée à M. A... qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., avocat de la CPAM de l'Essonne et de la CPAM de l'Essonne agissant pour le compte de la CRAMIF.
Considérant ce qui suit :
1. Le 3 novembre 2013, M. A... , né le 31 décembre 1969, s'est présenté aux urgences du centre hospitalier de Juvisy-sur-Orge en raison d'une thrombose hémorroïdaire pour laquelle il est effectué une incision sous anesthésie locale. Dès le lendemain, il a souffert d'une sensation de lourdeur au bras droit et devant la persistance des symptômes, il s'est présenté aux urgences de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière le 6 novembre 2013. L'échographie réalisée ayant permis d'écarter le diagnostic de thrombose veineuse profonde, il a été renvoyé à son domicile avec une prescription d'antalgique. Toutefois, le lendemain, l'aggravation de son état a conduit M. A... à se rendre au centre hospitalier de Juvisy-sur-Orge lequel l'a transféré au centre hospitalier de Longjumeau pour une prise en charge chirurgicale. Arrivé en état de choc septique dans ce dernier établissement, il a été opéré une première fois le 8 novembre 2013. L'intervention a consisté en une ouverture de l'aponévrose et des fascias jusqu'à l'excision des tissus voués à la nécrose. La virulence de la septicémie qui l'affectait a conduit à la réalisation d'une amputation de l'avant-bras droit en fin de journée. La prise d'antibiotiques n'a pas empêché l'aggravation de son état de santé et les lésions ont continué de progresser vers l'épaule et le thorax si bien que M. A... a dû subir une excision cutanée du thorax avant d'être transféré à l'hôpital du Val-de-Grâce où le 5 décembre 2013, une nouvelle amputation du bras droit au-dessus du coude a été réalisée puis une greffe du bras droit le 19 décembre 2013. Le 21 octobre 2014, M. A... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) des accidents médicaux d'Ile-de-France d'une demande d'indemnisation. Deux rapports d'expertise ont été réalisés le 26 août 2015 par le docteur Bazeli, chirurgien orthopédiste et le 15 avril 2016 par le professeur Bernard, infectiologue et le docteur Foult, chirurgien orthopédiste. La CCI a, dans son avis du 7 juin 2016, suivi les conclusions des experts qui ont considéré que si le diagnostic de la fasciite nécrosante dont a souffert M. A... est difficile à poser et " souvent apporté avec retard ", plusieurs éléments permettaient néanmoins d'établir un diagnostic plus précoce et ceci dès le 6 novembre 2013, date à laquelle la victime s'est présentée aux urgences de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Elle a ensuite considéré comme les experts que ce retard de 24 heures est responsable de 25 % des séquelles de M. A... et est constitutive d'une faute engageant la responsabilité de l'AP-HP qui a entrainé une perte de chance d'éviter la progression de la fasciite nécrosante de 25 %, fraction des préjudices que l'AP-HP devra donc indemniser. Le 25 octobre 2016, la caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France (CRAMIF) a formé une demande indemnitaire auprès de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) qui l'a rejetée le 29 mai 2017. La CRAMIF a alors formé un recours contentieux devant le tribunal administratif de Paris tendant à ce que l'AP-HP soit condamnée à lui verser une somme de 183 632,12 euros correspondant aux arrérages de pension d'invalidité versés à M. A... du 1er mai 2015 au 31 juillet 2018 compte tenu de la faute dont il a été victime et des arrérages à échoir à compter du 1er août 2018 jusqu'à la date de la substitution d'une pension de retraite, avec intérêts de droit. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Essonne a, quant à elle, demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'AP-HP à lui verser la somme de 327 371,13 euros, en réparation de ses débours passés et futurs en lien avec la faute dont a été victime M. A... . Par un jugement n°1711849/6-3 du 18 avril 2019, le tribunal administratif de Paris a condamné l'AP-HP à verser, d'une part, à la CRAMIF la somme de 25 000 euros au titre de l'incidence professionnelle qu'elle a réparée en allouant à M. A... une pension d'invalidité à compter du 1er mai 2015 et, d'autre part, à la CPAM de l'Essonne la somme de 62 029 euros en remboursement de ses débours ainsi qu'une rente annuelle payable à terme échu dont le montant, fixé à la date du 18 avril 2019 à 308,50 euros, sera revalorisé par application du coefficient prévu à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale et a rejeté le surplus des conclusions des parties. Par les requêtes enregistrées sous les numéros 19PA01993 et 19PA01994, la CPAM de l'Essonne agissant, d'une part, en son nom propre et, d'autre part, pour le compte de la CRAMIF relèvent appel de ce jugement en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à leur demande indemnitaire. Par la voie de l'appel incident, l'AP-HP demande, à titre principal, l'annulation de ce jugement.
2. Les requêtes de la CPAM de l'Essonne agissant, d'une part, en son nom propre et, d'autre part, pour le compte de la CRAMIF sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la régularité du jugement :
3. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
4. Il ressort de l'examen du jugement attaqué que les premiers juges ont énoncé de façon suffisamment complète et précise, au point 10, les motifs pour lesquels ils ont estimé que la faute commise par l'AP-HP n'avait pas fait perdre à M. A... une chance sérieuse de retrouver un emploi avant la consolidation de son état de santé, sur lesquels ils se sont fondés également, au point 16 du jugement pour les motifs pour lesquels ils ont rejeté la demande de la CRAMIF de remboursement des arrérages de pension d'invalidité versés à son assuré au titre d'une perte de revenus professionnels. Ainsi le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments soulevés dans la requête, a suffisamment motivé son jugement. Le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué doit donc être écarté.
Sur la responsabilité de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris :
5. D'une part, dès lors que les parties ne contestent pas l'existence de la faute commise par l'AP-HP le 6 novembre 2013 ayant entrainé un retard de diagnostic qui a aggravé la progression et les séquelles de la maladie, le jugement de première instance ayant retenu que cette faute est de nature à engager la responsabilité de l'AP-HP doit être confirmé sur ce point par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 3 du jugement contesté.
6. D'autre part, la CPAM de l'Essonne agissant, d'une part, en son nom propre et, d'autre part, pour le compte de la CRAMIF se borne à s'en remettre à l'appréciation du juge d'appel s'agissant de la détermination de la part de responsabilité de l'AP-HP dans les préjudices subis qui ne saurait, selon elle, être inférieure à 25 % mais n'apporte aucun élément de nature à modifier ce taux. Dès lors il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 5 du jugement contesté, de maintenir ce taux de 25 %.
Sur la réparation des préjudices :
7. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre ou du livre Ier. / Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre et le livre Ier, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. / Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel. Conformément à l'article 1346-3 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; en ce cas, l'assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée. (...) ".
- En ce qui concerne la requête n° 19PA01993 :
8. En premier lieu, si par la voie de l'appel incident l'AP-HP demande l'annulation du jugement attaqué, elle ne conteste pas les sommes allouées par les premiers juges à la CPAM de l'Essonne au titre des dépenses de santé actuelles et futures pour la période du 1er mai 2015 au 1er mai 2020. Dès lors, le jugement attaqué doit être confirmé, comme le demande la CPAM de l'Essonne, en ce qu'il a constaté la réalité des dépenses de santé actuelles pour un montant de 245 515,43 euros, des dépenses de santé futures occasionnelles supportées du 1er mai 2015 au
1er mai 2020 et correspondant à quatre consultations annuelles sur 5 ans ainsi qu'à des frais pharmaceutiques pour un montant de 3 250,40 euros, des dépenses de santé futures viagères pour un montant de 1 234,16 euros par an et des indemnités journalières du 10 novembre 2013 au 30 avril 2015 pour un montant de 13 944, 40 euros, et a condamné l'AP-HP à l'indemniser de ses débours dans la limite de la part de responsabilité mise à sa charge.
9. En deuxième lieu, s'agissant des dépenses de santé futures après le 1er mai 2020, d'une part, la CPAM de l'Essonne demande, dans la limite de la part de responsabilité mise à la charge de l'AP-HP, le versement d'un capital évalué, compte tenu de l'âge de M. A... et de l'euro de rente fixée à 24,386, à 30 096,23 euros plutôt que le versement prononcé par les premiers juges de la rente annuelle payable à terme échu. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'AP-HP n'a pas donné son accord sur le versement d'un capital représentatif de ces frais futurs. Dès lors, le remboursement demandé par la CPAM de l'Essonne ne peut pas lui être accordé sous la forme du versement immédiat d'un capital représentatif des frais futurs correspondant aux arrérages de cette pension. D'autre part, si, par la voie de l'appel incident, l'AP-HP demande l'annulation du jugement attaqué, elle ne conteste pas les sommes allouées par les premiers juges à la CPAM de l'Essonne au titre de ladite rente.
10. En troisième lieu, s'agissant des indemnités journalières versées par la CPAM de l'Essonne à M. A... du 10 novembre 2013 au 30 avril 2015, date de la consolidation de son état de santé, la circonstance que la victime d'une faute médicale se trouvait à la date de la survenue du fait générateur à l'origine du dommage au chômage et ne justifie pas avoir retrouvé un emploi à cette date ne fait pas obstacle à son indemnisation pour le préjudice né de la perte de chance sérieuse de reprendre une activité rémunérée et d'en percevoir à l'avenir les revenus correspondants. Il résulte de l'instruction que M. A... a exercé l'activité de conducteur d'engins de chantier du
1er octobre 2010 au 5 octobre 2012 date de son licenciement pour motif économique et qu'il a ensuite été inscrit à Pôle emploi sans toutefois avoir retrouvé une activité professionnelle à la date du 6 novembre 2013, date de sa présentation aux urgences de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière. La circonstance que M. A... n'ait pas retrouvé à cette date un emploi quel qu'il soit n'est pas de nature, à elle seule, à écarter l'existence d'une perte de chance sérieuse de reprendre une activité rémunérée. Toutefois, il résulte de l'instruction et notamment des deux rapports d'expertise précités que la fasciite nécrosante dont a été victime M. A... est une pathologie qui entraîne un taux de mortalité de 30 % et un taux d'amputation de 50 à 60 % et que son diagnostic est difficile et que si la date de découverte détermine l'importance des séquelles, elles entraînent inévitablement, quelle que soit la rapidité du diagnostic, un taux d'invalidité de 15 %. En ce qui concerne le cas spécifique de M. A... , l'instruction fait apparaître que le retard de diagnostic fautif a entrainé une amputation du bras droit d'une ampleur très supérieure à ce qu'elle aurait été si elle avait été diagnostiquée à temps et que cette faute est responsable de 25 % du préjudice de M. A... mais que le retard de diagnostic de la pathologie dont souffrait la victime lui " a fait perdre (...) une chance, non d'éviter le dommage, mais d'en atténuer les conséquences ". Par suite, du 10 novembre 2013 au 30 avril 2015, la perte de chance sérieuse pour M. A... de reprendre une activité rémunérée doit être regardée comme étant due à la pathologie dont il a souffert et non au retard de diagnostic et des conséquences qui en ont résulté. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, la CPAM de l'Essonne n'est pas fondée à se plaindre que les premiers juges ont considéré que les indemnités journalières qu'elle a versées à M. A... n'ont pu réparer aucune perte de salaires liée à la faute due au retard de diagnostic de sa pathologie commise par l'AP-HP et n'ouvraient ainsi aucun droit à indemnisation de la caisse par subrogation dans les droits de la victime sur ce chef de préjudice. Le jugement attaqué ne peut donc qu'être confirmé sur ce point.
11. Il suit de là que la CPAM de l'Essonne agissant en son nom propre n'est pas fondée à demander la réformation du jugement n°1711849/6-3 du 18 avril 2019 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à ses demandes indemnitaires.
En ce qui concerne la requête n° 19PA01994 :
12. Aux termes de l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale : " L'assuré a droit à une pension d'invalidité lorsqu'il présente une invalidité réduisant dans des proportions déterminées, sa capacité de travail ou de gain, c'est-à-dire le mettant hors d'état de se procurer, dans une profession quelconque, un salaire supérieur à une fraction de la rémunération normale perçue dans la même région par des travailleurs de la même catégorie, dans la profession qu'il exerçait avant la date de l'interruption de travail suivie d'invalidité ou la date de la constatation médicale de l'invalidité si celle-ci résulte de l'usure prématurée de l'organisme ". Eu égard à la finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail qui lui est assignée par ces dispositions législatives et à son mode de calcul, en fonction du salaire, fixé par l'article R. 341-4 du code de la sécurité sociale, la pension d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de revenus professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité. Dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une pension d'invalidité ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice.
13. Pour se conformer aux règles rappelées ci-dessus, il convient de déterminer, en premier lieu, si l'incapacité permanente conservée par M. A... en raison des fautes imputables à
l'AP-HP a entraîné des pertes de revenus professionnels et une incidence professionnelle et, dans l'affirmative, d'évaluer ces postes de préjudice sans tenir compte, à ce stade, du fait qu'ils donnaient lieu au versement d'une pension d'invalidité. Pour déterminer ensuite dans quelle mesure ces préjudices étaient réparés par la pension, il y a lieu de regarder cette prestation comme réparant prioritairement les pertes de revenus professionnels et, par suite, comme ne réparant tout ou partie de l'incidence professionnelle que si la victime ne subissait pas de pertes de revenus ou si le montant de ces pertes était inférieur au capital représentatif de la pension.
14. En premier lieu, s'agissant de la réparation de la perte de revenus, d'une part, il résulte de l'instruction que l'ampleur de l'amputation du membre supérieur droit de ce dernier a fait obstacle à la pose d'une prothèse, qui serait trop lourde pour être supportée par le moignon du bras. Par suite, et contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, le retard de diagnostic fautif a contribué à la circonstance que M. A... n'a pas repris son activité de conducteur d'engins de chantier, dont il tirait des revenus stables jusqu'au 5 octobre 2012 date de son licenciement pour motif économique lui ayant ouvert le droit à des indemnités suite à son inscription à Pôle emploi, et n'a pas davantage repris ensuite une activité comparable. Dans ces conditions, le retard de diagnostic fautif doit être regardé comme ayant concouru, dans la proportion de 25 % fixée au point 6, à la perte de tout revenu professionnel de M. A... jusqu'à l'âge de la retraite.
15. D'autre part, en vertu de la jurisprudence résultant de la décision du Conseil d'Etat du
4 décembre 2009, n° 312326, le juge a le choix, pour assurer la réparation intégrale du préjudice correspondant aux pertes de revenus futurs, entre le remboursement des arrérages à échoir, au fur et à mesure de leur échéance, et, avec l'accord du centre hospitalier, le versement du capital représentatif des arrérages à échoir.
16. Il résulte de l'instruction que l'AP-HP n'a pas donné son accord sur le versement d'un capital représentatif de cette perte de revenus. Par suite, la CPAM de l'Essonne, agissant au nom de la CRAMIF, n'est pas fondée à demander la condamnation de l'AP-HP à verser à cette dernière un capital représentatif des arrérages à échoir du 1er août 2018 jusqu'à la date de substitution d'une pension de retraite servie par la CNAV. Il résulte toutefois de l'instruction que du 1er mai 2015, soit après la consolidation de l'état de santé de M. A..., jusqu'au 31 juillet 2018, date des derniers versements de la CRAMIF dont il est justifié, la CRAMIF a versé à M. A... une pension d'invalidité pour un montant total de 38 509,43 euros. Or, compte tenu des revenus de l'intéressé en 2011, dernière année complète correspondant à un salaire annuel net imposable de 16 450 euros, les revenus qu'il aurait dû percevoir entre le 1er mai 2015 et le 31 juillet 2018 peuvent être évalués à la somme de 52 091,54 euros.
17. Il suit de là que la pension d'invalidité versée par la CRAMIF doit être regardée comme ayant eu pour objet de réparer la perte de revenus subie par M. A..., sur la période du 1er mai 2015 au 31 juillet 2018, en conséquence de la faute commise par l'AP-HP, à concurrence de 13 582,11 euros.
18. En second lieu, s'agissant de l'incidence professionnelle, si l'AP-HP demande que la somme de 25 000 euros allouée par le tribunal soit ramenée à de plus justes proportions, elle n'apporte pas d'élément déterminant à l'appui de cette prétention. Toutefois, eu égard à la règle rappelée au point 12, la pension d'invalidité versée par la CRAMIF ne peut être regardée comme réparant tout ou partie de l'incidence professionnelle que dans la mesure où le montant des pertes de revenu a été inférieur à celui de la pension effectivement versée.
19. Il suit de là que la CPAM agissant au nom de la CRAMIF est seulement fondée à demander la condamnation de l'AP-HP à verser à la CRAMIF, en qualité de subrogée dans les droits de M. A..., la somme de 38 509,43 euros qu'elle lui a versée sur la période du 1er mai 2015 au
31 juillet 2018 au titre de la pension d'invalidité, ainsi que la réformation du jugement attaqué dans cette mesure.
Sur les frais exposés au titre de l'instance :
20. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'AP-HP, au profit de la CPAM de l'Essonne agissant au nom de la CRAMIF, la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête n°19PA01993 de la CPAM de l'Essonne est rejetée.
Article 2 : L'AP-HP est condamnée à verser à la CRAMIF, en qualité de subrogée dans les droits de M. A... , la somme de 38 509,43 euros au titre de la pension d'invalidité qu'elle lui a versée sur la période du 1er mai 2015 au 31 juillet 2018.
Article 3 : Le jugement n°1711849/6-3 du 18 avril 2019 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 du présent arrêt.
Article 4 : L'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris versera à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne agissant pour le compte de la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête n°19PA01994 est rejeté.
Article 6 : L'appel incident de l'AP-HP est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, à l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et à M. C... A....
Copie du présent arrêt sera adressée à la caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, président,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2020.
La présidente de la 8ème chambre,
H. VINOT
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°s 19PA01993, 19PA01994