Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 janvier et 31 mai 2021, Mme A..., représentée par Me Laguillon, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2000168 du 27 novembre 2020 du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
2°) d'annuler la décision du 14 avril 2020 par laquelle la direction générale des douanes et droits indirects a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;
3°) d'enjoindre au directeur général des douanes et droits indirects de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 600 000 francs CFP en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur d'appréciation et d'une insuffisance de motivation dès lors qu'il a retenu la réalité de faits avancés pourtant non prouvés ;
- la décision du 14 avril 2020 attaquée n'est pas motivée ;
- elle méconnaît les dispositions des articles 6 ter et 6 quinquiès de la loi n° 83-634 du
13 juillet 1983 dès lors que les trois conditions cumulatives caractérisant une situation de harcèlement moral sont remplies.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 mai 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés et se réfère expressément aux observations produites en défense par le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en première instance sans les produire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Collet,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., inspectrice des douanes ayant la qualification informatique d'analyste, occupe depuis le 28 avril 2015 les fonctions de cheffe de la cellule des techniciens des systèmes d'information (TSI) au sein du pôle logistique et informatique de la direction régionale des douanes de Nouvelle-Calédonie. Le 7 février 2020, elle a sollicité de son administration le bénéfice de la protection fonctionnelle en raison des agissements de harcèlement moral dont elle estime avoir été victime. Par décision du 14 avril 2020 la direction générale des douanes et droits indirects a rejeté sa demande. Mme A... a demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler cette décision. Par jugement n° 2000168 du 27 novembre 2020 du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, dont Mme A... relève appel, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté son recours.
2. En premier lieu, la décision du 14 avril 2020 par laquelle la direction générale des douanes et droits indirects a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement dès lors qu'après avoir rappelé les dispositions de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, elle reprend point par point les éléments invoqués par Mme A... et précise pour chacun les raisons pour lesquelles elle les écarte. Ainsi, contrairement à ce que soutient Mme A..., la simple énonciation des considérations de droit et de fait sur lesquelles se fonde la décision attaquée suffit à la regarder comme étant suffisamment motivée quand bien même elle n'est pas assortie de pièces permettant d'établir la véracité des considérations factuelles qu'elle énonce. Au surplus, la circonstance que postérieurement à cette décision, la directrice générale des douanes et droits indirects ait implicitement refusé de communiquer à Mme A... les motifs de cette décision du 14 avril 2020 n'est pas davantage de nature à établir que la décision attaquée serait insuffisamment motivée. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision du 14 avril 2020 ne serait pas motivée manque en fait.
3. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ". Aux termes de l'article 11 de la même loi, dans sa version applicable au litige : " I.-A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. (...) IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) ". Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
4. D'autre part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
5. Il ressort des pièces du dossier que le 7 février 2020, Mme A... a sollicité le bénéfice de la protection professionnelle aux motifs qu'elle considère être victime de " brimades psychologiques ", d'être " condamnée à l'oisiveté " et d'être " exclue de la vie de sa direction ". Cheffe de la cellule des techniciens des systèmes d'information (TSI) au sein du pôle logistique et informatique de la direction régionale des douanes de Nouvelle-Calédonie à partir du 28 avril 2015, elle a été chargée à compter du 1er juin 2018 des travaux de préfiguration du projet d'automatisation du dédouanement " Sydonia World " avec la conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED) jusqu'à ce qu'elle demande le 22 juillet 2019 de reprendre ses fonctions de chef de la cellule TSI, ce qui lui a d'abord été refusé puis finalement, après relance de l'intéressée, accepté le 27 septembre 2019 avec effet au 1er janvier 2020.
6. Premièrement, si Mme A... soutient qu'elle a été exclue de fait du projet Sydonia World, il ressort, au contraire, notamment du courrier du 27 septembre 2019 du directeur régional de Nouvelle-Calédonie nouvellement nommé en mars 2019, qu'il a souhaité que son rôle soit recentré sur ses fonctions de cheffe de la cellule Sydonia et reconnaît que si elles correspondent à un rôle beaucoup moins transverse que celui exercé précédemment dès lors que le projet Sydonia World connaît quelques retards, ce choix s'inscrit dans sa volonté de maintenir opérationnelle la cellule Sydonia pour être prêt à commencer les travaux dès que le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie aura signé la convention partenariale avec la CNUCED ce qui sera fait le 1er octobre 2019 avec une validation ensuite par le congrès le 14 octobre 2019. Il ajoute qu'il lui a demandé lors de la dernière réunion de fin juillet 2019 de " procéder à l'inventaire de l'ensemble des travaux effectués en 2018 notamment lors de [son] déplacement à Fidji avec la direction technique des systèmes d'information (DTSI) et de la venue des missionnaires de la CNUCED dans le cadre du projet Sydonia World ". Il s'ensuit que contrairement à ce que soutient Mme A... une mission d'inventaire lui a donc été confiée, quand bien même elle considère que " cette tâche n'en est pas une, l'ensemble de la documentation de projet [étant] sur un serveur en accès partagé, y compris le rapport de faisabilité rédigé conjointement avec la CNUCED " avant de conclure " il suffit donc de le consulter ". Par ailleurs, si elle soutient qu'aucune information sur l'avancement de ce projet ou sur les décisions susceptibles d'être prises ne lui a été communiquée dès le mois d'avril 2019, elle n'apporte aucun élément, à l'appui de ses allégations, permettant d'en établir le bien-fondé alors qu'elle reconnaît elle-même dans ses écritures que le projet a été suspendu dans l'attente de la conclusion de l'accord entre la Nouvelle-Calédonie et la CNUCED. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient la requérante, elle n'a pas été laissée sans travail durant cette période et elle n'établit pas avoir été exclue du projet Sydonia World auquel elle a souhaité ne plus participer.
7. Deuxièmement, Mme A... soutient que lors de la reprise de ses fonctions de chef de la cellule TSI, des travaux inutiles qui ne peuvent masquer l'oisiveté dans laquelle elle a été maintenue lui ont été confiés. Il ressort, toutefois, notamment du courrier du 27 septembre 2019 du directeur régional de Nouvelle-Calédonie nouvellement nommé en mars 2019, qu'il a lors de sa prise de fonction souhaité " revoir le fonctionnement interne des services, basé sur la structure fonctionnelle des pôles d'une direction régionale classique et le positionnement hiérarchique des chefs de service " ce qui l'a conduit à replacer " les chefs de pôle dans une fonction managériale réaffirmée avec, en responsabilité première, l'évaluation et la validation préalable de tous les travaux réalisés par les services placés sous leur autorité ainsi que la maîtrise des échanges avec [les] partenaires externes " et que la " conséquence directe de cette clarification des rôles de chacun [a conduit à ce que] les habilitations informatiques [soient] revues pour qu'elles soient en adéquation avec le périmètre et le niveau de fonctions exercées ", aboutissant donc aussi à ce que, comme pour ses collègues, celles attribuées à Mme A... soient revues alors qu'il ressort de ses entretiens d'évaluation de 2017 à 2019 qu'elle intervenait, à la demande du précédent directeur, avec efficience mais dans des domaines débordants largement le cadre d'une agente TSI. Il s'ensuit que la redéfinition de son périmètre de fonctions pour le remettre davantage en adéquation avec son niveau hiérarchique ne permet donc pas de caractériser l'existence d'un harcèlement moral à son encontre. Par ailleurs, il ressort de la note de service du 11 février 2020 que le directeur régional des douanes de Nouvelle-Calédonie a également reprécisé les conditions du service aux utilisateurs Sydonia, suite aux récents mouvements de personnel intervenus au sein des équipes de travail de la TSI et de la cellule Sydonia.
8. Troisièmement, s'agissant des fonctions qui lui ont été attribuées concernant le projet Espadon relatif à l'automatisation de diverses formalités pour la navigation de plaisance en frontière, si Mme A... soutient que la mission d'audit qui lui a été confiée le 20 novembre 2019, était à l'abandon, il ressort au contraire des pièces du dossier que cette mission qui relevait bien auparavant de la responsabilité du chef intérimaire de la cellule TSI restait néanmoins d'actualité. En effet, il ressort du courriel de la direction des affaires sanitaires et sociales du 28 novembre 2019 que ce projet a été repris coté douane en juin 2019 et que " le projet n'a pas été abandonné il était en attente de votre date de mise en service puisque celle-ci n'a cessé d'être reportée depuis décembre 2017 " quand bien même Mme A... soutient que le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie n'alloue plus aucun budget à ce projet depuis 2017. S'agissant de la mission relative au basculement du réseau local sur le RIE, la circonstance aussi regrettable qu'elle soit que
Mme A... n'ait pas été destinataire de toutes les informations concernant cette mission lors de son absence du service pendant un mois et demi n'est pas davantage de nature à caractériser l'existence d'un harcèlement dès lors qu'il ressort du courriel du 19 juillet 2019 du directeur régional qu'il lui a proposé de lui communiquer les informations dont il disposait et l'a invitée à le questionner oralement si besoin. Enfin, la requérante se prévaut de la qualité de ses évaluations au titre des années 2017 à 2019 et des attestations établies par des collègues et des professionnels montrant le sérieux et la qualité de ses interventions. Toutefois, contrairement à ce qu'elle soutient, ces éléments ne permettent pas de caractériser sa mise à l'écart au cours de l'année 2019 due, selon elle, au fait qu'elle " n'assurait plus l'assistance aux utilisateurs et n'avait donc plus de tâches quotidiennes à effectuer et encore moins de responsabilités ". Il ne ressort donc pas de tout ce qui précède que, contrairement à ce que soutient Mme A..., elle aurait été maintenue dans une inactivité forcée, que ses attributions auraient été modifiées pour la mettre à l'écart, que seuls des travaux sans consistance réelle lui ont été confiés ou qu'elle aurait été " placardisée ".
9. Quatrièmement, s'agissant de sa demande de temps partiel pour création d'entreprise formée le 27 novembre 2019 et complétée le 2 décembre 2019, il ressort des pièces du dossier qu'elle a été transmise dans un délai raisonnable le 18 décembre 2019 à la direction générale, sans que puisse être opposée à la direction régionale des douanes de la Nouvelle-Calédonie un manque de diligence. Ensuite, si la direction générale des douanes n'a répondu à sa demande que le
27 juillet 2020, il ressort de cette décision que le bureau réglementaire de la sous-direction des ressources humaines a dû être consulté et a émis, en l'état de sa demande, un avis d'incompatibilité entre l'activité envisagée et les fonctions qu'elle exerce, notifié par courrier le 7 juillet 2020. Par suite, la circonstance que le refus opposé à sa demande de temps partiel à 60 % avec cumul d'activité pour création d'entreprise déposée le 27 novembre 2019 ne soit intervenu que le 27 juillet 2020 ne peut davantage être regardée en l'espèce comme caractérisant l'existence d'un harcèlement moral dès lors que cette décision ne pouvait intervenir avant que soit rendu l'avis du référent déontologie du ministère et n'a ensuite été prise que 20 jours plus tard qui plus est dans un contexte marqué par la crise sanitaire liée au covid-19.
10. Cinquièmement, s'agissant de la dégradation de son état de santé due au harcèlement dont elle s'estime victime, Mme A... se prévaut des certificats médicaux établis par ses médecins qui relatent les faits tels qu'elle les a présentés et également de la circonstance que lorsqu'elle a sollicité un rendez-vous avec la médecine du travail, le directeur régional des douanes aurait tenté de s'immiscer dans le dialogue entre le praticien et elle-même en demandant à ce qu'il soit reçu préalablement à ce rendez-vous. Toutefois, si dans le courriel qu'elle produit et qu'elle a adressé le 31 décembre 2019 au secrétariat dudit praticien, elle relate cet élément, ses allégations ne sont pas corroborées par la réponse du secrétariat et ne permettent donc pas d'en établir la véracité.
11. Enfin, si Mme A... se prévaut de la circonstance au demeurant postérieure à la décision attaquée que son conseil a dû intervenir par courrier du 1er février 2021 pour que son administration réponde enfin le 11 février 2021 à sa demande de détachement formulée le 3 décembre 2020 pour une mission d'informatisation du dédouanement aux îles Cook devant débuter le 15 février 2021, cette circonstance, pour regrettable qu'elle soit, n'est pas davantage de nature à caractériser l'existence du harcèlement allégué. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision du 14 avril 2020 attaquée méconnaît les dispositions des articles 6 ter et 6 quinquiès de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 doit être écarté.
12. Il résulte de ce qui précède que les éléments de fait dont se prévaut Mme A... ne sont pas de nature à caractériser l'existence du harcèlement moral dont elle s'estime victime et que le jugement attaqué n'est entaché ni d'erreur d'appréciation, ni d'une insuffisance de motivation.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 14 avril 2020 par laquelle la direction générale des douanes et droits indirects a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle. Par suite, les conclusions de sa requête d'appel ne peuvent être que rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.
Délibéré après l'audience du 7 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Ho Si Fat, président de la formation de jugement,
- Mme Collet, première conseillère,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Lu en audience publique, le 21 mars 2022.
La rapporteure,
A. COLLETLe président,
F. HO SI FAT
La greffière,
N. COUTY La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 21PA00356