Procédure initiale devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 22 juillet 2015, le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS demande à la Cour :
1° d'annuler le jugement attaqué ;
2° de prononcer un non-lieu à statuer à hauteur de la somme de 34 328 euros ;
3° de remettre à la charge de la société IKB Deutsche Industriebank l'imposition dont le tribunal a prononcé la décharge à hauteur de 134 258 euros.
Il soutient que :
- l'article 235 ter ZAA du code général des impôts, en désignant comme redevables de la contribution exceptionnelle les redevables de l'impôt sur les sociétés réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros, fait référence aux sociétés françaises ainsi qu'aux sociétés étrangères redevables de l'impôt sur les sociétés par l'intermédiaire de leur établissement stable, et il convient alors de prendre en compte leur chiffre d'affaires total ; c'est ainsi à tort que le tribunal a considéré qu'il convenait de retenir le chiffre d'affaires réalisé par leur établissement stable en France ;
- ni les règles de territorialité définies au I de l'article 209 du code général des impôts ni l'article 4 de la convention fiscale franco-allemande ne s'opposent à la prise en compte du chiffre d'affaires total, dès lors que seul le bénéfice réalisé en France est soumis à la contribution exceptionnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er octobre 2015, la société IKB Deutsche Industriebank, représentée par Me Ugolini, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- conformément au principe de territorialité de l'article 209 du code général des impôts ainsi qu'à l'article 4 de la convention fiscale franco-allemande, et par analogie avec la solution dégagée par le Conseil d'Etat en matière d'imposition forfaitaire annuelle, le chiffre d'affaires à retenir ne peut être que celui de l'établissement stable soumis à l'impôt sur les sociétés en France ;
- la position de l'administration, telle qu'énoncée par la doctrine, est contraire au principe de liberté d'établissement issu des articles 49 à 55 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ainsi qu'à la clause de non-discrimination de la convention fiscale franco-allemande.
Par un arrêt n° 15VE02356 du 19 juillet 2016, la Cour a annulé le jugement attaqué en tant qu'il n'avait pas prononcé un non-lieu à statuer sur le montant de 34 328 euros dégrevé en cours d'instance, a prononcé le non-lieu à statuer à concurrence de ce montant et rejeté le surplus des conclusions de la requête du MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS.
Procédure devant le Conseil d'Etat :
Par une décision n° 402162 du 4 mai 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt en tant qu'il portait rejet du surplus des conclusions du MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS et renvoyé dans cette mesure l'affaire devant la Cour, où elle a été réenregistrée sous le n° 18VE01516.
Procédure après renvoi :
Par des mémoires enregistrés les 6 juillet 2018 et 31 janvier 2019, la société IKB Deutsche Industriebank conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures par les mêmes moyens, et fait valoir en outre que :
- la différence de traitement entre les filiales et les succursales de sociétés étrangères est incompatible avec les dispositions combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;
- il y a lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question se savoir si la position de l'administration méconnait les articles 49 à 55 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole ;
- la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Munoz-Pauziès, président-assesseur,
- les conclusions de M. Chayvialle, rapporteur public,
- et les observations de Me du Pasquier, pour la société IKB Deutsche Industriebank.
Considérant ce qui suit :
1. La société IKB Deutsche Industriebank, société allemande qui dispose d'un établissement stable en France, a sollicité la restitution de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés prévue par l'article 235 ter ZAA du code général des impôts, à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2012. Le MINISTRE DE L'ACTION ET DES COMPTES PUBLICS relève appel du jugement du 15 juin 2015 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a fait droit à la demande de la société.
2. Aux termes de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : " I.- Les redevables de l'impôt sur les sociétés réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros sont assujettis à une contribution exceptionnelle égale à une fraction de cet impôt calculé sur leurs résultats imposables, aux taux mentionnés à l'article 219, des exercices clos à compter du 31 décembre 2011 et jusqu'au 30 décembre 2013 / Cette contribution est égale à 5 % de l'impôt sur les sociétés dû, déterminé avant imputation des réductions et crédits d'impôt et des créances fiscales de toute nature. (...) / Le chiffre d'affaires mentionné au premier alinéa du présent I s'entend du chiffre d'affaires réalisé par le redevable au cours de l'exercice ou de la période d'imposition, ramené à douze mois le cas échéant ". Aux termes du premier alinéa du I de l'article 209 du même code : " (...) les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, de ceux mentionnés aux a, e, e bis et e ter du I de l'article 164 B ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions ". Aux termes de l'article 4 de la convention conclue entre la France et l'Allemagne le 21 juillet 1959 : " 1. Les bénéfices d'une entreprise de l'un des Etats contractants ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'effectue des opérations commerciales dans l'autre Etat par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise effectue de telles opérations commerciales, l'impôt peut être perçu sur les bénéfices de l'entreprise dans l'autre Etat, mais uniquement dans la mesure où ces bénéfices peuvent être attribués audit établissement stable. Cette fraction des bénéfices n'est pas imposable dans le premier mentionné des Etats contractants (...) ".
3. En application de l'article 235 ter ZAA cité au point 2, l'assujettissement à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés repose sur la qualité de redevable à l'impôt sur les sociétés et sur la réalisation d'un chiffre d'affaires annuel d'au moins 250 millions d'euros. Si la territorialité de l'impôt sur les sociétés résultant de l'article 209 du code général des impôts limite les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés à ceux réalisés en France, sous réserve des stipulations des conventions internationales relatives aux doubles impositions, elle n'a ni pour objet ni pour effet de limiter le chiffre d'affaires pris en compte pour apprécier le seuil d'assujettissement à la contribution exceptionnelle à celui réalisé en France. Ce faisant, les dispositions de l'article 235 ter ZAA, dont l'objectif est de soumettre, à titre exceptionnel, les grandes entreprises à une contribution supplémentaire compte tenu de leurs capacités contributives plus fortes, ne méconnaissent pas la liberté d'établissement garantie par les stipulations des articles 49 et 54 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dès lors, d'une part, qu'une société établie dans un autre Etat membre ayant une filiale ou une succursale en France est traitée de manière identique à une société établie en France ayant une filiale ou une succursale en France ou dans un autre Etat membre et, d'autre part, contrairement à ce que soutient la société IKB Deutsche Industriebank en défense, que l'existence d'une différence entre les chiffres d'affaires à prendre en compte pour l'appréciation du seul seuil d'assujettissement à cette contribution, et non pour la détermination de son assiette, selon que les sociétés étrangères exercent des activités en France dans le cadre d'une succursale ou dans le cadre d'une filiale qui est la conséquence nécessaire de l'absence de personnalité propre de la succursale ne constitue pas, par elle-même, une entrave à la liberté d'établissement, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur ce point.
4. Il suit de là que le MINISTRE DE L'ACTION ET DES COMPTES PUBLICS est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour faire droit à la demande de la société IKB Deutsche Industriebank, le Tribunal administratif de Montreuil a jugé qu'en application des articles 235 ter ZAA du code général des impôts, et 1, 2 et 4 de la convention conclue entre la France et l'Allemagne le 21 juillet 1959, le chiffre d'affaires de la société à retenir pour l'assujettissement à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés était le chiffre d'affaires réalisé par son établissement stable en France.
5. Il appartient à la Cour, saisi de l'ensemble du litige par la voie de l'effet dévolutif, d'examiner les autres moyens soulevés par la société IKB Deutsche Industriebank.
6. En premier lieu, aux termes de l'article 21 de la convention fiscale franco-allemande susvisée : " (1) Les nationaux d'un Etat contractant ne sont soumis dans l'autre Etat contractant à aucune imposition ou obligation y relative, qui soit autre ou plus lourde que les impositions et les obligations y relatives auxquelles sont ou pourront être assujettis les nationaux de cet autre Etat se trouvant dans la même situation (...) (4). L'imposition d'un établissement stable qu'une entreprise d'un Etat contractant a dans l'autre Etat contractant n'est pas établie dans cet autre Etat d'une façon moins favorable que l'imposition des entreprises de cet autre Etat qui exercent la même activité. Cette disposition ne peut être interprétée comme obligeant un Etat contractant à accorder aux résidents de l'autre Etat contractant les déductions personnelles, abattements et réductions d'impôt en fonction de la situation ou des charges de famille qu'il accorde à ses propres résidents. "
7. Au regard de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, une société établie en Allemagne disposant d'un établissement stable en France est traitée de manière identique à une société établie en France ayant un établissement stable en France ou à l'étranger, et notamment en Allemagne, dès lors que, dans l'une ou l'autre de ces situations, le seuil d'assujettissement à cette contribution s'apprécie au regard du chiffre d'affaires mondial de l'entreprise.
8. En second lieu, s'il existe, pour l'application des dispositions de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts, une différence entre les chiffres d'affaires à prendre en compte, selon qu'une société étrangère exerce des activités en France dans le cadre d'une succursale ou dans le cadre d'une filiale, elle est la conséquence nécessaire de l'absence de personnalité propre de la succursale et ne peut être regardée comme constituant une discrimination prohibée par les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son protocole additionnel.
9. Il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L'ACTION ET DES COMPTES PUBLICS est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a fait droit à la demande de la société IKB Deutsche Industriebank. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter les conclusions de cette dernière au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Montreuil du 15 juin 2015 est annulé.
Article 2 : La contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2012 est remise à la charge de la société IKB Deutsche Industriebank.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société IKB Deutsche Industriebank au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
N° 18VE01516 2