Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 9 mai 2014, la société SQLI, représentée par Me Moayed, avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de prononcer la restitution de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2011 et 2012 ;
3° de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société SQLI soutient que :
- les dispositions de l'article 39 de la loi du 16 août 2012 susvisée sont contraires aux stipulations de l'article 1 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; en effet, elle possédait une espérance légitime à se voir restituer le bien en cause ; la jurisprudence européenne, en cas de validation législative, considère que les requérants, avant l'intervention de cette loi, bénéficiaient d'une espérance légitime d'obtenir le remboursement de la somme litigieuse ; elle n'exige jamais que le contribuable ait formé une réclamation préalable avant l'intervention d'une loi rétroactive ;
- la limite à la protection du droit des biens est fixée par le deuxième alinéa de l'article 1er du premier protocole additionnel et consiste en la préservation de l'intérêt général ; mais l'intérêt financier d'un Etat ne saurait justifier à lui seul la rétroactivité d'une loi ; cette exclusion du motif financier a été réaffirmée dans l'affaire Joubert contre France devant la Cour européenne des droits de l'homme du 23 juillet 2009 n°30345 et par le Conseil d'Etat dans l'arrêt n° 314 767 SNC Peugeot Citroën ;
- en l'espèce, l'espérance légitime d'un bien reposait sur le principe de la légalité de l'impôt illégalement recouvré avant l'intervention de l'article 39 de la loi du 19 août 2012 ; cet article 39 a constitué une ingérence dans les droits qu'elle pouvait faire valoir et a porté atteinte à ses biens au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ; or c'est un motif financier qui a inspiré ces dispositions rétroactives contraire aux stipulations conventionnelles ;
- la circonstance que le juge constitutionnel n'ait pas censuré la disposition rétroactive est inopérante la situation devant être examinée avant l'intervention de la loi de validation ;
- l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu ;
- l'article 6 §1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi de finances pour 2011 n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 ;
- la loi de finances rectificative pour 2012 n° 2012-958 du 16 août 2012 ;
- la décision n° 2012-298 QPC du Conseil Constitutionnel du 28 mars 2013 ;
- la décision n° 2013-327 QPC du Conseil Constitutionnel du 21 juin 2013 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Belle,
- et les conclusions de Mme Rudeaux, rapporteur public.
1. Considérant que par une réclamation préalable datée du 18 juillet 2012 la société SQLI a demandé la restitution de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, qu'elle avait spontanément acquittée au titre des années 2011 et 2012 ; que sa réclamation ayant été rejetée, elle a saisi de ce litige le Tribunal administratif de Montreuil ; qu'elle demande l'annulation du jugement dudit tribunal qui rejette sa demande ;
2. Considérant que la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dont il est demandé la restitution a été liquidée sur le fondement des dispositions de l'article 1600 du code général des impôts, dans leur rédaction issue de la loi de finances pour 2011 n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 ; que le I de l'article 39 de la loi de finances rectificative pour 2012 n° 2012-958 du 16 août 2012 a introduit, après les huit premiers alinéas du III de cet article 1600 du code général des impôts, un paragraphe 1 bis précisant les modalités de recouvrement de cette taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ; que le paragraphe II de ce même article 39 précise que : " Le I s'applique aux impositions dues à compter du 1er janvier 2011, sous réserve des impositions contestées avant le 11 juillet 2012 " ;
3. Considérant que, par une décision n° 2012-298 QPC du 28 mars 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires aux droits et libertés que la Constitution garantit les dispositions des huit premiers alinéas du paragraphe III de l'article 1600 du code général des impôts, dans leur rédaction résultant de la loi de finances pour 2011, au motif que celles-ci ne prévoyaient pas les modalités de recouvrement de la taxe additionnelle à la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises ; qu'après avoir visé les dispositions de l'article 39 de la loi du
16 août 2012, il a décidé, en application de l'article 62 de la Constitution, que cette déclaration d'inconstitutionnalité prenait effet à compter de la date de la publication de sa décision et que le moyen d'inconstitutionnalité ne pouvait être invoqué qu'à l'encontre des impositions contestées avant le 11 juillet 2012 ; que, par une décision n° 2013-327 QPC du 21 juin 2013, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution le paragraphe II de l'article 39 de la loi de finances rectificative pour 2012 du 16 août 2011 ;
4. Considérant que, pour faire échec aux dispositions de l'article 39 de la loi de finances rectificative pour 2012 du 16 août 2012, la société SQLI se prévaut des stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, cependant, ces stipulations ne peuvent être utilement invoquées pour contester les droits de taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises en litige devant le juge de l'impôt, qui ne statue pas en matière pénale et ne tranche pas des contestations sur des droits et obligations à caractère civil, quand bien même il fait application d'une législation ayant pour effet de priver rétroactivement le contribuable de la possibilité d'obtenir la décharge d'une imposition ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précitées ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général " ;
6. Considérant qu'une personne ne peut prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte ; qu'à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations ; que, par ailleurs, si ces stipulations ne font en principe pas obstacle à ce que le législateur adopte de nouvelles dispositions remettant en cause, fût-ce de manière rétroactive, des droits patrimoniaux découlant de lois en vigueur, ayant le caractère d'un bien au sens de ces stipulations, c'est à la condition de ménager un juste équilibre entre l'atteinte portée à ces droits et les motifs d'intérêt général susceptibles de la justifier ;
7. Considérant que l'article 39 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, dont le I prévoit les modalités de recouvrement de l'impôt et le II les modalités de leur entrée en vigueur rétroactive sous réserve des impositions contestées avant le 11 juillet 2012, est issu d'un amendement parlementaire adopté en commission à l'Assemblée nationale le 11 juillet 2012 ; que le législateur a ainsi entendu éviter que la présentation de l'amendement n'incite les contribuables à contester leur imposition après la présentation publique de l'amendement et son adoption le 11 juillet 2012 ; qu'il résulte de ces circonstances qu'à la date à laquelle elle a présenté sa réclamation, le 18 juillet 2012, la société requérante ne pouvait faire état d'une espérance légitime d'obtenir la restitution des droits de taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises en litige en se prévalant de l'absence de définition des modalités de recouvrement de cette taxe ; qu'ainsi, elle ne peut utilement invoquer les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans le champ desquelles elle n'entre pas ;
8. Considérant que dès lors que les faits invoqués par la requérante n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales elle ne peut utilement invoquer la violation des stipulations de l'article 14 de cette convention combinées avec celles de cet article ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société SQLI n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société SQLI est rejetée.
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N° 14VE01393