Procédure devant la Cour :
I. Par une requête, enregistrée le 4 juillet 2017 sous le n° 17PA02238, la société Terrot, représentée par Me Benyounes, avocat, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1609175/1-2 du 9 mai 2017 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il n'a pas entièrement fait droit à ses conclusions ;
2°) de lui accorder la décharge des impositions et pénalités restant en litige et le rétablissement de son déficit de l'année 2010 ;
3°) de mettre une somme de 2 500 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la proposition de rectification du 23 octobre 2013 est insuffisamment motivée au regard de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales car elle ne fait pas état des déclarations rectificatives qu'elle a souscrites le 13 juillet 2011 au titre des années 2008, 2009 et 2010 et mentionne un fondement légal erroné ;
- la décision de rejet de la réclamation contentieuse a été signée par une inspectrice des impôts qui n'avait pas qualité pour ce faire ;
- elle était en droit de comptabiliser une perte définitive au titre de l'exercice 2008, dernier exercice non prescrit ;
- les titres de la société Terrot Stricksmaschinen GmbH qu'elle détenait avaient perdu leur qualité de titres de participation et s'étaient transformés en titres de placement en 2001 ;
- l'administration devait prendre en compte les déclarations de résultats rectificatives qu'elle avait souscrites le 13 juillet 2011, même si elles étaient hors délai (BOI BIC DECLA 30-10-10-20-20-20130121).
Par un mémoire, enregistré le 16 octobre 2017, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requérante n'est fondé.
II. Par un recours et un mémoire, enregistrés le 14 août 2017 et le 6 novembre 2017 sous le n° 17PA02828, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour :
1°) d'annuler l'article 1er du jugement n° 1609175/1-2 du 9 mai 2017 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande de la société Terrot en tant qu'elle vise les majorations pour manquement délibéré.
Il soutient que :
- en tant qu'il vise les majorations pour manquement délibéré, le jugement est entaché de contradiction de motifs et doit être annulé ;
- les majorations pour manquement délibéré n'ont jamais été mises en recouvrement.
Par des mémoires, enregistrés les 16 octobre 2017 et 5 janvier 2018, la société Terrot conclut au rejet du recours du ministre et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la simple erreur matérielle commise par le tribunal administratif n'affecte pas la régularité du jugement ;
- l'administration ne peut invoquer pour la première fois en appel l'absence de mise en recouvrement ;
- elle aurait dû dégrever d'office les majorations pour manquement délibéré ;
- l'article L. 190 du livre des procédures fiscales n'exclut pas la contestation de majorations appliquées à des redressements notifiés en l'absence de mise en recouvrement d'impositions supplémentaires ;
- la position de l'administration est contraire à la lettre et à l'esprit du BOI 13 0-1-06 n° 135 du 10 août 2006.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dalle,
- les conclusions de M. Platillero, rapporteur public,
- et les observations de Me Derhy, avocat de la société Terrot.
1. Considérant que la société Terrot a fait l'objet en 2013 d'une vérification de comptabilité portant sur les années 2010 et 2011, à l'issue de laquelle l'administration a, notamment, remis en cause la déduction du résultat imposable de l'exercice clos le 31 décembre 2010 d'une perte exceptionnelle de 9 439 408 euros, ainsi que l'inscription au compte " titres immobilisés " du bilan de l'exercice clos le 31 décembre 2011 de la société Terrot des titres de sa filiale allemande, la société Terrot Stricksmaschinen GmbH, qui figuraient jusqu'alors au compte " titres de participations " du bilan ; qu'à la suite de ce contrôle, un complément d'impôt sur les sociétés d'un montant de 11 097 euros a été assigné à la société Terrot au titre de l'année 2011 et le déficit reportable d'un montant de 16 937 058 euros qu'elle avait déclaré au titre de l'année 2010 a été réduit à 7 450 947 euros ; que la société Terrot a contesté cette imposition supplémentaire devant le Tribunal administratif de Paris et demandé le rétablissement de son déficit reportable de l'année 2010 ; que, par une requête enregistré sous le numéro 17PA02238, elle relève appel du jugement du 9 mai 2017 du tribunal administratif en tant qu'il n'a pas entièrement fait droit à ses conclusions en décharge et s'est borné à prononcer la décharge de la majoration pour manquement délibéré qui lui a été notifiée au titre de l'année 2011 ; que, par un recours enregistré sous le numéro 17PA02828, le ministre de l'action et des comptes publics relève appel du jugement en tant qu'il a prononcé la décharge des majorations pour manquement délibéré ; que ces affaires présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu en conséquence de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) " ; que la proposition de rectification du 23 octobre 2013 mentionne, aux pages 5 et 6, les déclarations de résultats rectificatives souscrites le 13 juillet 2011 par la société Terrot, au titre des années 2008, 2009 et 2010 ; que le moyen tiré de ce que cette proposition de rectification serait insuffisamment motivée du fait qu'elle ne ferait pas état de ces déclarations rectificatives doit en conséquence être écarté ; que, par ailleurs, cette proposition de rectification expose, de manière précise et complète, les rectifications opérées au titre des années 2010 et 2011, relatives aux titres de la société Terrot Stricksmaschinen GmbH, en sorte que la société Terrot était à même de présenter utilement ses observations, ce qu'elle a fait du reste par lettres du 20 décembre 2013 et du 8 janvier 2014 ; que par suite et quand bien même cette proposition de rectification aurait cité un fondement légal erroné pour ce chef de redressement, elle était suffisamment motivée au regard des dispositions précitées de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ;
3. Considérant que la circonstance que la décision en date du 19 avril 2016, par laquelle l'administration a rejeté la réclamation contentieuse de la société Perrot, aurait été signée par un agent incompétent n'a aucune incidence sur la régularité ou le bien-fondé des rectifications en litige ;
Sur le bien-fondé des rectifications opérées par le service :
4. Considérant qu'aux termes de l'article 219 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " I. Pour le calcul de l'impôt, le bénéfice imposable est arrondi à l'euro le plus proche. La fraction d'euro égale à 0, 50 est comptée pour 1. Le taux normal de l'impôt est fixé à 33, 1 / 3 %. Toutefois : (...) a ter (...) Lorsque l'entreprise transfère des titres du compte de titres de participation à un autre compte du bilan, la plus-value ou la moins-value, égale à la différence existant entre leur valeur réelle à la date du transfert et celle qu'ils avaient sur le plan fiscal, n'est pas retenue, pour le calcul du résultat ou de la plus-value ou moins-value nette à long terme, au titre de l'exercice de ce transfert ; elle est comprise dans le résultat imposable de l'exercice de cession des titres en cause et soumise au régime fiscal qui lui aurait été appliqué lors du transfert des titres. Le résultat imposable de la cession des titres transférés est calculé par référence à leur valeur réelle à la date du transfert. Le délai mentionné à l'article 39 duodecies est apprécié à cette date (...) Les titres inscrits au compte de titres de participation ou à l'une des subdivisions spéciales mentionnées au troisième alinéa qui cessent de remplir les conditions mentionnées à ce même alinéa doivent être transférés hors de ce compte ou de cette subdivision à la date à laquelle ces conditions ne sont plus remplies. A défaut d'un tel transfert, les titres maintenus à ce compte ou à cette subdivision sont réputés transférés pour l'application des cinquième, sixième et dixième alinéas ; les dispositions prévues au douzième alinéa en cas d'omission s'appliquent (...) " ; que le troisième alinéa du paragraphe a ter précité dispose que " constituent des titres de participation les parts ou actions de sociétés revêtant ce caractère sur le plan comptable " ; que le douzième alinéa du paragraphe a ter précité dispose que " Le défaut de production de l'état mentionné au onzième alinéa ou l'omission des valeurs ou provisions qui doivent y être portées entraînent l'imposition immédiate des plus-values et des provisions omises ; les moins-values ne peuvent être déduites que des résultats imposables de l'exercice au cours duquel les titres considérés sont cédés " ;
5. Considérant que la société Terrot détenait 60 % du capital de la société Terrot Stricksmaschinen GmbH ; qu'elle soutient qu'à compter de 2001, en raison de l'absence de perspectives financières et de l'obsolescence du matériel, les titres détenus dans le capital de sa filiale allemande ne pouvaient plus être regardés comme des " titres de participation " mais devaient être considérés comme des " titres de placement " ; que, dès lors, au titre de l'exercice clos en 2010, la société Terrot a constaté la sortie d'actif des titres de sa filiale allemande et comptabilisé une perte exceptionnelle de 9 439 408 euros ; que, toutefois, il est constant que les titres de la société Terrot Stricksmaschinen GmbH n'ont été ni cédés ni annulés en 2010 et qu'ils figuraient d'ailleurs toujours au bilan de l'exercice clos en 2011 de la société Terrot ; qu'il n'est pas établi ni allégué que ces titres avaient perdu toute valeur en 2010 ; que l'administration était par suite en droit de réintégrer la somme de 9 439 408 euros au résultat de l'exercice clos en 2010 ;
6. Considérant que, comme il vient d'être dit, les titres de la société Terrot Stricksmaschinen GmbH figuraient toujours à l'actif du bilan de la société Terrot en 2011 ; que toutefois ces titres n'étaient plus inscrits, comme ils l'avaient été jusqu'alors, au compte " titres de participation " du bilan mais au compte " titres immobilisés " ; que si les dispositions précitées du a ter du I de l'article 219 du code général des impôts imposent à l'entreprise de transférer au compte adéquat du bilan les titres inscrits au compte " titres de participation " qui cessent de répondre à la définition fiscale des titres de participation, la société Terrot ne fait état en l'espèce d'aucune circonstance qui justifierait un tel transfert ; qu'en 2011 elle détenait toujours 60 % du capital de la société Terrot Stricksmaschinen GmbH, pouvait par suite participer à sa gestion et la contrôler et il est constant que les titres en cause avaient la nature de titres de participation au moment de leur acquisition ; que la circonstance que postérieurement à l'achat des titres, la société Terrot Stricksmaschinen GmbH aurait rencontré des difficultés et qu'en 2011 elle faisait l'objet en Allemagne d'une procédure d'insolvabilité ne saurait avoir pour effet de modifier la qualification de ces titres et de permettre leur inscription, au bilan de l'exercice clos en 2011, à un compte de titres de placement ; que l'administration était par suite en droit, comme elle l'a fait, de corriger cette inscription comptable ;
7. Considérant que la société Terrot reproche à l'administration d'avoir effectué les rectifications à partir des résultats qu'elle avait initialement déclarés, sans tenir compte des déclarations rectificatives qu'elle a souscrites le 13 juillet 2011 au titre des années 2008, 2009 et 2010, et notamment de celle relative à l'année 2008, dans laquelle elle constatait au titre de l'année 2008 la perte exceptionnelle de 9 439 408 euros qu'elle avait initialement comptabilisée au titre de l'année 2010 ; qu'elle invoque la doctrine administrative (BOI-BIC-DECLA-30-10-10-20) selon laquelle " le service des impôts ne doit pas, en fait, se refuser à tenir compte de la déclaration rectificative produite hors délai si, cette déclaration ayant, par exemple, seulement pour objet de rectifier une erreur matérielle, il n'existe aucun doute sur son bien-fondé " ; que, toutefois, les résultats bénéficiaires ou déficitaires à retenir pour l'établissement de l'impôt sur les sociétés dû au titre d'un exercice déterminé s'apprécient en application des dispositions du 1 de l'article 223 du code général des impôts d'après la déclaration souscrite dans le délai légal ; que le vérificateur était par suite en droit de ne pas tenir compte des déclarations rectificatives souscrites le 13 juillet 2011, en dehors du délai légal, par la société Terrot ; qu'en tout état de cause, la société Terrot n'apporte aucun élément de nature à établir qu'en 2008 sa participation dans la société Terrot Stricksmaschinen GmbH avait définitivement perdu toute valeur et qu'elle aurait été en droit, si elle avait effectué sa déclaration dans le délai légal, de comptabiliser une perte exceptionnelle correspondant à la valeur des titres ; que la procédure d'insolvabilité à laquelle elle fait allusion n'est intervenue qu'en 2011 ;
Sur les majorations pour manquement délibéré :
8. Considérant que le ministre est recevable à contester pour la première fois en appel la recevabilité de la demande de première instance lorsque les premiers juges y ont fait droit alors qu'elle était irrecevable, question qui est au demeurant d'ordre public pour le juge d'appel ; qu'il résulte des pièces du dossier et qu'il n'est d'ailleurs pas contesté par la société Terrot qu'aucune majoration pour manquement délibéré n'a été mise en recouvrement au titre des années en litige 2010 et 2011, ce qui a pour conséquence que n'existait aucun litige susceptible d'être porté devant le juge de l'impôt ; qu'ainsi la société Terrot est sans intérêt et, par suite, irrecevable à contester ces pénalités, alors même qu'elles ont été mentionnées dans la proposition de rectification ; que c'est dès lors à tort que le tribunal administratif en a prononcé la décharge, comme le soutient en appel le ministre à l'appui de son recours ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, d'une part, que le ministre, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de son recours, est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge des majorations pour manquement délibéré, d'autre part, que la société Terrot n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le surplus de sa demande a été rejeté ; que, par voie de conséquence, les conclusions de la société présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1609175/1-2 du 9 mai 2017 du Tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il a prononcé la décharge des majorations pour manquement délibéré infligées à la société Terrot.
Article 2 : Les conclusions relatives aux majorations pour manquement délibéré présentées par la société Terrot devant le Tribunal administratif de Paris et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Terrot et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Ile-de-France (division juridique est).
Délibéré après l'audience du 29 mars 2018 à laquelle siégeaient :
M. Jardin, président de chambre,
M. Dalle, président assesseur,
Mme Notarianni, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 19 avril 2018.
Le rapporteur, Le président,
D. DALLE C. JARDIN
Le greffier,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA02238, 17PA02828