Par une requête, enregistrée le 26 juillet 2017, MmeB..., représentée par MeC..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1601176/5-1 du 24 mai 2017 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 90 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 octobre 2015, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison des faits de harcèlement dont elle a été victime dans l'exercice de ses fonctions à la préfecture de police de Paris ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le Tribunal administratif de Paris a jugé à tort que les éléments dont elle a fait état ne suffisent pas à faire présumer l'existence de faits de harcèlement moral ;
- il a commis une erreur de droit en méconnaissant le régime de la preuve applicable en matière de harcèlement moral ;
- il a commis une erreur de fait en jugeant que le refus de sa hiérarchie de l'intégrer dans le planning des permanences en 2010 et 2011 est seulement dû à des risques de conflits d'intérêt ;
- les préjudices qu'elle a subis en raison du harcèlement moral dont elle a été victime doivent être évalués à la somme de 90 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mars 2018, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête de Mme B...est tardive et, par suite, irrecevable ;
- il n'est pas compétent pour défendre en appel dans la présente instance dès lors que seul le préfet de police, en sa qualité de chef des administrations parisiennes, est compétent pour défendre au contentieux les affaires relatives aux agents relevant de ces administrations, placés sous son autorité ;
- les conclusions indemnitaires sont mal dirigées dès lors que Mme B...n'est pas un fonctionnaire de l'Etat mais relève du statut des personnels des administrations parisiennes ;
- les moyens soulevés par Mme B...ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 19 mars 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 avril 2018 à 12h.
Le préfet de police a déposé un mémoire le 3 août 2018, postérieurement à la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 94-415 du 24 mai 1994 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dalle,
- et les conclusions de Mme Mielnik-Meddah, rapporteur public.
1. Considérant que MmeB..., adjointe administrative de la préfecture de police, est affectée depuis le 27 novembre 2007 au huitième bureau de la direction de la police générale ; qu'elle relève appel du jugement du 24 mai 2017, par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 90 000 euros ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 23 octobre 2015 en réparation des préjudices causés par le harcèlement moral dont elle aurait été victime dans l'exercice de ses fonctions à la préfecture de police de Paris ;
2. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. " ;
3. Considérant qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires ; qu'en outre, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral ;
4. Considérant que, pour faire présumer l'existence du harcèlement moral dont elle aurait été victime de la part de sa hiérarchie, Mme B...soutient qu'elle a été invitée à quitter le huitième bureau de la direction de la police générale à la suite de son mariage avec un ressortissant étranger en situation irrégulière en 2009 ; que du fait de ce mariage, ses supérieurs hiérarchiques successifs ont adopté à son égard un comportement malveillant, agressif, vexatoire et irrespectueux ; qu'elle a été privée sans raison de la possibilité d'effectuer des permanences rémunérées les samedis, dimanches et jours fériés alors qu'elle s'était portée volontaire ; que la prime de fin d'année qui lui a été attribuée en 2014 est inférieure à celle perçue par d'autres agents ; qu'elle a demandé en vain à plusieurs reprises à changer de service ; qu'une procédure disciplinaire a été engagée à son encontre concomitamment à sa demande indemnitaire préalable ; qu'elle n'est pas le seul agent de la préfecture de police à avoir subi un harcèlement moral ; qu'elle souffre d'un syndrome dépressif depuis 2010 en raison de la dégradation de ses conditions de travail ;
5. Considérant que, s'agissant de l'invitation à changer d'affectation, il résulte de l'instruction qu'elle était justifiée par la nécessité de mettre un terme à une situation de conflit d'intérêt, Mme B...ayant cherché, au cours de l'instruction de la demande de titre de séjour de son époux, à obtenir au profit de ce dernier un traitement de faveur de la part du 9ème bureau en charge de la délivrance des titres de séjour ; qu'ainsi, l'invitation à quitter le huitième bureau de la direction de la police générale était justifiée par les nécessités du service et Mme B...ne s'y était d'ailleurs pas opposée ; que, s'agissant du comportement de ses supérieurs hiérarchiques,
Mme B...ne produit aucune pièce à l'appui de ses allégations, excepté un courriel adressé au syndicat CGT et faisant état d'excuses de l'un de ses supérieurs ; que si ce dernier admet avoir tenu un propos grossier à l'encontre de la requérante lors d'un entretien avec elle, il ne peut en être tiré aucune conclusion dès lors qu'il résulte de l'instruction que l'intéressée est elle-même coutumière de comportements grossiers, insolents et irrespectueux ; qu'elle a du reste fait l'objet de plusieurs rapports disciplinaires en raison d'altercations verbales avec ses supérieurs hiérarchiques, d'une altercation avec un gardien de la paix de la préfecture de police et d'un rappel à la loi pour violences volontaires le 24 novembre 2014 ; que, s'agissant des permanences, il résulte de l'instruction, d'une part, que le refus de sa hiérarchie de l'intégrer dans le planning des permanences en 2010 et 2011 est lié au risque de conflit d'intérêt évoqué précédemment, d'autre part, qu'elle a été réintégrée dans le planning à la fin de l'année 2012, enfin, qu'elle a assuré en moyenne le même nombre de permanences que ses collègues dans la période postérieure, notamment en 2015 ; que, s'agissant de son traitement indemnitaire, Mme B...n'apporte aucun élément de nature à établir que la prime de fin d'année qui lui a été attribuée en 2014 serait inférieure à celle perçue par ses collègues ; qu'en revanche, il résulte de l'instruction que le taux des indemnités qui lui ont été allouées était de 84,05 % en 2010, 85 % en 2011, 95 % en 2012 et de 100 % à compter de 2013, d'autre part, qu'une prime supplémentaire de 100 euros lui a été attribuée au titre de l'année 2016 ; que, s'agissant de la procédure disciplinaire, celle-ci a été engagée le 11 septembre 2015, soit bien avant la demande indemnitaire préalable du 23 octobre 2015 ; qu'en outre, ni la saisine, dans le cadre de cette procédure, de l'inspection générale de la police nationale, justifiée par la volonté du préfet de police d'étayer certains faits reprochés à l'intéressée, ni la circonstance que le conseil de discipline, réuni le 2 mai 2017, ait proposé de lui infliger un blâme alors que l'autorité disciplinaire proposait sa révocation, ne sont de nature à faire présumer l'existence de faits de harcèlement moral ; qu'enfin, s'agissant de son état de santé, si elle établit souffrir d'un syndrome dépressif, elle n'établit pas qu'il résulterait d'une dégradation de ses conditions de travail ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les éléments invoqués par Mme B...ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur, que Mme B...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...B..., au préfet de police et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 13 septembre 2018 , à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- M. Dalle, président assesseur,
- Mme Stoltz-Valette, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 27 septembre 2018 .
Le rapporteur,
D. DALLELe président,
C. JARDIN
Le greffier,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA02619