Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 11 septembre 2017 et 30 novembre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour d'annuler le jugement du 12 juillet 2017 du Tribunal administratif de Paris et de remettre à la charge de la société Google Ireland Limited les impositions et pénalités dont les premiers juges ont prononcé la décharge.
Il soutient que :
- la société Google Ireland Limited est établie en France, au sens de l'article 283 du code général des impôts, dès lors qu'elle y dispose au travers de la SARL Google France d'une structure comportant les moyens humains et matériels nécessaires à l'exercice d'une activité de vente d'espaces publicitaires ; elle est en conséquence redevable de la taxe sur la valeur ajoutée due en France à raison de cette activité.
Par des mémoires, enregistrés les 31 janvier 2018 et 21 décembre 2018, la société Google Ireland Limited conclut au rejet de la requête du ministre et demande que soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés ;
- à titre subsidiaire, son activité en France n'étant pas occulte, l'administration ne pouvait appliquer le délai de reprise étendu prévu par l'article L. 176 du livre des procédures fiscales ni lui faire supporter les majorations de 80 % prévues en cas de découverte d'une activité occulte par les dispositions du c du 1 de l'article 1728 du code général des impôts ;
- le rappel litigieux la conduit à régler au Trésor une taxe qui a déjà été acquittée pour les mêmes services par les clients français ; cette double imposition est contraire au principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 ;
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dalle,
- les conclusions de Mme Mielnik Meddah, rapporteur public,
- et les observations de M. A...et de M.B..., pour le ministre de l'action et des comptes publics, ainsi que de Me Meier, avocat de la société Google Ireland Limited.
Considérant ce qui suit :
1. L'administration fiscale a diligenté en 2010, 2011 et 2012 différents contrôles à l'encontre de sociétés du groupe Google. A l'issue de ces opérations, elle a estimé que la société de droit irlandais Google Ireland Limited, dont le siège est à Dublin, réalisait en France des prestations de publicité par l'intermédiaire de l'établissement stable dont elle disposait en la SARL Google France et qu'elle était redevable de la taxe sur la valeur ajoutée due en France à raison de ces prestations. Le ministre de l'action et des comptes publics relève appel du jugement du 12 juillet 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a déchargé la société Google Ireland Limited du rappel de taxe sur la valeur ajoutée auquel cette société a en conséquence été assujettie au titre de la période couvrant les années 2005 à 2010.
2. Aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ".
En ce qui concerne la période correspondant aux années 2005 à 2009 :
3. D'une part, aux termes de l'article 259 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Le lieu des prestations de services est réputé se situer en France lorsque le prestataire a en France le siège de son activité ou un établissement stable à partir duquel le service est rendu ou, à défaut, son domicile ou sa résidence habituelle ".
4. Pour l'application des dispositions citées au point précédent, qui résultent de la transposition en droit interne de l'article 9 de la directive 77/388/CEE du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, il convient, comme la Cour de justice des Communautés européennes l'a jugé notamment dans ses arrêts Berkholz du 4 juillet 1985 (C-168/84, points 17 et 18) et ARO Lease BV du 17 juillet 1997 (C-190/95, points 15 et 16), de déterminer le point de rattachement des services rendus afin d'établir le lieu des prestations de services. L'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique apparaît comme un point de rattachement prioritaire, la prise en considération d'un autre établissement à partir duquel la prestation de services est rendue ne présentant un intérêt que dans le cas où le rattachement au siège ne conduit pas à une solution rationnelle du point de vue fiscal ou crée un conflit avec un autre Etat membre. Un établissement ne peut être utilement regardé, par dérogation au critère prioritaire du siège, comme lieu des prestations de services d'un assujetti, que s'il présente un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l'équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services considérées.
5. D'autre part, aux termes de l'article 283 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " 1. La taxe sur la valeur ajoutée doit être acquittée par les personnes qui réalisent les opérations imposables (...) Toutefois, lorsque la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée par un assujetti établi hors de France, la taxe est acquittée par l'acquéreur, le destinataire ou le preneur (...) ".
6. Le groupe Google, qui exploite un moteur de recherche sur Internet, propose en outre un service payant, " AdWords ", permettant à tout annonceur, par référencement préalable d'un ou plusieurs mots-clés, de commander l'apparition à l'écran, lorsque la requête adressée par un internaute au moteur de recherche contient ce ou ces mots-clés, d'un lien promotionnel accompagné d'un bref message publicitaire, cette annonce s'affichant, en partie latérale ou supérieure de l'écran, en supplément des résultats générés spontanément par le moteur de recherche. Ce service payant de référencement est facturé à l'annonceur à raison de chaque clic d'internaute sur le lien promotionnel, son prix prenant également en compte le coût maximal par clic que l'annonceur a déclaré être prêt à assumer. Plusieurs annonceurs pouvant sélectionner les mêmes mots-clés, un système automatisé d'enchères effectue en temps réel la sélection et l'ordre d'affichage des annonces en concurrence, déterminés notamment en fonction du coût maximal par clic, du nombre de clics antérieurs sur les liens concernés ainsi que de la qualité des annonces telle qu'évaluée par Google. Le service " AdWords " est proposé aux annonceurs selon deux modalités, " OSO " (Online Sales Organization) et " DSO " (Direct Sales Organization), la première destinée aux clients souhaitant élaborer eux-mêmes, en ligne, leurs campagnes publicitaires, la seconde incluant un service d'assistance assuré par des salariés de la SARL Google France, destiné à aider les annonceurs ou leurs agences de publicité à utiliser au mieux le produit " AdWords ". L'administration a considéré que les prestations de publicité ainsi rendues et facturées dans le cadre de l'offre " DSO " par la société Google Ireland Limited étaient imposables en France à la taxe sur la valeur ajoutée et que la société Google Ireland Limited était le redevable de cette taxe, dès lors qu'elle était établie en France, au sens de l'article 283 du code général des impôts, y ayant un établissement stable au travers de la SARL Google France. La société Google Ireland Limited ne conteste pas que les prestations en cause étaient imposables en France à la taxe sur la valeur ajoutée. Elle fait valoir qu'elle ne saurait être le redevable de cette taxe dès lors que la SARL Google France ne disposait pas des moyens humains et techniques lui permettant de réaliser de manière autonome les prestations de publicité.
7. Un contrat de prestations de services (" Marketing and Services Agreement ") a été conclu le 16 mai 2002 entre la société américaine Google Inc. et la SARL Google France. Le 1er juillet 2004, ce contrat a été cédé par Google Inc. à la société Google Ireland Limited. Aux termes de ce contrat, la SARL Google France fournit à la société Google Ireland Limited : " tous les services, les conseils, les recommandations et l'assistance requis par [cette dernière] société dans le cadre des activités de soutien au marketing et à la vente pour les services [de recherche] Internet fournis [en France] ". Ces services incluent " les opérations de marketing et la démonstration des services Internet de la Société [Google Ireland Limited] ", la SARL Google France " assist[ant] également [cette dernière] dans l'analyse du marché et l'analyse stratégique, y compris l'analyse de clients potentiels auxquels les services Internet peuvent être vendus ". L'article 2.1. dudit contrat stipule par ailleurs : " Lors de la fourniture de l'assistance de soutien à la vente, [la SARL Google France] comprend et convient qu['elle] n'a pas le pouvoir d'engager la Société [Google Ireland Limited], d'agir comme mandataire ou représentant autorisé à agir en tant que mandataire pour le compte ou au nom de la Société [Google Ireland Limited], ou de signer tout contrat ou accord au nom de la Société. Plus spécifiquement, [la SARL Google France] ne négociera pas de contrats ou de licences pour le compte de la Société [Google Ireland Limited] ni n'acceptera de commandes pour le compte de [cette dernière] ".
8. Le ministre soutient que, bien que les termes des stipulations citées au point 7 dénient expressément à la SARL Google France toute qualité pour engager d'une quelconque façon la société Google Ireland Limited, les salariés de la SARL Google France sont en réalité investis du pouvoir de conclure des contrats au nom de la société Google Ireland Limited. Il fait valoir que l'exécution du contrat de prestation de services révèle que la société Google Ireland Limited a entendu confier à la SARL Google France le soin d'exprimer en son nom le consentement contractuel avec les annonceurs ou leurs agents, c'est-à-dire de porter une appréciation sur l'opportunité d'engager une relation contractuelle avec les annonceurs.
9. A cet égard, le ministre a relevé que les éléments essentiels des contrats, tels que la consistance de la prestation, son intensité et le budget maximal que chaque annonceur est prêt à dépenser pour la réalisation de la campagne publicitaire, étaient négociés par des salariés de la SARL Google France, que la société Google Ireland Limited n'apposait qu'une signature formelle et routinière sur les contrats qui lui étaient ensuite retournés par Google France, qu'il n'était pas établi que les campagnes débutent postérieurement à la signature des contrats AdWords, contrairement à ce que ceux-ci prévoient, des incohérences ayant été relevées par le service entre les dates de mise en ligne des campagnes et celles d'apposition des signatures par les salariés de la société Google Ireland Limited et, enfin, que des salariés de Google France pouvaient reporter seuls les dates de fin de campagne, sans en référer à GIL, ou relancer des campagnes publicitaires sans faire signer de nouveaux contrats aux clients.
10. Cependant, il résulte de l'instruction qu'en exécution du contrat de prestation de services passé entre les sociétés Google Ireland Limited et Google France, cette dernière effectue des tâches de prospection commerciale en direction des annonceurs français disposant des budgets de publicité les plus importants, en leur proposant de les aider dans l'utilisation du produit " AdWords ". Il ne résulte d'aucune des pièces du dossier qu'outre ces travaux de prospection commerciale et d'assistance aux clients français, qui sont bien réels et correspondent à l'objet de ce contrat, la société Google Ireland Limited aurait également entendu confier à la SARL Google France le soin de conclure les contrats en son nom. La circonstance que les salariés de la SARL Google France démarchent les clients français et, dans le cadre du service d'" optimisation " des campagnes publicitaires lié à la modalité de commercialisation " DSO ", leur apportent une assistance pour le choix des mots-clés, ainsi que la fixation des dates et des durées de campagnes et du montant maximal du budget, n'implique pas que la société Google Ireland Limited aurait entendu leur confier un quelconque pouvoir d'engagement en son nom. Il en va de même du fait qu'elle appose sa signature sur les contrats à l'aide d'un procédé électronique dès lors qu'il est constant qu'elle revoit systématiquement les contrats avant signature, qu'elle a refusé d'en signer certains et qu'elle justifie par les pièces produites lors du contrôle et au cours de la procédure contentieuse que la mise en ligne des campagnes publicitaires n'intervient qu'après signature par elle des contrats. Les quelques extraits de courriels échangés entre des salariés d'agences de publicité, d'une part, et de la SARL Google France, d'autre part, produits par le ministre en appel, ne permettent pas d'établir que ces derniers auraient la faculté de décider seuls du prolongement de campagnes publicitaires, sans en référer à Google Ireland Limited, contrairement à ce que prévoit la clause 12.3 du contrat " AdWords ".
11. Il résulte de ce qui précède que les salariés de la SARL Google France n'ont pas la capacité juridique d'engager la société Google Ireland Limited, ni la possibilité de mettre eux-mêmes en ligne les annonces publicitaires. Cette mise en ligne est dans tous les cas subordonnée à la signature préalable des contrats par la société Google Ireland Limited. Celle-ci ne peut donc être regardée comme ayant disposé au titre de la période en litige de l'équipement humain apte à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de publicité litigieuses.
12. Par ailleurs, il résulte de l'instruction, en particulier de deux procès-verbaux de constat d'huissier en date des 15 janvier 2007 et 4 novembre 2011, que les centres de données et les serveurs hébergeant le moteur de recherche Google sont situés principalement aux Etats-Unis. Aucun de ces équipements n'est situé sur le territoire français. Il ne résulte pas de l'instruction et n'est pas soutenu par le ministre que la société Google Ireland Limited aurait un accès quelconque à ces équipements ou qu'elle pourrait les contrôler. Si le ministre invoque la présence de matériel informatique en France, sur le site parisien de la SARL Google France et dans onze départements français, ainsi que des travaux de raccordement entre différents sites en France abritant des centres de données, la société Google Ireland Limited soutient, sans être contredite et sans qu'aucune des pièces du dossier permette de mettre en cause cette affirmation, que ces locaux et ces centres de données abritent des équipements auxiliaires de type " switch routeurs " et " backbones ", qui sont destinés à améliorer la vitesse de connexion au réseau des utilisateurs français mais, en tant que tels, ne permettent pas de fournir le service d'enchères publicitaires aux clients. Ainsi, la société Google Ireland Limited ne disposait pas, au titre de la période en litige, de l'équipement technique apte à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de publicité litigieuses. Elle ne peut donc être regardée comme ayant été établie en France au cours des années 2005 à 2009, au sens de l'article 283 du code général des impôts.
En ce qui concerne la période correspondant à l'année 2010 :
13. D'une part, aux termes de l'article 259 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à compter du 1er janvier 2010 : " Le lieu des prestations de services est situé en France : 1° Lorsque le preneur est un assujetti agissant en tant que tel et qu'il a en France : a) Le siège de son activité économique, sauf lorsqu'il dispose d'un établissement stable non situé en France auquel les services sont fournis ; b) Ou un établissement stable auquel les services sont fournis ; c) Ou, à défaut du a ou du b, son domicile ou sa résidence habituelle (...) ".
14. D'autre part, aux termes de l'article 283 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à compter du 1er janvier 2010 : " 1. La taxe sur la valeur ajoutée doit être acquittée par les personnes qui réalisent les opérations imposables (...) 2. Lorsque les prestations mentionnées au 1° de l'article 259 sont fournies par un assujetti qui n'est pas établi en France, la taxe doit être acquittée par le preneur ".
15. Ainsi qu'il a été dit précédemment, la société Google Ireland Limited ne peut être regardée comme établie en France au titre des années 2005 à 2009. En ce qui concerne l'année 2010, l'administration n'apporte pas d'autre élément de nature à établir que la société Google Ireland Limited aurait été établie en France au titre de cette année. Il s'ensuit qu'en application des dispositions précitées, elle n'était pas davantage redevable, au titre de l'année 2010, de la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux prestations de publicité litigieuses.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge des impositions et pénalités en litige. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée par la société Google Ireland Limited au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'action et des comptes publics est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Google Ireland Limited au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Google Ireland Limited et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2019 à laquelle siégeaient :
M. Jardin, président de chambre,
M. Dalle, président assesseur,
Mme Stoltz-Valette, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 25 avril 2019.
Le rapporteur, Le président,
D. DALLE C. JARDIN
Le greffier,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 17PA03069