Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 28 juillet 2017, 5 avril 2018 et 13 mai 2018, M. et MmeA..., représentés par Me Villegier, avocat, demandent à la cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de prononcer la décharge demandée ;
3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- on ne peut leur opposer l'indépendance des procédures quant aux moyens tirés de l'irrégularité de la procédure suivie avec la SARL Hôtel des Beaux Arts ;
- la comptabilité de la SARL était probante, dès lors que la réglementation n'oblige pas un fournisseur à établir de factures à l'égard de ses clients privés, et que les recettes étaient bien enregistrées quotidiennement, dans un livre de caisse comprenant un feuillet par jour détaillant le numéro de chambre, le nom du client, le mode de paiement et le montant de la recette ; il y a lieu de désigner un expert pour valider la régularité de la comptabilité ;
- s'agissant de la méthode de reconstitution des recettes, les éléments sur lesquels s'est fondé le vérificateur sont caducs, dès lors que le service a exercé son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire et que, par un arrêt du 22 mars 2012 la Cour d'Appel de Paris a prononcé la nullité des actes d'information contenus dans la procédure diligentée à l'encontre des époux A...du fait de l'absence d'avocat au moment de leur garde à vue ;
- en ne retenant que les chambres facturées entre 20 et 30 euros, le service a délibérément minoré le nombre de " rendez-vous " ;
- la reconstitution de recettes ne s'appuie pas sur les conditions réelles de fonctionnement de l'établissement, et méconnait en particulier les circonstances que l'hôtel a fait l'objet d'une importante rénovation qui a réduit sa capacité d'accueil d'environ 50 % de juin à septembre 2009, et que, affichant complet 31 jours en 2009 et 80 jours en 2010, il ne pouvait mettre de chambre à la disposition des " rendez-vous " ;
- la reconstitution fondée sur la base de 10 " rendez-vous " quotidiens est irréaliste, dès lors que toutes les matinées sont consacrées au nettoyage des chambres et que, au-delà de
17/18 heures, le réceptionniste a interdiction formelle de louer des chambres à la demi journée ; au surplus l'hôtel est fermé à 22 heures ; les constatations opérées par les officiers de police judiciaire attestent que le nombre de " passes " n'a jamais excédé le nombre de 5 ; il n'y avait pas de rendez-vous le dimanche dès lors qu'il n'y avait pas de femme de chambre, hormis le matin ;
- les redressements sur 2009 et les 8 premiers mois de 2010 doivent être abandonnés dès lors que la prostitution a commencé à partir de l'été 2010 ;
- le service se borne à affirmer qu'ils sont maîtres de l'affaire sans l'établir ; or, ils n'étaient pas en permanence présents sur l'établissement, M. A...étant directeur régional dans une grande société et Mme A...se retirant de l'établissement à partir de 16 h 30, ainsi que le week-end ; pour les 7 premiers mois de l'année 2009, seule MmeB..., dirigeante de l'hôtel de l'époque, était maître de l'affaire ;
- conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il n'y a pas lieu de calculer les prélèvements sociaux sur la base majorée de 25 % (Décision n° 2016-610 QPC du
10 février 2017).
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Munoz-Pauziès,
- et les conclusions de M. Chayvialle, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A...sont associés à 100 % de la SARL Hôtel des Beaux-Arts, qui exerce une activité hôtelière à Paris. Cette société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2010, à l'issue de laquelle l'administration, après avoir écarté la comptabilité comme dépourvue de caractère sincère et probant, a reconstitué son chiffre d'affaires. Les recettes reconstituées ont été regardées comme des revenus distribués imposables, sur le fondement du 2° de l'article 109-1 du code général des impôts, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers au nom de M. et Mme A...au titre des trois années contrôlées, mais, dans la décision d'admission partielle de leur réclamation du 23 décembre 2015, l'administration a dégrevé en totalité les impositions établies au titre de l'année 2008. M. et Mme A...relèvent appel du jugement du 27 mars 2017 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2009 et 2010.
Sur l'étendue du litige :
2. Par une décision du 24 novembre 2017, postérieure à l'introduction de la requête, le directeur départemental des finances publiques de Seine-Saint-Denis a prononcé le dégrèvement, en droits et pénalités, des contributions sociales au titre des années 2009 et 2010, à concurrence de la somme totale de 7 620 euros. Les conclusions de la requête sont, dans cette mesure, devenues sans objet.
Sur la régularité de la procédure :
3. En vertu du principe d'indépendance des procédures, les irrégularités qui entacheraient la procédure de vérification de comptabilité engagée à l'encontre de la
SARL Hôtel des Beaux Arts, soumise au régime d'imposition des sociétés de capitaux, sont sans influence sur la régularité et le bien-fondé des impositions mises à la charge de ses associés. Par suite, les moyens tirés du changement de motivation du rejet de la comptabilité après la proposition de rectification et de l'absence de procès-verbal constatant les irrégularités des écritures comptables doivent, en tout état de cause, être écartés.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne l'existence de revenus distribués :
S'agissant du rejet de la comptabilité de la SARL Hôtel des Beaux Arts :
4. Aux termes de l'article 54 du code général des impôts : " les contribuables mentionnés à l'article 53 A sont tenus de représenter à toute réquisition de l'administration tous documents comptables, inventaires, copies de lettres, pièces de recettes et de dépenses de nature à justifier l'exactitude des résultats indiqués dans leur déclaration ".
5. Il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 29 juillet 2011, que le service a écarté la comptabilité de la SARL Hôtel des Beaux Arts au motif que les seules pièces justificatives de recettes présentées étaient constituées de doubles carbonnés de fiches clients non numérotées ni associées à des souches, ce qui ne permettait pas de vérifier que l'intégralité des recettes étaient inscrites au journal de vente. C'est ainsi à bon droit que le vérificateur a écarté la comptabilité comme non probante, sans que les requérants puissent utilement soutenir que la réglementation n'obligeait pas la société à fournir des factures à ses clients, et que les recettes étaient enregistrées quotidiennement, et sans qu'il y ait lieu de désigner un expert.
S'agissant de la reconstitution de recettes :
6. Il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 29 juillet 2011, que pour reconstituer les recettes de l'activité de prostitution, le vérificateur a, dans un premier temps, procédé au recensement des notes clients figurant dans les justificatifs de recettes présentés et mentionnant un tarif de 20 ou 30 euros, la grande majorité de ces notes mentionnant " 1/2 nuit " ou " RV ", et les deux exemplaires (original blanc et double carboné bleu) étant présents, au contraire des autres notes qui mentionnent les tarifs officiels de l'hôtel (39, 47, 59, 65 ou 69 euros) et pour lesquels seuls les exemplaires bleu des notes étaient présents, l'original ayant été donné au client lors du règlement. Le vérificateur a également retenu, contrairement à ce que soutiennent les requérants, des notes clients établies au tarif de 39 euros, mentionnant " RV ", dont l'original et le double avaient été conservés. L'examen des tableaux récapitulatifs mensuels retraçant le détail des recettes ayant permis de constater la présence d'un certain nombre de recettes correspondant à ces tarifs de 20 euros ou 30 euros bien que les notes correspondantes ne figurent pas dans les notes clients présentées, le vérificateur a procédé au recensement des recettes correspondant à des notes de 20 et 30 euros et figurant dans les tableaux récapitulatifs mensuels donnés au cabinet comptable. Ce recensement a permis de déterminer le prix moyen de la recette de l'activité " rendez-vous ". Dans un deuxième temps, le vérificateur a déterminé le nombre de jours ouvrés, constatant que l'hôtel, ouvert tous les jours de l'année, avait fermé du 19 au 25 décembre 2009, soit 7 jours, et du 16 au 29 août 2010, soit 14 jours, la diminution de l'activité de l'hôtel du fait de travaux ayant été prise en compte par l'administration au stade de la réponse aux observations du contribuable. Dans un troisième temps, le vérificateur a déterminé le nombre de rendez-vous quotidiens, en se fondant sur la procédure judiciaire à l'encontre de M. et Mme A..., et notamment les procès-verbaux d'audition des deux salariés et les résultats de la surveillance policière, et retenu un nombre de 15 rendez-vous quotidiens jusqu'au 31 août 2010 et 10 au cours de la période du
1er septembre 2010 au 31 décembre 2010, nombre ramené à 10 pour l'ensemble de la période suite à l'avis de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires dans sa séance du 8 mars 2012.
7. En premier lieu, les requérants soutiennent que les éléments de la procédure judiciaire sur lesquels s'est fondé le vérificateur, obtenus dans le cadre de l'exercice de son droit de communication, ne peuvent être retenus dès lors que, par un arrêt du 22 mars 2012, la Cour d'Appel de Paris aurait prononcé la nullité des actes d'information contenus dans la procédure diligentée à l'encontre des époux A...du fait de l'absence d'avocat au moment de leur garde à vue. Toutefois, pas plus devant la Cour que devant les premiers juges, les requérants ne produisent l'arrêt dont ils se prévalent.
8. En deuxième lieu, M. et Mme A...soutiennent que la prostitution n'a commencé qu'à compter de l'année 2010, et se prévalent du jugement du Tribunal correctionnel de Paris du 5 juin 2014, dont, au demeurant, ils ne produisent que de courts extraits, qui déclare Mme A...coupable " d'avoir, à Paris, de courant 2010 au 24 janvier 2011, directement et par personne interposée, alors qu'elle détenait et gérait un établissement ouvert au public, accepté ou toléré habituellement que plusieurs personnes s'y livrent à la prostitution ". Toutefois, il résulte de l'instruction que lors de la vérification de comptabilité, le vérificateur a recueilli, parmi les justificatifs de recettes présentés, des notes clients de l'année 2009, mentionnant, pour un tarif de 20 ou 30 euros, " 1/2 nuit " ou " RV ".
9. En troisième lieu, M. et Mme A...soutiennent que la reconstitution de recettes ne s'appuie pas sur les conditions réelles de fonctionnement de l'établissement, et méconnait en particulier les circonstances que l'hôtel a fait l'objet d'une importante rénovation qui a réduit sa capacité d'accueil d'environ 50 % de juin à septembre 2009, et que, affichant complet 31 jours en 2009 et 80 jours en 2010, il ne pouvait pendant ces périodes mettre de chambre à la disposition des " rendez-vous ". Toutefois, il résulte de l'instruction qu'au stade de la réponse aux observations du contribuable, l'administration a retenu l'argumentation de la SARL relative à la diminution de l'activité de l'hôtel du fait de travaux. D'autre part, il résulte de l'instruction, et notamment des procès-verbaux de l'enquête de police, que l'activité de prostitution se déroulait essentiellement la journée, avant l'arrivée de la clientèle " classique ". Dès lors, la circonstance, au demeurant non établie, que l'hôtel ait affiché complet n'empêchait pas le déroulement des activités de " rendez-vous ".
10. Enfin, les requérants soutiennent que la reconstitution fondée sur la base de " 10 rendez-vous " quotidiens est irréaliste, dès lors que, d'une part, il faudrait tenir compte des dimanches, où, en l'absence de femme de chambre, hormis le matin, aucun rendez-vous n'était possible et que, d'autre part, les " rendez-vous " n'avaient lieu que l'après midi, les matinées étant consacrées au nettoyage des chambres et le réceptionniste ayant interdiction formelle de louer des chambres à la demi journée après 18 heures, ce que confirme les constatations opérées par les officiers de police judiciaire qui attestent que le nombre de " passes " n'a jamais excédé cinq par jour. Toutefois, les procès-verbaux d'audition de deux salariées de l'hôtel, la réceptionniste et la femme de chambre, font tout deux mention d'un minimum de dix " passes " par jour, et le plus souvent 20. De même, le rapport du lieutenant de police Thomas affirme que les investigations (surveillance, enquêtes de voisinage) permettent de constater à l'automne 2010 que l'activité prostitutionnelle était régulière, quotidienne, le nombre de " passes " étant estimé à une dizaine par jour.
En ce qui concerne l'appréhension des sommes par Mme A...
11. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; / 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices (...) ".
12. En cas de refus des propositions de rectifications par le contribuable qu'elle entend imposer comme bénéficiaire de sommes regardées comme distribuées, il incombe à l'administration d'apporter la preuve que celui-ci en a effectivement disposé. Toutefois, le contribuable qui, disposant seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, est en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres et doit ainsi être regardé comme le seul maître de l'affaire, est présumé avoir appréhendé les distributions effectuées par la société qu'il contrôle.
13. Pour estimer que Mme A...devait être regardée comme le maître de l'affaire, le service a relevé qu'elle détenait la majorité du capital de la SARL Hôtel des Beaux-Arts, y exerçait tous les pouvoirs de gestion et était par suite en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens propres. En se bornant à faire valoir, comme devant les premiers juges, que Mme A...n'était pas en permanence présente dans l'établissement, et que jusqu'en juillet 2009, seule la directrice de l'établissement peut être regardée comme maître de l'affaire, les requérants ne renversent pas la présomption d'appréhension des distributions effectuées par la société.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté leur demande. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête, à concurrence du dégrèvement accordé en cours d'instance, soit la somme de 7 620 euros.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme A...est rejeté.
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N° 17VE02576