Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 28 octobre 2019 et le 11 février 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour :
1° d'annuler les articles 1er et 2 du jugement attaqué ;
2° de remettre à la charge de la société Scor SE le rappel de retenue à la source au titre de l'exercice clos en 2007, avec les intérêts de retard et les majorations afférents.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- les premiers juges ont inexactement qualifié les faits de l'espèce en fondant leur motivation sur la situation de la société CRR alors que c'était la société CRP qui était bénéficiaire de l'abandon de créance ;
- l'acte anormal de gestion n'était pas démontré dès lors que les clauses du contrat de restructuration de prêt conclu le 1er janvier 2007 montrent que la société Scor SE estimait qu'à cette date, sa filiale bermudienne était en mesure de rembourser ce prêt, qu'il n'est pas établi que la société CRP connaîtrait une situation comptable nette négative en 2007, ni que l'emprunt dont la créance a été abandonnée avait pour objet de recapitaliser la société CRP et qu'en outre, la baisse de notation de la société Scor SE n'était pas exclusivement imputable à la situation de la société CRP.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pham, première conseillère,
- les conclusions de M. Met, rapporteur public,
- et les observations de Me Vaguzan substituant Me Schneider, pour la société Scor SE.
Considérant ce qui suit :
1. La société Scor SE, qui exerce une activité de réassurance, a fait l'objet en 2010 et 2011 d'une vérification de comptabilité en matière d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2007 et 2008. Le service vérificateur a constaté, d'une part, que la société avait déduit de ses résultats imposables, au titre de l'exercice clos en 2007, un abandon de créance d'un montant de 74 723 184 euros consenti à sa filiale bermudienne, la société Commercial Risk Limited (CRP) et, d'autre part, au titre de l'exercice clos en 2008, une subvention d'un montant de 30 585 390 euros versée à sa filiale suisse, la société Scor Holding Switzerland AG (SHS). L'administration a estimé que ces aides n'étaient pas déductibles au motif qu'elles constituaient des actes anormaux de gestion. Ces aides ont ainsi été considérées comme des revenus distribués au sens du c) de l'article 111 du code général des impôts, et, par suite, soumises à la retenue à la source prévue par le 2. de l'article 119 bis du code général des impôts. La société Scor SE a contesté ces rappels de retenue à la source devant le tribunal administratif de Montreuil. Par le jugement n° 1703820 du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Montreuil a partiellement fait droit à cette demande en ordonnant le remboursement de la retenue à la source liée à l'abandon de créance réalisé au profit de la société CRP au titre de l'exercice clos en 2007. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance relève appel de ce jugement en ce qu'il a déchargé la société Scor SE des rappels de retenue à la source au titre de l'exercice clos en 2007.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il résulte des articles 38 et 39 du code général des impôts, dont les dispositions sont applicables à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code, que le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale. Les prêts sans intérêts ou l'abandon de créances accordés par une entreprise au profit d'un tiers ne relèvent pas, en règle générale, d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant de tels avantages l'entreprise a agi dans son propre intérêt. Cette règle doit recevoir application même si le bénéficiaire de ces avances est une filiale, hormis le cas où la situation des deux sociétés serait telle que la société mère puisse être regardée comme ayant agi dans son propre intérêt en venant en aide à une filiale en difficulté. S'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer que les avantages consentis par une entreprise à un tiers constituent un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties. Dans l'hypothèse où l'entreprise apporte une telle justification, il incombe ensuite à l'administration, si elle s'y croit fondée, d'apporter la preuve de ce que cette contrepartie est dépourvue d'intérêt pour l'entreprise ou que sa rémunération est excessive.
3. Il résulte de l'instruction que la société Scor SE est la mère d'un groupe comprenant la société CRP, qui est une holding dont le seul actif est constitué des titres détenus dans sa filiale la société CRR, société de réassurance en activité sur le secteur des Etats-Unis d'Amérique. Elle a connu à partir de l'année 2001 des difficultés financières importantes liées à l'évolution de la jurisprudence américaine en matière d'indemnisation des problèmes de santé, qui se sont traduites par une baisse de sa notation financière et l'endettement des filiales exerçant dans le secteur des Etats-Unis d'Amérique, dont la société CRR. Pour faire face à ses difficultés financières, elle a adopté plusieurs plans de redressement à compter de novembre 2002, dont le plan de redressement " Back on Track ", adopté en novembre 2002, qui se donne comme objectif la restructuration du groupe par la cession de ses activités les moins lucratives, notamment celles de la filiale CRP, qui a été mise en situation de run-off en 2003.
4. La société Scor SE a accordé à la société CRP plusieurs prêts, dont l'un en 2004 pour sa recapitalisation, auxquels s'est finalement substitué un prêt unique de 166 millions de dollars américains contracté le 1er janvier 2007. Malgré ces prêts, il ressort des comptes de la société CRR et des documents de référence de la société Scor SE versés aux débats que les résultats de la société CRR étaient fortement dégradés au cours des années 2002 à 2007, avec une dette de 342 millions de dollars américains au 1er janvier 2007. Le 1er juin 2007, la société Scor SE a consenti à la société CRP un abandon de créance d'un montant de 110 millions de dollars américains soit 74 723 184 euros.
5. En situation de run-off, la société CRR n'était pas en mesure d'améliorer sa situation financière, dès lors qu'il ne lui était pas permis de continuer son activité mais qu'elle avait seulement le droit de gérer les contrats déjà signés, qui lui étaient défavorables. Si deux offres de rachat de cette société ont été faites en 2007, elles étaient conditionnées soit au versement par la société Scor SE d'une somme de 50 millions de dollars pour financer ce rachat, soit à la réduction ou à l'abandon de la créance qu'elle possédait sur la société CRP. Ces offres n'ayant pas abouti, la société CRP a été fusionnée au sein d'une autre société en 2008, ce qui s'est traduit par une perte globale de 8 millions d'euros, soit une moins-value de cession de 388 millions d'euros compensée par une reprise de provision de 380 millions d'euros. Eu égard à ces éléments, il apparaît que la créance de la société CRP était irrécouvrable, peu important que le contrat de restructuration de prêt signé le 1er janvier 2007 comporte des clauses de remboursement anticipé.
6. S'il est vrai que la notation financière de la société Scor SE ne dépendait pas uniquement de la cession de sa filiale CRR, il ressort du document de référence de la société Scor SE de l'année 2003 que l'abandon des activités de la société CRR constituait un élément important du plan de redressement, tant pour restaurer l'image de la société Scor SE que pour mettre fin aux financements importants induits par la poursuite de l'activité de cette filiale.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la société Scor SE, qui avait un intérêt certain à mettre fin à l'activité de la société CRP, a agi dans son intérêt propre en procédant à l'abandon de créance litigieux. L'opération en cause ne constituant pas un acte anormal de gestion, le ministre de l'économie, des finances et de la relance n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Montreuil a déchargé la société Scor SE des rappels de retenue à la source mis à sa charge au titre de l'exercice clos en 2007 ainsi que des intérêts de retard et des majorations afférents.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Scor SE et non compris dans les dépens. La société Scor SE ne justifiant pas avoir, au cours de l'instance, exposé de dépens, au sens et pour l'application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, les conclusions qu'elle présente à ce titre doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à la société Scor SE la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par la société Scor SE est rejeté.
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N° 19VE03578