Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 janvier 2020 sous le n° 20MA00309 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille et ensuite sous le n° 20TL00309 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et un mémoire enregistré le 13 avril 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de la société Keliadis présentée devant le tribunal administratif de Nîmes ;
3°) de rétablir la société Keliadis aux rôles de l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos le 31 janvier 2013.
Il soutient que :
- la comparaison avec des transactions portant sur des actions de sociétés externes ne peut être assimilée à une " méthode par comparaison " et c'est donc à tort que le tribunal administratif a considéré que l'administration avait procédé à une combinaison entre une " méthode par comparaison " et des méthodes alternatives ;
- l'exactitude de l'évaluation de la société Sogardis est établie notamment par la comparaison avec les autres transactions de sociétés exploitant des magasins à la même enseigne, ainsi que l'existence d'une libéralité ;
- le tribunal administratif de Nîmes n'a pas tiré les conséquences de sa constatation selon laquelle l'évaluation de la société Sogardis faite dans le cadre de la convention de divorce entre M. B... et Mme A... ne lie pas l'administration fiscale.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 30 juillet 2020 et le 14 avril 2021, la société Keliadis, représentée par Me Morvan, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'économie, des finances et de la relance ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 7 janvier 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Barthez,
- les conclusions de Mme Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Morvan, représentant la société Keliadis.
Considérant ce qui suit :
1. Le 5 avril 2012, M. B... a créé la société Keliadis et lui a apporté les 2 855 titres qu'il détenait dans le capital de la société Sogardis, exploitant un fonds de commerce à l'enseigne Leclerc à Alès. Le 13 avril 2012, Mme A..., son épouse jusqu'à l'intervention du jugement de divorce du 2 mai 2012, a cédé à la société Keliadis les 2 866 titres de la société Sogardis qu'elle détenait. Pour chacune de ces opérations, les titres ont été évalués à la valeur unitaire de 560,22 euros. La société Keliadis a ensuite fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration a estimé que le prix d'acquisition des actions de la société Sogardis avait été minoré pour dissimuler une libéralité consentie à l'acquéreur et a proposé une rectification du résultat imposable de la société Keliadis s'établissant, à la suite de l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, à la somme de 5 414 028 euros, correspondant à une valeur unitaire des titres de 1 508 euros.
2. Par le jugement attaqué du 4 octobre 2019, le tribunal administratif de Nîmes a estimé que, d'une part, pour évaluer le prix des actions de la société Sogardis, l'administration avait à tort combiné la méthode par comparaison avec des transactions semblables et les méthodes alternatives et, d'autre part, la méthode par comparaison utilisée par l'administration ne permettait pas d'établir le prix retenu pour les actions de la société Sogardis. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance fait appel de ce jugement qui a prononcé la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle la société Keliadis a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2013, et des intérêts de retard correspondants.
3. D'une part, lorsqu'une société acquiert des actions ou bénéficie d'un apport pour une valeur que les parties ont délibérément minorée par rapport à la valeur vénale de l'objet de la transaction, sans que cet écart de prix ne comporte de contrepartie, l'avantage ainsi octroyé doit être regardé comme une libéralité consentie à cette société. La preuve d'une telle libéralité doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'est établie l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien acquis ou apporté et, d'autre part, d'une intention, pour le vendeur ou l'apporteur d'octroyer et, pour la société bénéficiaire, de recevoir une libéralité du fait des conditions de la vente ou de l'apport. Cette intention est présumée lorsque les parties sont en relation d'intérêts.
4. D'autre part, la valeur vénale réelle de titres non cotés en bourse sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui résultant du jeu de l'offre et de la demande à la date à laquelle la cession ou l'apport sont intervenus. Cette valeur doit être établie, en priorité, par référence à la valeur des autres titres de la société telle qu'elle ressort des transactions portant, à la même époque, sur ces titres dès lors que cette valeur ne résulte pas d'un prix de convenance. Toutefois, en l'absence de transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires, l'administration peut légalement se fonder sur l'une des méthodes destinées à déterminer la valeur de l'actif par capitalisation des bénéfices ou d'une fraction du chiffre d'affaires annuel, ou sur la combinaison de plusieurs de ces méthodes. Elle ne saurait toutefois procéder par combinaison entre la méthode par comparaison et l'une ou plusieurs des méthodes alternatives.
5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, pour établir la valeur d'une action de la société Sogardis, l'administration a calculé tout d'abord la valeur obtenue par comparaison avec trois transactions de fonds de commerce portant sur des magasins Leclerc de Graulhet et Perpignan intervenues entre 2011 et 2013 qu'elle a regardées comme constituant des transactions équivalentes portant sur des titres de sociétés similaires. Elle a en outre calculé la valeur résultant de plusieurs méthodes alternatives et elle a estimé que la valeur d'une action de la société Sogardis correspondait à la moyenne arithmétique entre d'une part, la valeur obtenue par la méthode de comparaison et d'autre part, celle obtenue par les méthodes alternatives. Contrairement à ce que soutient l'administration, la méthode par comparaison peut également porter, en l'absence de transactions intervenues dans des conditions équivalentes portant sur des titres de la société Sogardis, sur des titres de sociétés similaires. Ainsi, l'administration a bien procédé, en méconnaissance des principes rappelés au point 4, par combinaison entre la méthode par comparaison et les méthodes alternatives, la circonstance que l'acte de liquidation de la communauté entre M. B... et Mme A... lors de leur divorce ne constitue pas une transaction antérieure susceptible de servir de référence étant sans incidence sur ce point.
6. En second lieu et en tout état de cause, ainsi qu'il a été indiqué au point 5, l'administration a retenu trois transactions qu'elle a estimées similaires aux opérations d'apport et de cession du 5 avril 2012 et du 13 avril 2012 et elle a noté qu'il résultait de ces trois transactions qu'en moyenne, la valeur vénale des sociétés exploitant un fonds de commerce à l'enseigne Leclerc s'élevait à 30 % de leurs chiffres d'affaires annuels. Toutefois, comme le relève d'ailleurs la société Keliadis, en procédant ainsi pour calculer cette valorisation, l'administration n'a tenu compte, ni des situations particulières, ni de l'actif apporté ou cédé, ni de la différence substantielle du montant des capitaux propres, plus faible dans le cas de la société Sogardis, ni des niveaux respectifs de rentabilité. Ainsi, c'est également à bon droit que le tribunal administratif de Nîmes a estimé que l'administration ne justifiait pas de la pertinence des éléments de comparaison qu'elle a retenus pour fixer le prix unitaire des actions de la société Sogardis.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a déchargé la société Keliadis de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2013 et des intérêts de retard correspondants.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser la société Keliadis au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à la société Keliadis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la société par actions simplifiée Keliadis.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.
Délibéré après l'audience du 7 mars 2022, où siégeaient :
- M. Barthez, président,
- Mme Fabien, présidente assesseure,
- Mme Lasserre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 mars 2022.
Le président-rapporteur,
A. BARTHEZL'assesseure la plus ancienne,
M. FABIEN
Le greffier,
F. KINACH
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°20TL00309 2