Par un jugement n° 1905395 du 16 mars 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a annulé les décisions du préfet de police du 24 mai 2019 en tant qu'elles ont refusé à M. C... l'octroi d'un délai de départ volontaire et qu'elles ont prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de douze mois, a mis à la charge de l'Etat une somme de 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. C....
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 23 avril 2020, M. C..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler le jugement n° 1905395 du 16 mars 2020 du tribunal administratif de Melun en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 24 mai 2019 portant obligation de quitter le territoire français ;
3°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 24 mai 2019 du préfet de police l'obligeant à quitter le territoire français ;
4°) à titre subsidiaire, de solliciter pour avis le Conseil d'Etat sur la question du point de départ du délai de quatre mois fixé par l'article R. 311-12-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et à l'expiration duquel naît une décision implicite de rejet d'une demande de titre de séjour dans le cas particulier où l'administration affirme au demandeur que sa demande est toujours en cours d'instruction ;
5°) d'enjoindre au préfet de police ou au préfet territorialement compétent de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail et de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me B... sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que son conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle ou, à titre subsidiaire, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée, notamment en ce qui concerne sa vie privée et familiale ;
- elle procède d'un défaut d'examen complet de sa situation au regard de sa demande de titre de séjour en cours d'instruction à la date de la mesure d'éloignement ;
- elle méconnait le principe du contradictoire, les articles L. 121-1 et L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ainsi que le droit d'être entendu préalablement avant l'édiction d'une mesure d'éloignement tel que garanti par les stipulations de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- elle est entachée d'un défaut de base légale dès lors que sa demande de titre de séjour était en cours d'instruction à la date de la mesure d'éloignement ; cette dernière ne pouvait donc être fondée sur son séjour irrégulier sur le territoire français ;
- elle méconnait les stipulations des articles 7 quater et 10 de l'accord franco-tunisien ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée au préfet de police qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une décision du 29 décembre 2020, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a constaté la caducité de la demande de M. C....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n°2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C..., de nationalité tunisienne, né en 1987, est entré en France selon ses déclarations en 2013. Le 24 mai 2019, il a été interpellé par les services de police. Par des arrêtés du même jour, le préfet de police lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination d'une mesure d'éloignement et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de douze mois. M. C... relève appel du jugement du 16 mars 2020 du tribunal administratif de Melun en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 24 mai 2019 portant obligation de quitter le territoire français.
Sur la demande d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ".
3. Par une décision du 29 décembre 2020, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle formée par M. C.... Par suite, les conclusions présentées par M. C... tendant à être admis à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle dans l'attente que le bureau d'aide juridictionnelle statue sur sa demande sont devenues sans objet.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
4. L'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " I. _ L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; (...) ".
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée. (...) ".
6. La décision litigieuse vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son article 8 ainsi que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment ses articles L. 511-1 et L. 511-2. Elle mentionne également que M. C..., de nationalité tunisienne, ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français et qu'il est dépourvu de titre de séjour en cours de validité. Elle indique que M. C... a déclaré être marié, sans enfant, mais sans en apporter la preuve et porte l'appréciation selon laquelle il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Dans ces conditions, et alors que le préfet de police n'était pas tenu de reprendre l'ensemble des éléments relatifs à la situation personnelle de l'intéressé, la décision l'obligeant à quitter le territoire français comporte l'énoncé suffisant des considérations de droit et de fait qui la fondent. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision contestée doit être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes des dispositions de l'article R. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le silence gardé par l'administration sur les demandes de titres de séjour vaut décision implicite de rejet ". Aux termes de l'article R. 311-12-1 du même code : " La décision implicite mentionnée à l'article R. 311-12 naît au terme d'un délai de quatre mois ".
8. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a présenté une demande d'admission exceptionnelle au séjour auprès des services de la préfecture du Val-de-Marne le 14 juin 2018. Il soutient que sa demande de titre de séjour était toujours en cours d'instruction à la date de la décision l'obligeant à quitter le territoire français et que le préfet de police ne pouvait donc prendre à son encontre une telle décision en se fondant sur le caractère irrégulier de son séjour en France. Le requérant produit au soutien de ses affirmations un courriel de la préfecture du Val-de-Marne du 19 mars 2019 mentionnant que sa demande d'admission exceptionnelle au séjour était " en attente d'instruction " et l'invitant à patienter jusqu'à l'instruction de sa demande. Toutefois, ce courriel, qui est postérieur au délai de naissance de quatre mois d'une décision implicite de rejet de sa demande de titre de séjour, en application des dispositions précitées de l'article R. 311-12-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'a pu avoir pour effet de faire obstacle à la naissance d'une telle décision. Il s'ensuit que sa demande d'admission exceptionnelle au séjour a fait l'objet d'une décision implicite de rejet le 14 octobre 2018. Par suite, le préfet de police, qui a procédé à l'examen de la situation personnelle de l'intéressé, pouvait légalement prendre à son encontre une obligation de quitter le territoire français fondée sur le 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Par ailleurs, aux termes de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires réglées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'adresse non aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de sa méconnaissance par l'arrêté contesté, pris par une autorité d'un Etat membre, est inopérant. En revanche, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de Justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient donc aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause. En outre, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision.
10. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la décision contestée qui reprend les déclarations de M. C... concernant son mariage, que celui-ci a été interrogé sur sa vie privée et familiale. Si l'intéressé soutient qu'il n'a pas été informé par le préfet de police qu'il était susceptible de faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, ni n'a été mis en mesure de présenter ses observations sur l'éventualité d'une telle décision, il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier qu'il aurait fait état devant le premier juge de circonstances de droit ou de fait, qui, si elles avaient été communiquées au préfet de police avant la signature de l'arrêté, aurait pu conduire ce dernier à retenir une appréciation différente des faits de l'espèce. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision contestée aurait été prise en méconnaissance du principe général du droit d'être entendu issu du droit de l'Union européenne et du caractère contradictoire de la procédure tel qu'il résulte de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration doivent être écartés.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 : " Sans préjudice des dispositions du b et du d de l'article 7 ter, les ressortissants tunisiens bénéficient, dans les conditions prévues par la législation française, de la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ". Aux termes de l'article 10 du même accord : " 1. Un titre de séjour d'une durée de dix ans, ouvrant droit à l'exercice d'une activité professionnelle, est délivré de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour sur le territoire français : a) Au conjoint tunisien d'un ressortissant français, marié depuis au moins un an, à condition que la communauté de vie entre époux n'ait pas cessé, que le conjoint ait conservé sa nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état-civil français ".
12. Si le requérant entend soutenir qu'il ne pouvait pas faire l'objet d'une décision l'obligeant à quitter le territoire français dès lors qu'en tant que conjoint d'une ressortissante française, il devait bénéficier de plein droit d'un titre de séjour en application des stipulations de l'article 10 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988, il n'entre pas dans le champ d'application de ces stipulations qui prévoient la délivrance d'un titre de séjour de dix ans sous réserve de la régularité du séjour en France. Par ailleurs, le requérant ne peut utilement soutenir, à l'encontre de la décision l'obligeant à quitter le territoire français, que le préfet de police ne pouvait lui opposer, pour rejeter sa demande de titre de séjour, le défaut de visa long séjour.
13. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ".
14. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., qui a déclaré être entré en France en 2013, s'est marié avec une ressortissante française le 2 septembre 2017, que la communauté de vie est établie depuis le 21 août 2016, soit moins de trois ans à la date de la décision contestée, et que le couple n'a pas d'enfants. En outre, M. C... n'est pas dépourvu de toutes attaches familiales dans son pays d'origine où il a vécu jusqu'à l'âge de vingt-sept ans. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, notamment de la durée de la vie commune avec son épouse, le préfet de police n'a pas, en prenant une décision obligeant M. C... à quitter le territoire français, porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
15. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point précédent, le préfet de police n'a pas commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation de M. C....
16. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de saisir le Conseil d'Etat pour avis, que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Par voie de conséquence, les conclusions présentées aux fins d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. C... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 12 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Luben, président de la formation de jugement,
- Mme D..., premier conseiller,
- Mme Collet, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2021.
Le président de la formation de jugement,
I.LUBEN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA01240