Procédure devant la Cour :
Par une requête et deux mémoires enregistrés les 26 avril 2021, 3 décembre 2021 et 18 janvier 2022, la SCI Les Guys, représentée par Me Rotkopf, demande à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 2105053/6-1 du 2 avril 2021 par laquelle le président de la 6ème section du Tribunal administratif de Paris a rejeté comme manifestement irrecevable sa demande tendant à l'annulation de la décision de retrait et de reversement de l'ANAH de la somme de 67 488 euros en date du 30 avril 2018 ;
2°) d'annuler la décision de retrait et de reversement de l'ANAH en date du 30 avril 2018 aux termes de laquelle il a été décidé le retrait de la subvention et le reversement par la SCI Les Guys de la somme de 67 488 euros ;
3°) de condamner l'ANAH à verser la somme de 2 000 euros à la requérante au titre de l'article L.761-1 du code de la justice administrative ;
4°) de condamner l'ANAH au paiement des entiers dépens.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable dès lors que la décision de retrait et de reversement du
30 avril 2018 ne mentionne pas clairement les voies de recours, qu'aucun accusé de réception de son recours gracieux adressé le 18 octobre 2018 à l'ANAH ne lui a été notifié, que le délai de recours de deux mois n'a commencé à courir qu'à compter de la réponse de l'ANAH à la demande de motivation de la décision implicite de rejet du recours gracieux, soit à compter du 2 février 2021 ;
- la décision de retrait et de reversement est illégale et entachée d'erreur manifeste d'appréciation dans la mesure où la date de prise d'effet des engagements mis à la charge de la SCI Les Guys est la date de déclaration d'achèvement des travaux, soit en mai 2008, et que la SCI a bien respecté la durée et la nature de ses engagements.
Par deux mémoires enregistrés les 8 novembre et 21 décembre 2021, l'ANAH, représentée par Me Pouilhe, conclut au rejet de la requête de la société SCI Les Guys et à ce que la somme de
2 000 euros soit mise à la charge de cette société au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient à titre principal que la requête est irrecevable, et à titre subsidiaire, qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Ho Si Fat,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Rotkopf, représentant la SCI Les Guys.
Considérant ce qui suit :
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
1. Aux termes de l'article 18 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : " Sont considérées comme des demandes au sens du présent chapitre les demandes et les réclamations, y compris les recours gracieux ou hiérarchiques, adressées aux autorités administratives. (...) ". Aux termes des premier, troisième et quatrième alinéas de l'article 19 de la même loi, repris aux articles L. 112-3 et L. 112-6 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute demande adressée à une autorité administrative fait l'objet d'un accusé de réception délivré dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) / Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications prévues par le décret mentionné au premier alinéa. / Le défaut de délivrance d'un accusé de réception n'emporte pas l'inopposabilité des délais de recours à l'encontre de l'auteur de la demande lorsqu'une décision expresse lui a été régulièrement notifiée avant l'expiration du délai au terme duquel est susceptible de naître une décision implicite ". Le dernier alinéa de l'article 1er du décret du 6 juin 2001, pris pour l'application de ces dispositions, dispose notamment que " L'accusé de réception indique si la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet ou à une décision implicite d'acceptation. Dans le premier cas, l'accusé de réception mentionne les délais et les voies de recours à l'encontre de la décision. (...) ".
2. Aux termes de l'article L. 112-6 du code des relations entre le public et l'administration : " Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation. / Le défaut de délivrance d'un accusé de réception n'emporte pas l'inopposabilité des délais de recours à l'encontre de l'auteur de la demande lorsqu'une décision expresse lui a été régulièrement notifiée avant l'expiration du délai au terme duquel est susceptible de naître une décision implicite ". Aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".
3. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, soit dans sa notification si la décision est expresse, soit dans l'accusé de réception de la demande l'ayant fait naître si elle est implicite.
4. En particulier, ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat dans l'arrêt Chadly
(27 décembre 2021, n° 432032), lorsque, à la suite d'une décision ayant rejeté une demande en mentionnant les voies et délais de recours et ayant, ainsi, fait courir le délai de recours contentieux, le demandeur forme, avant l'expiration de ce délai, un recours gracieux contre cette décision, le délai de recours pour former une action, interrompu par le recours gracieux, ne recommence à courir qu'à compter, soit de la notification d'une nouvelle décision expresse de refus mentionnant les voies et délais d'un recours, soit, en cas de silence de l'administration, à compter de la naissance A... la décision implicite qui en résulte, à la condition que l'accusé de réception du recours gracieux ait mentionné la date à laquelle cette décision implicite était susceptible de naître, ainsi que les voies et délais de recours qui lui seraient applicables.
5. Il résulte des termes mêmes de l'ordonnance attaquée que, pour rejeter comme tardive la requête par laquelle la SCI Les Guys a demandé l'annulation de la décision du 30 avril 2018 par laquelle l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) lui a retiré sa subvention et lui a réclamé le reversement de la somme de 67 488 euros, le tribunal s'est fondé sur la circonstance que la décision attaquée qui a été notifiée le 4 septembre 2018 mentionnait les voies et délais de recours, que la SCI requérante n'a saisi le tribunal que le 11 mars 2021 et que le délai supérieur à deux ans entre la date à laquelle la SCI Les Guys a eu connaissance de la décision attaquée et la date de saisine du tribunal, excède le délai raisonnable durant lequel le recours contentieux pouvait être exercé.
6. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'ANAH reste en défaut d'établir que le recours gracieux formé par la SCI Les Guys contre la décision du 30 avril 2018 a fait l'objet d'un accusé de réception qui mentionnait les voies et délais de recours en cas de décision implicite de rejet. Dans ces conditions, le recours présenté par la SCI Les Guys devant le tribunal et tendant à l'annulation de cette décision ne pouvait être regardé comme tardif. Il s'ensuit que l'ordonnance du tribunal est entachée d'erreur de droit. Par suite, il y a lieu d'annuler l'ordonnance du 2 avril 2021 du président de la 6ème section du Tribunal administratif de Paris et de renvoyer l'affaire devant ledit tribunal pour qu'il y soit statué.
Sur les dépens :
7. La présente instance n'ayant impliqué aucun frais au titre des dépens, les conclusions tendant à la condamnation de l'ANAH présentées à ce titre par la requérante ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la SCI Les Guys, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que l'ANAH demande au titre des frais liés à l'instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ANAH le versement de la somme de 2 000 euros que demande la SCI Les Guys sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 2105053/6-1 du 2 avril 2021 du président de la 6ème section du Tribunal administratif de Paris est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant le Tribunal administratif de Paris.
Article 3 : L'Agence nationale de l'habitat versera à la SCI Les Guys la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par l'Agence nationale de l'habitat au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société SCI Les Guys et à l'Agence nationale de l'habitat.
Délibéré après l'audience du 17 février 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Le Goff, président,
- M. Ho Si Fat, président assesseur,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2022.
Le rapporteur,
F. HO SI FATLe président,
R. LE GOFF
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne à la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique chargée du logement en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA02231