Procédure devant la Cour :
I/ Par une requête enregistrée le 21 novembre 2018 sous le n° 18VE03855, M. A..., représenté par Me Gall, avocat, demande à la Cour :
1° de l'admettre provisoirement à l'aide juridictionnelle ;
2° d'annuler le jugement attaqué ;
3° d'annuler l'arrêté litigieux ;
4° d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis d'enregistrer sa demande d'asile, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou à titre subsidiaire, de prescrire au préfet de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de cet examen ;
5° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il ne répond pas au moyen tiré de l'absence de justification de la non application par le préfet de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la décision de transfert est insuffisamment motivée et ne mentionne pas le rejet de sa demande d'asile par les autorités finlandaises, pourtant porté à la connaissance de l'administration par le requérant et confirmé par les services finlandais dans leur courrier d'acceptation de reprise en charge du 5 juin 2018 ;
- la décision méconnait l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 précise que l'entretien " est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ", dès lors que le compte rendu d'entretien individuel ne comporte pas l'identité de l'agent qui a mené cet entretien ; il n'appartient pas aux agents de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, mais au seul préfet, de mener un tel entretien ; cet entretien n'a pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ;
- la décision de transfert méconnait la règle de l'examen particulier de la situation personnelle du requérant et le préfet s'est cru en situation de compétence liée ;
- la décision méconnait l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que les autorités finlandaises ont rejeté sa demande d'asile, que la Finlande renvoie les demandeurs d'asile afghans en Afghanistan, et le préfet aurait dû faire application de la clause de souveraineté prévue par les dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013.
II/ Par une requête enregistrée le 21 novembre 2018 sous le n° 18VE03856, M. A..., représenté par Me Gall, avocat, demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du 18 octobre 2018, en faisant valoir les mêmes moyens que dans sa requête au fond, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Munoz-Pauziès a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 18VE03855 et 18VE03856, qui sont présentées par le même requérant et dirigées contre le même jugement, ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.
2. M.A..., ressortissant afghan, a déposé une demande d'asile le 14 mai 2018. La consultation des données Eurodac ayant révélé que l'intéressé avait déjà déposé une demande d'asile en Finlande, le préfet de la Seine-Saint-Denis a saisi les autorités finlandaises d'une demande de reprise en charge de l'intéressé. Ces autorités ayant donné leur accord implicite, le préfet, par arrêté du 18 septembre 2018, a décidé de remettre M. A...aux autorités finlandaises. M. A...relève appel du jugement du 18 octobre 2018 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :
3. Aux termes de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'application des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président(...) ".
4. Il y a lieu de faire application de ces dispositions et d'admettre provisoirement M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle, ainsi qu'il l'a demandé.
Sur la régularité du jugement :
5. Ainsi que le soutient le requérant, le jugement attaqué ne répond pas au moyen, pourtant soulevé dans la requête introductive d'instance, tiré de la méconnaissance de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013. Par suite, le jugement doit être annulé.
6. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le Tribunal administratif de Montreuil.
Sur la légalité de l'arrêté de transfert :
7. En premier lieu, la décision attaquée, qui vise les considérations de droit qui en constituent le fondement et les principaux éléments relatifs à la situation personnelle de M. A..., précise que la consultation du système " Eurodac " a permis de constater qu'il avait sollicité l'asile en Finlande le 12 novembre 2015, et vise l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013, relatif au demandeur d'asile ayant déposé une demande de protection internationale dans un autre Etat membre. L'arrêté litigieux indique ainsi clairement le motif pour lequel le préfet a décidé du transfert de l'intéressé vers la Finlande.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement (...) / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".
9. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressé s'est vu remettre le 14 mai 2018 le guide du demandeur d'asile en France en langue farsi, ainsi que les brochures d'information A " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et B " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", également traduites en farsi et que M. A...a paraphées. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure aurait méconnu le droit de l'intéressé à être informé dans une langue qu'il comprend doit être écarté.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
11. Il ressort du " résumé d'entretien individuel " signé par le requérant que cet entretien a été mené par un agent de la préfecture de la Seine-Saint-Denis qui est une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens des dispositions précitées de l'article 5 du règlement n° 604/2013. La circonstance que le résumé ne comporte pas la mention du nom et de la qualité de l'agent ayant conduit cet entretien n'est pas à elle seule de nature à établir que ce dernier ne serait pas une " personne qualifiée en vertu du droit national ".
12. En quatrième lieu, il ressort des termes mêmes de l'arrêté attaqué que le préfet, qui ne s'est pas cru en situation de compétence liée, s'est livré à un examen particulier de la situation personnelle du requérant.
13. En cinquième lieu, aux termes du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...). ". Les autorités françaises doivent assurer la mise en oeuvre de cette clause dérogatoire à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution aux termes duquel " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif. ".
14. Si M. A...soutient qu'il courrait des risques personnels en cas de retour en Afghanistan du fait de son appartenance à la communauté hazara et du concours qu'il a apporté aux autorités américaines, la mesure prononçant son transfert aux autorités finlandaises n'implique pas, par elle-même, que l'intéressé soit automatiquement éloigné à destination de son pays d'origine. A cet égard, si la demande d'asile de l'intéressé déposée en Finlande a bien fait l'objet d'une décision de rejet, confirmée le 3 juillet 2018 par le Tribunal administratif d'Helsinki, M. A...ne justifie pas que les autorités finlandaises feraient obstacle à l'enregistrement et au traitement d'une nouvelle demande d'asile, ni qu'il ferait l'objet d'une mesure d'éloignement devenue définitive prise par les autorités finlandaises à destination de l'Afghanistan. Dès lors, en décidant de son transfert en Finlande, le préfet de la Seine-Saint-Denis n'a commis aucune erreur de droit, ni aucune erreur manifeste d'appréciation.
15. Enfin, pour les motifs qui viennent d'être exposés au point 14, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté contesté. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.
Sur la requête n° 18VE03856 :
17. Le présent arrêt prononçant l'annulation du jugement attaqué, les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues sans objet.
Sur les conclusions au titre des articles 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :
18. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : M. A...est admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Montreuil du 18 octobre 2018 est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. A...devant le Tribunal administratif de Montreuil est rejetée, ainsi que le surplus des conclusions de sa requête.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 18VE03856.
N°S 18VE03855 - 18VE03856 2