Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 14 novembre 2018, la ministre du travail demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1706082 du 14 septembre 2018 du tribunal administratif de Melun ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B...-C... devant le tribunal administratif de Melun.
Elle soutient que le tribunal administratif a commis une erreur d'appréciation en annulant la décision de l'inspecteur du travail du 16 juin 2017 au motif que les faits reprochés au salarié n'apparaissaient pas comme étant d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement, alors que ces faits présentaient un caractère suffisamment grave.
Une mise en demeure a été adressée le 20 décembre 2018 à M. G...B...-C... en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Luben,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. G...B...C..., recruté le 1er avril 2000 en qualité de manutentionnaire-polisseur par la société Keraglass, spécialisée dans la fabrication de verres vitrocéramiques, exerçait en dernier lieu les fonctions de chef d'équipe finition verre clair et détenait, par ailleurs, un mandat de membre titulaire au comité d'entreprise. A compter du 24 avril 2017, M. B...-C... a été mis à pied à titre conservatoire par son employeur et convoqué à un entretien préalable prévu le 2 mai. Par une lettre du 10 mai 2017, reçue le 12 mai, la société Keraglass a demandé à l'inspection du travail l'autorisation de licencier M. B...-C... pour motif disciplinaire, notamment en raison des faits de violences commis par lui à l'encontre d'un autre salarié, devant plusieurs témoins. Par une décision du 16 juin 2017, l'inspectrice du travail, estimant les faits reprochés établis, a autorisé le licenciement de M. B...C.... Par le jugement attaqué du 14 septembre 2018 dont la ministre du travail relève appel, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision contestée du 16 juin 2017 de l'inspectrice du travail et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
3. Il ressort des pièces du dossier que, le 22 mars 2017, à la fin d'une grève des salariés de l'entreprise motivée par la négociation annuelle obligatoire des salaires, M. B...-C..., qui était chef d'équipe, a donné une tape dans le dos devant de nombreux témoins à l'un des membres de son équipe, qui lui a répondu verbalement, puis lui a fait une clé de bras autour du cou en le traînant sur plusieurs mètres et ne l'a relâché que sur l'intervention énergique d'un autre chef d'équipe. Le 27 mars 2017, M. B...-C..., à nouveau, a donné une bourrade dans le dos du même salarié, devant les membres de son équipe et, sur la protestation de ce dernier, lui a répondu sur un ton moqueur et vexatoire. Eu égard aux circonstances que M. B...-C... était le supérieur hiérarchique du salarié victime de ces agissements, que ce dernier les a ressentis comme une profonde humiliation, que de nombreux témoins ont assisté à la scène, et que M. B...-C... les a réitérés au terme de cinq jours seulement, les faits reprochés, dont la matérialité est établie, sont constitutifs d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de M. B... -C..., nonobstant la circonstance qu'il était un salarié jouissant d'une ancienneté de plus de seize ans dans l'entreprise et n'avait fait auparavant l'objet d'aucune sanction disciplinaire.
4. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Melun a estimé que la faute commise par M. B...-C... ne revêtait pas un degré de gravité suffisant pour justifier un licenciement à titre de première sanction pour annuler la décision de l'inspectrice du travail du 16 juin 2017 qui avait autorisé le licenciement de celui-ci.
5. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...-C... devant le tribunal administratif de Melun.
6. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 2421-3 du code du travail : " (...) La demande d'autorisation de licenciement est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement dans lequel le salarié est employé. (...) " ; aux termes de l'article R. 2421-10 du même code : " La demande d'autorisation de licenciement d'un délégué du personnel, d'un membre du comité d'entreprise ou d'un membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement qui l'emploie. (...) ". D'autre part, aux termes de l'article R. 8122-3 du même code : " Sans préjudice des dispositions de l'article R. 8121-15, les inspecteurs et les contrôleurs du travail exercent leur mission : / 1° Soit dans une unité de contrôle départementale ou infra-départementale ; (...) " ; aux termes de l'article R. 8122-4 du même code : " Les unités de contrôle de niveau infra-départemental, départemental ou interdépartemental, rattachées à une unité départementale, et les unités de contrôle interrégionales, rattachées à une direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, sont composées de sections, dans lesquelles un inspecteur ou un contrôleur du travail exerce ses compétences. / Le responsable de l'unité de contrôle est chargé, notamment dans la mise en oeuvre de l'action collective, de l'animation, de l'accompagnement et du pilotage de l'activité des agents de contrôle. Il peut apporter un appui à une opération de contrôle menée sur le territoire de l'unité dont il est responsable. Il peut en outre, sur décision du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, être chargé d'exercer les fonctions d'inspecteur du travail dans une section relevant de son unité. " ; aux termes de l'article R. 8122-6 du même code : " Dans les limites de sa circonscription territoriale, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi décide de la localisation et de la délimitation des unités de contrôle et, dans chaque unité de contrôle, du nombre, de la localisation et de la délimitation, et le cas échéant du champ d'intervention sectoriel ou thématique, des sections d'inspection. / Il nomme les responsables des unités de contrôle et affecte les agents de contrôle de l'inspection du travail dans les sections d'inspection. " ; aux termes de l'article R. 8122-10 du même code : " I.-Dans chaque unité de contrôle mentionnée au 1° de l'article R. 8122-3, l'agent de contrôle de l'inspection du travail exerce ses missions sur le territoire d'une section. Il peut, lorsqu'une action le rend nécessaire, intervenir sur le reste du territoire de l'unité départementale à laquelle est rattachée l'unité de contrôle où il est affecté. (...) / IV.-Toutefois, l'inspecteur du travail est seul habilité à prendre, dans la section où il exerce ses missions, les décisions qui relèvent de sa compétence exclusive en vertu de dispositions législatives ou réglementaires. " ; aux termes de l'article R. 8122-11 du même code : " Lorsque les actions d'inspection de la législation du travail ont été confiées, dans une section, à un contrôleur du travail, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi : / 1° Désigne un ou plusieurs inspecteurs du travail pour prendre les décisions qui relèvent de la compétence exclusive de l'inspecteur du travail, en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ; / 2° Peut confier le contrôle des établissements d'au moins cinquante salariés à un ou plusieurs inspecteurs du travail. ". Enfin, aux termes de l'article 1er de la décision n° 2016-121 du 24 octobre 2016 de la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France relative à la localisation et à la délimitation des unités de contrôle et des sections d'inspection du travail de l'unité départementale de la Seine-et-Marne, publiée au recueil des actes administratifs d'Ile-de-France n° 034-2016-10 du 27 octobre 2016 : " L'unité départementale de Seine-et-Marne comprend 4 unités de contrôle (UC n° 1, UC n° 2, UC n° 3 et UC n° 4) composées de 39 sections d'inspection du travail (...) Chaque section a compétence pour le contrôle de tous les établissements de l'ensemble des secteurs professionnels au sein d'un territoire délimité par communes et/ou par rue (...) " ; aux termes de l'article 2 de cette même décision : " La délimitation de l'unité de contrôle n° 4 est fixée comme suit : communes de (...) Bagneux-sur-Loing (...). Le nombre de sections d'inspection du travail de l'UC n° 4 est fixé à 11. La délimitation des 11 sections d'inspection du travail de l'UC n° 4 de l'UD de Seine-et-Marne est fixée comme suit : (...) Section 4-7 : communes de (...) Bagneux-sur-Loing (...). Enfin, aux termes de l'article 2 de la décision n° 2016-16 du 16 décembre 2016 du directeur régional adjoint, responsable de l'unité départementale de Seine-et-Marne, publiée au recueil des actes administratifs d'Ile-de-France n° 262 du 20 décembre 2016 : " Sans préjudice des dispositions de l'article R. 8122-10 I du code du travail et conformément aux dispositions de l'article R. 8122-11 du code du travail encadrant les répartitions organisationnelle des contrôles et juridique relative aux décisions administratives et pouvoirs relevant de la compétence exclusive des inspecteurs du travail dans les sections confiées à un contrôleur du travail, sont affectés dans les sections d'inspection de l'unité territoriale de Seine-et-Marne les agents suivants : (...) Section 4-7 : Madame D...E..., contrôleuse du travail. Madame A...F..., inspectrice du travail, est chargée du contrôle des établissements d'au moins 50 salariés. Elle est en outre compétente sur cette section pour prendre les décisions relevant de la compétence exclusive de l'inspecteur du travail en vertu de dispositions législatives ou réglementaires. ".
7. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'incompétence de Mme A...F..., auteur de la décision litigieuse, doit être écarté.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 2421-14 du code du travail : " En cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail. / La consultation du comité d'entreprise a lieu dans un délai de dix jours à compter de la date de la mise à pied. / La demande d'autorisation de licenciement est présentée dans les quarante-huit heures suivant la délibération du comité d'entreprise. / S'il n'y a pas de comité d'entreprise, cette demande est présentée dans un délai de huit jours à compter de la date de la mise à pied. / La mesure de mise à pied est privée d'effet lorsque le licenciement est refusé par l'inspecteur du travail ou, en cas de recours hiérarchique, par le ministre. ".
9. Les délais, fixés par l'article R. 2421-14 du code du travail cité ci-dessus, dans lesquels la demande d'autorisation de licenciement d'un salarié mis à pied doit être présentée, ne sont pas prescrits à peine de nullité de la procédure de licenciement ; toutefois, eu égard à la gravité de la mesure de mise à pied, l'employeur est tenu, à peine d'irrégularité de sa demande, de respecter un délai aussi court que possible pour la présenter.
10. Il ressort des pièces du dossier que, d'une part, M. B...-C... a été mis à pied à titre conservatoire avec effet immédiat le 24 avril 2017 par un courrier remis en mains propres, et que le comité d'entreprise a été consulté les 4 et 5 mai 2017 (la séance, commencée le 4 mai, a repris le 5 mai, et l'avis du comité d'entreprise a été émis le 5 mai), soit dans le délai de dix jours susmentionné. D'autre part, la demande d'autorisation de licenciement a été envoyée par l'employeur le 10 mai 2017 et reçue par l'inspection du travail le 12 mai ; eu égard à la circonstance que le 7 mai 2017 était un dimanche et que le lundi 8 mai 2017 était un jour férié, le dépassement d'une journée du délai susmentionné de quarante-huit heures donné à l'employeur pour présenter la demande d'autorisation de licenciement ne saurait être regardé comme une irrégularité entachant la procédure suivie. Enfin, il ne saurait être inféré de la circonstance qu'il n'est pas explicitement mentionné, dans la décision contestée, que le dépassement du délai de saisine de l'inspection du travail n'était pas de nature à constituer, eu égard à son caractère limité, une irrégularité de la procédure suivie, que l'inspectrice du travail n'aurait pas examiné si l'importance de ce dépassement de délai était de nature à vicier la procédure.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 2421-3 du code du travail : " Le licenciement envisagé par l'employeur (...) d'un membre élu du comité d'entreprise titulaire ou suppléant, (...) est soumis au comité d'entreprise, qui donne un avis sur le projet de licenciement. (...) " ; aux termes de l'article L. 2323-4 du même code : " Pour lui permettre de formuler un avis motivé, le comité d'entreprise dispose d'informations précises et écrites transmises par l'employeur ou, le cas échéant, mises à disposition dans les conditions prévues à l'article L. 2323-9, et de la réponse motivée de l'employeur à ses propres observations. (...) ".
12. Il ressort des pièces du dossier que la société Keraglass a envoyé aux membres du comité d'entreprise, avec la convocation à la séance du 4 mai 2017, une " note confidentielle d'information à l'attention personnelle des membres participant au comité d'entreprise du 4 mai 2017 sur les faits conduisant à envisager l'éventuel licenciement de M. G...B...-C... ", ainsi que des extraits des entretiens qui avaient été réalisés avec les salariés, ces extraits ayant été anonymisés. Cette dernière circonstance ne fait pas obstacle à ce que les informations transmises par l'employeur aux membres du comité d'entreprise soient regardées comme suffisamment précises pour lui avoir permis de formuler, de manière éclairée, un avis motivé. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie doit être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la demande présentée par M. B...-C... devant le tribunal administratif de Melun doit être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1706082 du 14 septembre 2018 du tribunal administratif de Melun est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B...-C... devant le tribunal administratif de Melun est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre du travail, à M. G...B...-C... et à la société Keraglass.
Délibéré après l'audience du 4 avril 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme Larsonnier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 avril 2019.
Le rapporteur,
I. LUBENLe président,
J. LAPOUZADELe greffier,
Y. HERBERLa République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA03561