Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 25 juillet 2019 et 17 janvier 2020, la société Faurecia SA, représentée par Me C... et Me B..., avocats, demande à la cour :
1° d'annuler le jugement attaqué ;
2° d'ordonner le remboursement de 3 940 813 euros de crédits d'impôt au titre de l'exercice clos en 2014 ;
3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a droit aux crédits d'impôt dont elle demande le remboursement, en vertu des dispositions combinées de l'article 223 O du code général des impôts et des stipulations des conventions fiscales applicables aux redevances et intérêts de créance reçus par ses filiales en provenance des Etats liés à la France par une convention fiscale destinée à éliminer la double imposition ;
- le "droit au crédit d'impôt" prévu par ces stipulations constitue une créance sur le Trésor dont elle est fondée à demander la restitution en numéraire, dès lors qu'eu égard à sa situation déficitaire, elle ne peut l'imputer sur ses impositions ;
- l'absence de remboursement conduit à une double imposition ;
- les crédits d'impôt en cause correspondent à des revenus réalisés par ses filiales qui ne peuvent les utiliser, bien qu'elles soient bénéficiaires, du fait de l'absence d'imposition au niveau du groupe ;
- il y a double imposition en tant que la retenue à la source acquittée à l'étranger, qui constitue un bénéfice imposable et réduit d'autant le déficit reportable, sera imposée au titre d'un exercice ultérieur lorsque son résultat sera redevenu bénéficiaire ;
- l'obligation de remboursement du crédit d'impôt non imputable résulte de l'engagement de la France de compenser le prélèvement hors de France par une restitution à due concurrence ;
- le refus de remboursement créé une restriction non justifiée par un motif d'intérêt général, contraire au principe de libre circulation des capitaux, du fait de l'insuffisance d'élimination de la double imposition et de ce que l'imposition des revenus de source étrangère est supérieure à l'imposition des revenus similaires de source française ; les crédits d'impôts prévus par le code général des impôts étant quasiment tous remboursables, cette différence de traitement caractérise une atteinte aux principes de liberté de prestation de service et de libre circulation des capitaux ; la compatibilité de la loi française avec les articles 56 et 63 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en ce qu'elle conduit à une surcharge fiscale en cas d'exercice déficitaire, pourrait faire l'objet d'une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le droit au crédit d'impôt constitue un bien au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, auquel le refus de remboursement qui lui est opposé porte atteinte.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble son premier protocole additionnel ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment ses articles 56 et 63 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et le Maroc du 29 mai 1970 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et le Portugal du 14 janvier 1971 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et le Brésil le 10 septembre 1971 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et la Tunisie le 28 mai 1973 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et la Roumanie du 27 septembre 1974 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et le Canada du 2 mai 1975 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et la Pologne du 20 juin 1975 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et la Corée du Sud du 19 juin 1979 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et la Chine du 30 mai 1984 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et la Turquie du 18 février 1987 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et l'Italie le 5 octobre 1989 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et l'Inde du 29 septembre 1992 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et le Japon le 3 mars 1995 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et l'Espagne du 10 octobre 1995 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et la Slovénie le 7 avril 2004
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- les décrets n° 2020-1404 et n° 2020-1405 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A... ;
- et les conclusions de M. Met, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Les sociétés Faurecia SA, Faurecia Investments, Faurecia Services Groupe, Financière Faurecia, Faurecia Systèmes d'échappement, Faurecia Bloc Avant, Faurecia Sièges d'automobile, Faurecia Intérieur Industrie et Faurecia Automotive Industrie, spécialisées dans l'équipement automobile, dont la société Faurecia SA est la tête du groupe fiscalement intégré, ont supporté au cours de l'exercice 2014 des retenues à la source acquittées à l'étranger, sur des intérêts de créances et des redevances, leur donnant droit à des crédits d'impôt en application des stipulations des conventions fiscales destinées à éliminer la double imposition conclues par la France avec les Etats source. N'ayant pas pu imputer ces crédits d'impôt sur ses impositions en raison d'un résultat déficitaire au niveau du groupe, la société Faurecia SA a sollicité le remboursement de la somme de 4 281 611 euros, ramenée devant le tribunal à 3 940 813 euros. Elle relève appel du jugement du 29 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de remboursement du crédit d'impôt de 3 940 813 euros dont elle s'estime créancière.
2. Aux termes du 1 de l'article 223 O du code général des impôts : " La société mère est substituée aux sociétés du groupe pour l'imputation sur le montant de l'impôt sur les sociétés dont elle est redevable au titre de chaque exercice : / a. Des crédits d'impôt attachés aux produits reçus par une société du groupe et qui n'ont pas ouvert droit à l'application du régime des sociétés mères visé aux articles 145 et 216 (...) ". Il ne résulte ni de ces dispositions, ni d'aucune autre disposition ou d'aucun principe de droit interne que le crédit d'impôt attaché aux produits reçus par une société membre d'un groupe fiscal intégré n'ayant pu faire l'objet d'une imputation sur l'impôt dû sur l'ensemble du résultat du groupe, du fait du caractère déficitaire de ce dernier, doive être restitué par la France à la société mère de ce groupe. La circonstance que plusieurs crédits d'impôts de droit interne ayant un tout autre objet soient restituables à défaut d'imputation sur les impositions n'est pas susceptible de révéler une atteinte au principe d'égalité.
3. Les stipulations des articles relatifs à l'élimination des doubles impositions des conventions fiscales bilatérales conclues entre la France et le Brésil, le Canada, la Chine, la Corée du Sud, l'Espagne, l'Inde, l'Italie, le Japon, le Maroc, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, la Slovénie, la Tunisie et la Turquie, prévoient que, lorsqu'un résident de France perçoit des revenus en provenance de ces Etats revêtant la nature, notamment, d'intérêts et de redevances, et que ces revenus y ont supporté l'impôt, ils sont pris en compte pour le calcul de l'impôt français, et que le bénéficiaire de ces revenus a droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français, égal au montant de l'impôt payé ou supporté dans l'Etat d'origine, qui ne peut toutefois excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus.
4. Il ne résulte d'aucune de ces stipulations que le crédit d'impôt n'ayant pu faire l'objet d'une imputation doive être restitué par la France au résident bénéficiaire de ces revenus, dès lors que les stipulations des conventions fiscales destinées à éliminer la double imposition traduisent l'engagement de la France de renoncer à percevoir des recettes fiscales sur des produits déjà imposés à l'étranger, et non de supporter tout ou partie de la charge de l'impôt auquel ces produits ont été soumis dans l'Etat source. La société Faurecia ne peut ainsi utilement faire valoir que l'absence de remboursement du crédit d'impôt conventionnel conduit à une double imposition dès lors que, en tant que société mère d'un groupe dont le résultat est déficitaire, elle n'a subi, au titre de l'exercice en cause, aucune imposition en France. En revanche, lorsqu'une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions prévoit un mécanisme de crédit d'impôt imputable sur l'impôt français destiné à compenser les impositions qu'une entreprise a supportées dans un autre Etat du fait des opérations qu'elle y a réalisées, et que cette entreprise n'est pas en mesure d'en bénéficier du fait de sa situation déficitaire au cours de l'exercice considéré, la société résidente en France est fondée à déduire de son résultat imposable, au titre des charges de l'entreprise, la retenue à la source acquittée à l'étranger, dès lors que la convention fiscale applicable n'en interdit pas la déduction en toutes circonstances.
5. Il s'ensuit que, contrairement à ce qu'elle soutient, la société Faurecia SA n'est pas fondée à demander, sur le fondement des conventions précitées, la restitution des crédits d'impôts litigieux.
6. La société Faurecia SA soutient également que le refus de remboursement ou de report indéfini d'un excès de crédit d'impôt conventionnel non imputable en cas d'exercice déficitaire, qui a pour effet de laisser subsister une surcharge fiscale injustifiée sur les revenus de source étrangère et de crée une différence de traitement par rapport aux mêmes revenus de source française, est contraire aux principes de liberté de prestation de services et de liberté de circulation des capitaux garantis par les articles 56 et 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Toutefois, d'une part, ainsi qu'il a été dit au point 4, l'impôt acquitté à l'étranger est déductible du résultat fiscal de l'entreprise déficitaire lorsque la convention fiscale applicable ne s'y oppose pas. D'autre part, les désavantages pouvant découler de l'exercice parallèle des compétences fiscales des États membres, dans la mesure où un tel exercice n'est pas discriminatoire, ne constituent pas des restrictions interdites par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Dès lors que les entreprises dont le résultat fiscal est déficitaire ne se trouvent pas, notamment lorsque l'absence d'imposition en France résulte de l'option pour le régime de l'intégration fiscale, dans la même situation, au regard de la double imposition, qu'une entreprise assujettie à l'impôt sur les sociétés sur son résultat fiscal bénéficiaire, la circonstance que la double imposition ne serait pas totalement éliminée en cas d'imposition sur un exercice ultérieur excédentaire n'est pas susceptible de porter atteinte aux principes de libre prestation de service et le libre circulation des capitaux. Est également sans incidence la circonstance que certains crédits d'impôt nationaux sont restituables. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance du droit de l'Union européenne doit, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, être écarté.
7. Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ".
8. Dès lors que la SA FAURECIA ne disposait d'aucun droit à obtenir la restitution du montant des crédits d'impôts d'origine étrangère dont ses filiales étaient bénéficiaires, elle ne disposait d'aucune créance restituable pouvant être regardée comme un bien au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. Il résulte de ce qui précède que la société Faurecia SA n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de remboursement. Il s'ensuit que sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Faurecia SA est rejetée.
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N° 19VE02681