Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 30 mai 2017, la société Mix Commerce, représentée par Me Frouin, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1514486 du 31 mars 2017 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il a annulé la décision du 29 juin 2015 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B...devant le Tribunal administratif de Paris ;
3°) de mettre à la charge de M. B...la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) de condamner M. B...au paiement d'une amende pour recours abusif sur le fondement de l'article R. 741-12 du code de justice administrative.
La société Mix Commerce soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont annulé la décision d'autorisation de licenciement dès lors que la matérialité des fautes de son salarié, consistant à avoir multiplié des demandes d'achat non justifiées en dehors des règles comptables mises en place, à avoir fait établir de fausses factures par l'entreprise Scoli, à avoir fait obstacle aux investigations menées par l'entreprise sur l'origine de la panne justifiant les achats en litige et à avoir adopté une attitude déloyale, est établie et que ces fautes revêtent un caractère de gravité justifiant le licenciement ;
- elle renvoie à ses écritures de première instance sur les autres moyens invoqués par M. B... à l'encontre de la décision autorisant son licenciement ;
- s'il ne lui appartient pas de se substituer au juge, elle souligne le caractère abusif du recours de son salarié.
Par des mémoires, enregistrés le 11 août 2017, le 26 octobre 2017 et le 3 janvier 2018, M. B..., représenté par Me Geandrot, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Mix Commerce la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision autorisant son licenciement est intervenue au terme d'une procédure irrégulière dès lors qu'il n'a pas été mis en mesure de prendre connaissance du témoignage du gérant de la société Scoli sur les factures litigieuses, pas davantage que de la réponse de l'intéressé à l'interpellation sommative ;
- la décision autorisant son licenciement est entachée d'insuffisance de motivation quant à l'absence de lien du licenciement avec son mandat de délégué du personnel ;
- la décision autorisant son licenciement est entachée d'erreur d'appréciation dès lors, d'une part, que le grief relatif à l'établissement de fausses factures n'est pas établi ; les factures litigieuses correspondent en effet à des prestations réelles et ont donné lieu préalablement à un accord de principe de la direction de la société ; le témoignage du gérant de la société Scoli est à cet égard contradictoire et peu circonstancié ; d'autre part, le grief relatif à son attitude déloyale n'est pas davantage établi et la société requérante ne peut utilement se prévaloir de faits qui n'ont pas été soumis à l'inspecteur du travail ;
- la décision autorisant son licenciement est entachée d'erreur d'appréciation dès lors que le lien avec son mandat de délégué du personnel est démontré par l'hostilité de la société à son égard du fait de son action pour la défense des salariés et par l'absence d'organisation en janvier, février et avril 2015 des réunions obligatoires des délégués du personnel ; il n'a au surplus pas été convoqué initialement à la réunion du 21 mai 2015 ;
- les demandes reconventionnelles de la société à son encontre sont irrecevables et infondées.
La requête a été communiquée à la ministre du travail, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Par ordonnance du 5 février 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 5 mars 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Guilloteau,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- les observations de Me Frouin, avocat de la société Mix Commerce,
- et les observations de Me Geandrot, avocat de M.B....
Considérant ce qui suit :
1. La société Mix Commerce, qui exploite une plateforme de commerce électronique à destination d'entreprises tierces, a demandé à l'inspection du travail l'autorisation de licencier M. B..., responsable informatique, élu délégué du personnel en juin 2014. Par une décision du 29 juin 2015, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement du salarié pour faute grave aux motifs que l'intéressé aurait activement participé à la présentation d'une fausse facture libellée au bénéfice de la société Scoli et que ces agissements caractérisaient en outre une attitude déloyale du salarié à l'égard de son employeur. Par la présente requête, la société Mix Commerce demande l'annulation du jugement du 31 mars 2017, en tant que le Tribunal administratif de Paris a annulé cette autorisation de licenciement sur la demande de M.B....
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Enfin, il résulte des dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail que, lorsqu'un doute subsiste au terme de l'instruction diligentée par le juge sur l'exactitude matérielle des faits à la base des griefs formulés par l'employeur contre le salarié, ce doute profite au salarié.
3. Il ressort des pièces du dossier que M.B..., responsable informatique, et son supérieur hiérarchique direct, directeur projets-plateforme et informatique, ont présenté à compter de septembre 2014 plusieurs demandes d'achats de matériels à la direction de l'entreprise, qui n'ont pas eu de suite. Le portail de commerce électronique exploité par la société, la Box
E-Commerce, a connu à compter du 24 décembre 2014 une importante panne, à laquelle il a été demandé au service informatique de remédier au plus vite. M. B...et son supérieur hiérarchique ont alors expliqué que cette panne était la conséquence de l'absence d'achats en temps utiles des matériels qu'ils avaient précédemment demandés et qui étaient nécessaires pour permettre aux serveurs de supporter une importante mise à jour. Alors que la société se trouvait à cette période dépourvue de tout moyen de paiement, la direction a donné son accord à l'achat de certains de ces matériels par une entreprise tierce qu'elle pourrait régler ultérieurement. Après que la panne informatique a pris fin le 14 janvier 2015, la société Scoli a adressé à la société Mix Commerce une première facture datée du 13 janvier 2015, d'un montant de 27 374, 18 euros TTC, pour l'import et la mise à disposition de composants informatiques. Une seconde facture datée du 26 février 2015 du même montant pour des prestations d'ingénierie (remise en marche en urgence du portail Box
E-Commerce), accompagnée d'un avoir du même montant sur la précédente, a ensuite été adressée à la société Mix Commerce à la suite d'échanges sur le taux de TVA appliqué. La société Mix Commerce a demandé des explications complémentaires à la société Scoli, qui a finalement émis un nouvel avoir du même montant.
4. M. B...et son supérieur hiérarchique direct ont expliqué à la direction de la société Mix Commerce que cette facture correspondait à l'achat par la société Scoli de composants informatiques qui avaient été utilisés pour remédier dans l'immédiat à l'indisponibilité du portail de commerce électronique constatée à la fin du mois de décembre 2014. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que par des messages électroniques de la nuit du 10 au 11 janvier 2015, M. B...a demandé au gérant de la société Scoli de préparer une facture pour la société
Mix Commerce, comme faisant suite à une demande urgente de celle-ci, en précisant le libellé qu'elle devait comporter, à savoir la mise à disposition de composants informatiques, pour un montant de 16 700 euros HT. En réponse au gérant de la société Scoli lui demandant de lui dire ce qu'il en était, M. B...a donné une description plus précise des articles, a donné leur quantité et leur prix unitaire et a expliqué que " la raison du service " était qu'il avait déjà " fait l'import par sa [carte bancaire] " sur un site internet marchand mais qu'il ne lui était pas possible de le faire passer sur sa note de frais et que son employeur, qui n'avait pas passé la commande nécessaire, lui avait demandé de résoudre le problème en urgence. Il ressort également des pièces du dossier que lorsque le gérant de la société Scoli a reçu des demandes d'explications de la part du service comptable de la société Mix Commerce sur la facture datée du 13 janvier 2015, il s'est tourné vers M. B...pour lui demander la conduite à tenir et que ce dernier a suscité ou à tout le moins participé à la rédaction des réponses de la société Scoli. Le gérant de cette société, interrogé par téléphone par l'inspecteur du travail le 19 juin 2015 puis en réponse à une sommation interpellative de la société Mix Commerce, a par ailleurs indiqué que la facture litigieuse ne correspond pas à un achat ni à une prestation de service effectivement réalisés par cette société. Enfin, aucune pièce attestant de la transaction qui aurait été effectuée sur un site internet marchand pour l'achat des matériels désignés dans la facture du 13 janvier 2015 ou encore de la livraison postale de ces matériels figurant également dans cette facture n'a été produite dans la présente instance. Dans ces conditions, l'ensemble de ces éléments établit que les factures datées du 13 janvier 2015 puis du 26 février 2015 ne correspondent pas à des prestations fournies par la société Scoli au bénéfice de laquelle elles ont été établies à la demande de M.B.... Ainsi, c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris s'est fondé sur l'existence d'un doute quant à la réalité matérielle des faits d'établissement de fausses factures pour juger que l'inspecteur du travail avait entaché sa décision du 29 juin 2015 d'une erreur d'appréciation et annuler cette décision.
5. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...tant devant le Tribunal administratif de Paris que devant elle.
6. En premier lieu, en application de l'article R. 2421-11 du code du travail, l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé " procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat ". Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément à ces dispositions impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris des témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation.
7. M. B...soutient, d'une part, que la réponse du gérant de la société Scoli à la sommation interpellative que lui avait adressée la société Mix Commerce ne lui a pas été communiquée au cours de l'enquête contradictoire. Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier, en particulier de la liste des pièces annexées à la demande d'autorisation de licenciement du 18 mars 2015, complétée le 20 mars 2015, ni des échanges de courriers électroniques des 23 et 24 juin 2015 entre l'employeur et l'inspecteur du travail, que cette réponse, datée du 27 mai 2015, ait été portée à la connaissance de l'autorité administrative, qui n'y fait au demeurant pas référence dans la décision contestée du 29 juin 2015.
8. D'autre part, l'inspecteur du travail a contacté par téléphone le 19 juin 2015 le gérant de la société Scoli, qui lui a indiqué que sa société n'avait effectué aucune prestation correspondant à la facture litigieuse. Il ressort des écritures du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France devant les premiers juges que l'inspecteur du travail a contacté par téléphone M. B...le même jour pour l'informer de ce témoignage. Le salarié a d'ailleurs transmis dans les jours suivants à l'autorité administrative un courrier électronique de son supérieur hiérarchique, daté du 21 juin 2015, en sa faveur et faisant directement référence au témoignage recueilli deux jours plus tôt. Si M. B...fait valoir qu'il n'a pas eu connaissance de la teneur exacte et intégrale des déclarations de ce gérant, il est toutefois constant que le salarié a été informé du sens de ces déclarations et a été mis à même de le discuter, tandis qu'il n'est pas établi ni même allégué qu'il aurait demandé en vain à l'inspecteur du travail une retranscription de la conversation en cause. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure au terme de laquelle est intervenue la décision du 29 juin 2015 doit être écarté.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 2421-12 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée ".
10. La décision du 29 juin 2015 vise les articles L. 2411-5 et R. 2421-8 et suivants du code du travail, précise que M. B...est délégué du personnel titulaire, examine chacun des six griefs articulés par l'employeur, retient pour deux d'entre eux la matérialité de la faute invoquée et son caractère de gravité suffisant pour justifier d'un licenciement et précise enfin que la procédure de licenciement est sans lien avec le mandat de l'intéressé. Contrairement à ce que soutient M. B..., la décision autorisant le licenciement n'a pas à exposer les raisons pour lesquelles l'inspecteur du travail a estimé que la procédure était dépourvue de lien avec le mandat exercé. Il suit de là que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision du 29 juin 2015 doit être écarté comme manquant en fait.
11. En troisième lieu, il ressort de la demande d'autorisation de licenciement présentée par la société Mix Commerce à l'inspecteur du travail le 18 mars 2015 et complétée le 20 mars 2015 que l'employeur avait bien invoqué un grief tiré de la présentation de demande de paiement de la facture litigieuse au bénéfice de la société Scoli, en précisant en particulier qu'il estimait que le salarié avait activement participé à l'élaboration d'une facture ne correspond à aucune prestation et un grief tiré d'une attitude déloyale généralisée, en faisant, entre autres, état des demandes d'achats de matériel formées par l'intéressé. Il suit de là que M. B...n'est pas fondé à soutenir que la décision du 29 juin 2015 serait fondée sur des griefs qui n'auraient pas été présentés préalablement par l'employeur.
12. En dernier lieu, M. B...soutient que la procédure de licenciement menée par son employeur est en lien avec ses interventions en tant que délégué du personnel pour dénoncer les réductions d'effectifs au sein de l'entreprise et la pression exercée sur les personnels et est entachée d'un détournement de procédure. Les pièces du dossier attestent certes des difficultés économiques de la société Mix Commerce, de ses conséquences sur le nombre de salariés et d'un contexte de travail tendu en particulier avec le changement du président directeur général. Toutefois, il est constant que le supérieur hiérarchique direct de M.B..., qui n'était investi d'aucun mandat de représentation du personnel, a également fait l'objet à la même période d'une procédure de licenciement, à raison des faits précédemment décrits. Dans ces conditions et dès lors que les faits sont établis, il ne ressort pas des pièces du dossier que la demande d'autorisation de licenciement pour faute grave présentée par la société Mix Commerce concernant M. B...a présenté un lien avec son mandat ni qu'elle a été présentée en vue de contourner les règles relatives au licenciement pour motif économique.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Mix Commerce est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 29 juin 2015.
Sur les conclusions tendant au prononcé d'une amende pour recours abusif :
14. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros ". La faculté prévue par ces dispositions constituant un pouvoir propre du juge, les conclusions de la société Mix Commerce tendant à ce que M. B...soit condamné à une telle amende ne sont pas recevables. En tout état de cause, il n'y a pas lieu d'infliger d'office une telle amende à M.B....
Sur les frais liés à l'instance :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Mix Commerce, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. B...au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a en revanche lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B...la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Mix Commerce et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1514486 du 31 mars 2017 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B...devant le Tribunal administratif de Paris ainsi que ses conclusions présentées en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : M. B...versera à la société Mix Commerce la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Mix Commerce est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Mix Commerce, à la ministre du travail et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 8 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- Mme Larsonnier, premier conseiller,
- Mme Guilloteau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 22 novembre 2018.
Le rapporteur,
L. GUILLOTEAULe président,
J. LAPOUZADE
Le greffier,
Y. HERBER La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA01845