Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 22 juillet 2020, Mme A..., représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
2°) d'annuler le jugement n° 2004340/12-3 du 24 juin 2020 du président du tribunal administratif de Paris ;
3°) d'annuler l'arrêté du 14 février 2020 du préfet de police ;
4°) d'enjoindre au préfet de police de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le premier juge a omis de répondre au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé, en droit comme en fait, dès lors que le préfet de police n'a pas mentionné la circonstance qu'elle est une personne vulnérable, ni la présence en France de sa fille mineure et qu'il n'a pas visé l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le préfet de police n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation et n'a pas pris en considération l'intérêt de sa fille ;
- l'arrêté contesté méconnaît son droit à être entendue, tel que garanti par l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dès lors qu'elle s'est vue notifier cet arrêté sans avoir été mise à même de présenter des observations écrites ou orales sur sa situation ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle est présente depuis 2012 sur le territoire français, qu'elle justifie de liens personnels intenses en France et que sa fille est née et est scolarisée en France ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant dès lors qu'il relève de l'intérêt supérieur de sa fille, née en France, qu'elle se maintienne sur le territoire français ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle a été victime d'un réseau de prostitution au Nigéria, auquel elle a dû rembourser une somme très importante, et qu'un retour dans ce pays l'exposerait au risque d'être à nouveau enrôlée de force dans ce réseau.
Par un mémoire en défense enregistré le 25 novembre 2020, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Par une décision du 25 janvier 2021, le président du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle présentée par Mme A....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... A..., ressortissante nigériane, née le 24 mai 1989, est entrée en France selon ses déclarations en 2012. Elle a été interpellée le 13 février 2020 par les services de police dans le cadre d'un contrôle d'identité. Par un arrêté du 14 février 2020, le préfet de police a obligé Mme A... à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination d'une mesure d'éloignement. Mme A... relève appel du jugement du 24 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions tendant à l'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :
2. Par une décision du 25 janvier 2021, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle présentée par Mme A.... En conséquence, il n'y a pas lieu de se prononcer sur les conclusions tendant à son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Si la requérante entend soutenir que le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il ressort du point 12 du jugement attaqué que le premier juge a répondu de manière suffisamment précise à ce moyen.
Sur la légalité de l'arrêté du 14 février 2020 :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. _ L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 743-1 et L. 743-2, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. (...) La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée. (...) ".
5. L'arrêté en litige vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8, et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment les 1° et 6° du I de son article L. 511-1 et son article L. 513-2. Il précise l'identité, la date et le lieu de naissance de Mme A..., que celle-ci ne peut justifier être entrée régulièrement sur le territoire français et qu'elle est dépourvue de titre de séjour en cours de validité. Il mentionne que l'intéressée a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile et que le statut de réfugié lui a été refusé par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides du 29 janvier 2016, confirmée par une décision du 14 décembre 2016 de la Cour nationale du droit d'asile. Il porte également l'appréciation selon laquelle, compte tenu des circonstances propres au cas d'espèce, il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Il mentionne la nationalité de Mme A... et l'indication que celle-ci n'établit pas être exposée à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. Ainsi, alors même qu'il ne vise pas l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et ne mentionne pas la présence en France de la fille mineure de Mme A..., l'arrêté contesté comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde. Par suite, le préfet de police, qui n'est pas tenu de reprendre l'ensemble des éléments de la situation de Mme A..., a satisfait à l'exigence de motivation prévue à l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, comme d'ailleurs aux articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cet arrêté doit être écarté.
6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet de police a procédé à un examen particulier de la situation de Mme A....
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires réglées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Aux termes de l'article 51 de cette charte : " 1. Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions et organes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l'application, conformément à leurs compétences respectives. / (...) ". Si le moyen tiré de la violation de l'article 41 précité par un Etat membre de l'Union européenne est inopérant dès lors qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que cet article ne s'adresse qu'aux organes et aux organismes de l'Union, le droit d'être entendu, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union, implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.
8. Il ressort du procès-verbal d'audition de Mme A... par les services de police le 13 février 2020, produit par le préfet de police en première instance, que l'intéressée a été interrogée sur les conditions de son entrée et de son séjour sur le territoire français, sur sa situation personnelle et familiale en France et a été mise à même de présenter des observations notamment sur une éventuelle mesure d'éloignement à destination de son pays d'origine. Dans ces conditions, Mme A... n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'a pas été en mesure de présenter des observations avant l'édiction de l'arrêté en litige.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
10. Mme A... soutient qu'elle réside en France depuis 2012 avec sa fille, née sur le territoire français en 2016 et scolarisée en classe de moyenne section, qu'elle a noué des liens personnels intenses et qu'elle a entrepris des démarches d'insertion en France. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... justifie résider habituellement en France depuis 2013 et qu'elle a donné naissance à sa fille le 18 février 2016 à Paris. Toutefois, elle n'établit pas l'existence des liens personnels dont elle se prévaut, ni être particulièrement intégrée à la société française. Elle ne démontre pas être dépourvue de toutes attaches familiales dans son pays d'origine, où elle a vécu au moins jusqu'à l'âge de 19 ans. Enfin, la requérante ne justifie pas être dans l'impossibilité de poursuivre sa vie familiale avec sa fille dans son pays d'origine. Dans ces conditions, l'arrêté litigieux n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris et n'a pas, par suite, méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. En cinquième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
12. Si Mme A... soutient que le préfet de police a méconnu l'intérêt supérieur de sa fille dès lors qu'elle sera nécessairement séparée de sa mère en cas de retour au Nigéria, elle n'établit pas, ainsi qu'il a été dit au point 10, l'impossibilité de poursuivre sa vie familiale avec sa fille dans son pays d'origine, ni que cette dernière, scolarisée en moyenne section, ne pourrait pas y poursuivre sa scolarité. Dans ces conditions, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté contesté méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
13. En sixième et dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
14. Mme A... soutient qu'un retour au Nigéria l'exposerait au risque d'être à nouveau exploitée par le réseau de prostitution qui l'a conduite en Europe et dont elle a réussi à s'extraire. Toutefois, il est constant que la demande d'asile de l'intéressée a été rejetée par une décision du 29 janvier 2016 de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, confirmée par une décision du 14 décembre 2016 de la Cour nationale du droit d'asile, laquelle a par ailleurs estimé que les déclarations de Mme A... ne permettaient pas de tenir pour établie son appartenance à un réseau de prostitution. L'attestation " Les amis du bus des Femmes " du 13 janvier 2020, qui indique notamment accompagner Mme A... depuis 2013, est insuffisante pour établir la réalité des menaces alléguées. En outre, les publications et les rapports auxquels la requérante se réfère et qui font état de considérations générales quant à la situation des jeunes femmes victimes des réseaux de prostitution au Nigéria ne permettent pas d'établir qu'elle serait personnellement exposée à des risques de subir des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en cas de retour dans son pays d'origine. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles relatives aux frais de l'instance doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de Mme A... tendant à être admise provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 12 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Luben, président de la formation de jugement,
- Mme Collet, premier conseiller,
- Mme D..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2021.
Le président de la formation de jugement,
I. LUBEN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA01831