Procédure devant la Cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 28 juin 2016 et les 12 janvier et 3 mars 2017, M. et MmeB..., représentés par Me Herrou, avocat, demandent à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de prononcer la décharge des impositions supplémentaires contestées ;
3° de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'absence de visa des conclusions des parties est une cause de nullité du jugement attaqué ;
- ce jugement ne répond pas à l'ensemble des arguments soulevés ;
- dès lors que les retenues à la source notifiées à l'établissement stable français de la société Eco Program Spa ont été dégrevées à la suite d'une irrégularité procédurale, il y aura lieu de prononcer, en conséquence, la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu qui leur ont été assignés, sans que puisse être opposé le principe d'indépendance des procédures, dès lors que l'ensemble des informations utilisées par le service dans le cadre du contrôle sur pièces procèdent exclusivement de celles découvertes lors de la vérification de comptabilité, irrégulière, de la société Eco Program ;
- l'administration ne saurait maintenir les rectifications litigieuses alors que 84 % des rehaussements de résultats de la société Eco program ont été abandonnés ;
- le vérificateur a manqué de loyauté à l'égard de la société vérifiée dans le cadre du contrôle sur place dès lors qu'il lui appartenait de l'informer qu'elle n'avait pas, faute d'établissement stable en France, à souscrire de déclaration, ni à déposer de comptabilité ;
- la société de droit italien, bien qu'ayant souscrit, en France, des déclarations de résultat, n'y a jamais disposé d'aucun établissement stable tant au sens du droit interne que du droit conventionnel comme le reconnaît le vérificateur dans la proposition de rectification, lorsqu'il écrit que : " les travaux de rénovation sont réalisés matériellement par la maison mère (Eco Program Spa) puis refacturés au titre de la sous-traitance à la succursale française " ; en réalité, le prétendu établissement stable se borne, à travers une simple adresse de domiciliation, à recevoir et à régler les factures ; l'administration n'apporte aucune réponse sur ce point ; dès lors, c'est par une inexacte appréciation de ses arguments et des faits de l'espèce que le tribunal a estimé que la disposition, par la société de droit italien, d'un établissement stable en France, n'était pas contestée ;
- en admettant même que la société ait disposé d'un établissement stable en France, sa succursale n'était pas juridiquement détachable de l'entité italienne ; la fiction d'une personnalité fiscale ne lui conférait pas pour autant une personnalité morale distincte ; à supposer qu'un compte courant d'associé débiteur puisse être enregistré dans la comptabilité de la succursale, cette circonstance n'emporterait aucune conséquence fiscale ou pénale ; la constatation, dans la comptabilité de la succursale, d'un compte n° 467 intitulé " compte courantB... " ne modifie pas cette réalité juridique et le vérificateur ne pouvait donc conclure, comme il l'a fait, qu'en " se substituant à la société BS2 pour le règlement de ses dettes, M. B...a ainsi privé la succursale française Eco Program d'un actif " ; en effet, ce n'est que si M. B...ne s'était pas substitué à la clientèle liquidée que l'établissement français aurait été privé d'un actif ; de surcroît, M. B...était titulaire d'un compte courant créditeur dans la société de droit italien qui était de nature à compenser, et donc à annuler, sa position débitrice dans le compte de liaison de la succursale française ;
- à supposer que la doctrine de l'administration assimilant la succursale d'une société étrangère à un établissement stable puisse trouver à s'appliquer, l'établissement stable devrait alors bénéficier du régime de faveur des sociétés mères prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts dont le principal objet est l'élimination des doubles impositions ; dans une telle hypothèse, l'aide ou l'abandon de créances d'une société mère à sa filiale ne constitue pas nécessairement un acte de gestion anormale ;
- dès lors que l'administration n'établit pas que M. B...a disposé des sommes inscrites au débit du compte de liaison de la succursale française de la société Eco Program Spa, le a. de l'article 111 du code général des impôts ne pouvait trouver application ; en outre, l'administration n'établit pas, comme il le lui incombe, que les sommes en litige ont été mises à la disposition de l'associé ;
- la doctrine de l'administration reconnaît expressément que cet article n'est pas applicable à l'égard de comptes d'associés lorsque, exceptionnellement et de convention expresse, ces comptes sont appelés à comporter des remises, réciproques et indivisibles, présentant le caractère de véritables comptes courants (Rép. Cassagne, AN 29 octobre 1957,
p 4168 ; D. adm. 4 J-1212, n° 19, 1er novembre 1995) ; outre l'impossibilité sus-rappelée, pour un tiers, de détenir un compte courant d'associé dans une entité dépourvue de personnalité morale et de capital social, c'est donc, à tort, que le vérificateur a estimé que la prise en charge d'une dette, par M.B..., constituait une distribution ;
- la pénalité pour manquement délibéré n'est pas applicable par voie de conséquence du mal fondé des suppléments d'impositions ; au surplus, l'administration n'établit pas en quoi un tel manquement pourrait résulter d'une simple compensation entre des dettes et des créances clients.
..........................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention signée le 5 octobre 1989 entre la France et l'Italie en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Locatelli,
- les conclusions de M. Coudert, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., substituant Me Herrou, pour M. et MmeB....
1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société Eco Program Spa, société de capitaux de droit italien qui a son siège à Alessandria, en Italie, et exerce une activité dans le domaine du bâtiment, a été regardée par l'administration fiscale comme disposant en France d'une succursale, constitutive d'un établissement stable par l'intermédiaire duquel elle réalisait des bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés ; que M. B..., dirigeant de cette société, et son épouse, fiscalement domiciliés en Italie, ont fait l'objet d'un examen de leur situation fiscale personnelle à l'issue duquel l'administration les a assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, à raison du solde débiteur que présentait, aux 31 décembre 2007 et 2008, le compte courant d'associé ouvert au nom de M. B...dans les écritures de cet établissement stable ; que ces impositions supplémentaires ont été assorties de la pénalité pour manquement délibéré visée à l'article 1729 du code général des impôts ; que M. et Mme B...relèvent appel du jugement du 29 février 2016 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande tendant à la décharge de ces rappels d'impôt, ainsi que des pénalités correspondantes ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes du premier alinéa du I de l'article 209 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés d'après les règles fixées par les articles 34 à 45, 53 A à 57 et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions (...) " ; que, d'autre part, aux termes de l'article 7 de la convention franco-italienne signée à Venise le 5 octobre 1989 : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre Etat mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable (...) " ; qu'au sens de l'article 5 de cette convention : " 1. (...) l'expression " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires où l'entreprise exerce tout ou partie de son activité. / 2. L'expression " établissement stable " comprend notamment : a) Un siège de direction ; b) Une succursale c) Un bureau ; (... ) / 3. On ne considère pas qu'il y a un " établissement stable " si : (...) d) Une installation fixe d'affaires est utilisée aux seules fins (...) de réunir des informations pour l'entreprise ; e) Une installation fixe d'affaires est utilisée, pour l'entreprise, aux seuls fins de publicité, de fourniture d'informations, de recherches scientifiques ou d'activités analogues qui ont un caractère préparatoire ou auxiliaire. / 4. Nonobstant les dispositions des paragraphes 1 et 2, lorsqu'une personne - autre qu'un agent jouissant d'un statut indépendant auquel s'applique le paragraphe 5 - agit pour le compte d'une entreprise et dispose dans un Etat de pouvoirs qu'elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l'entreprise, cette entreprise est considérée comme ayant un établissement stable dans cet Etat pour toutes les activités que cette personne exerce pour l'entreprise, à moins que les activités de cette personne ne soient limitées à celles qui sont mentionnées au paragraphe 3 et qui, si elles étaient exercées par l'intermédiaire d'une installation fixe d'affaires, ne permettrait pas de considérer cette installation comme un établissement stable selon les dispositions de ce paragraphe. / 5. On ne considère pas qu'une entreprise d'un Etat a un établissement stable dans l'autre Etat du seul fait qu'elle y exerce son activité par l'entremise d'un courtier, d'un commissionnaire général ou de toute autre intermédiaire jouissant d'un statut indépendant, à condition que ces personnes agissent dans le cadre ordinaire de leur activité. (...) " ;
3. Considérant que M. et Mme B...soutiennent que la société de droit italien Eco Program qui a son siège en Italie n'a jamais disposé, en France, d'aucun établissement stable dès lors que le local dont elle disposait, à Nice, ne constituait qu'une simple adresse de domiciliation où étaient reçues et acquittées les factures que le siège italien émettait pour avoir paiement de prestations de rénovation d'immeubles appartenant à des sociétés de marchands de biens dont les actifs étaient situés dans la région niçoise ;
4. Considérant que l'administration, tant au cours de la procédure précontentieuse que contentieuse devant le tribunal administratif, et le ministre, en appel, ne contestent pas qu'à son adresse niçoise, la société Eco Program se bornait à acquitter les prestations de rénovation d'immeubles qui lui étaient facturées par le siège italien et que ces prestations étaient réalisées dans la région niçoise au moyen de personnels et de matériels du siège ; qu'il ne résulte d'aucun autre élément de l'instruction que la société de droit italien devait être regardée comme ayant exploité une entreprise en France au sens des dispositions précitées de l'article 209 du code général des impôts et que les bénéfices tirés de cette activité étaient, dès lors, imposables à l'impôt sur les sociétés en application de la loi fiscale française ; qu'il n'est pas davantage établi que le local dont cette société disposait à Nice caractérisait une succursale, un bureau ou encore un siège de direction effective constituant une installation fixe d'affaires à partir desquels cette entreprise italienne exerçait son activité par l'intermédiaire d'un établissement stable au sens et pour l'application des articles 5 et 7 de la convention fiscale franco-italienne ; que c'est, à tort, qu'au vu des seuls éléments dont elle a été en mesure de faire état devant le juge, que l'administration a donc imposé à l'impôt sur le revenu, entre les mains des requérants, en tant que revenus distribués sur le fondement des dispositions du a de l'article 111 du code général des impôts, les soldes débiteurs du compte courant ouvert au nom de M. B...dans les livres de compte que la société Eco Program avait déposés auprès des services fiscaux au titre des années 2007 et 2008 en l'absence d'indices suffisamment sérieux et concordants de ce que ces sommes se rapportaient aux opérations commerciales d'un établissement stable français de cette société, dont les résultats auraient été imposables en France à l'impôt sur les sociétés ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme B...sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. et Mme B...et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1402225 du 29 février 2016 du Tribunal administratif de Montreuil est annulé.
Article 2 : M. et Mme B...sont déchargés, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2007 et 2008.
Article 3 : L'État versera à M. et Mme B...la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par M. et Mme B...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.
N° 16VE01965 3