Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 décembre 2018 et régularisée le 17 janvier 2019, et un mémoire en réplique, enregistré le 7 avril 2020, la SASU NSMB représentée par
Me Jakubowski, avocat, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de prononcer la décharge des impositions en litige ;
3° de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la vente par licitation du 17 décembre 2008 est l'élément de comparaison par excellence qu'il convient de retenir afin d'évaluer la valeur du bien en cause ;
- un abattement de 12 % doit être pris en compte pour la vétusté, de 12 % pour l'engagement de caution, et la même décote que celle pour l'occupation de Mme A... doit être appliquée pour l'occupation de M. B..., soit 20 % ;
- la cession en cause relève d'une gestion commerciale normale dès lors que l'opération a été effectuée dans l'intérêt de la société, tant au niveau du profit réalisé que de la rapidité de la revente opérée ;
- le service a implicitement mais nécessairement entendu, pour établir les impositions en litige, faire application de la notion d'abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, sans lui permettre de bénéficier des garanties prévues par ces dispositions, commettant ainsi un détournement de procédure ;
- la " prescription du recouvrement est acquise " dès lors que la société n'a jamais été destinataire de l'avis de mise en recouvrement ;
- la pénalité pour manquement délibéré n'est pas justifiée.
Par deux mémoires distincts, enregistrés les 28 juin et 15 juillet 2019 au greffe de la cour, la SASU NSMB a soulevé, en application des dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du c) de l'article 111 du code général des impôts.
Par un mémoire, enregistré le 10 juillet 2019, le ministre de l'action et des comptes publics a présenté des observations en réponse à la communication de la question prioritaire de constitutionnalité.
Par une ordonnance n° 18VE04175 du 23 juillet 2019, le président de la 3ème chambre de la cour a décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité présentée par la SASU NSMB.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,
- et les observations de Me Jakubowski, avocat de la SASU NSMB.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) NSMB, qui exerce une activité de marchand de biens, a acquis, le 17 décembre 2008, par voie d'adjudication par licitation, un bien situé à Fourqueux (78), composé d'une maison de 179 m² édifiée sur une parcelle de 1 345 m², pour un montant de 608 000 euros. A la suite d'une séparation-bornage le 25 juin 2009, cette parcelle a été divisée en quatre lots, dont l'un, cadastré B 2417 d'une superficie de 708 m² et comprenant la maison, a été cédé, le 29 juillet 2009, par la SASU NSMB à son gérant et associé unique, M. C..., ainsi qu'à son épouse, pour un prix de
360 000 euros. Le 13 juillet 2010, M. et Mme C... ont revendu le bien pour un montant de 705 000 euros, la société ayant, pour sa part, cédé, aux mêmes acquéreurs, la parcelle référencée
B 2418, constituée d'un terrain nu d'une superficie de 621 m², pour 360 000 euros. A l'issue de la vérification de comptabilité dont la société a fait l'objet au titre des exercices clos en 2009 et 2010, l'administration fiscale, a estimé que la cession de la parcelle cadastrée B 2417 aux époux C..., consentie à un prix regardé comme étant significativement inférieur à sa valeur vénale, constituait un acte anormal de gestion, et a ainsi rehaussé les bénéfices de l'exercice clos en 2009 de la différence entre cette dernière valeur et le prix de vente. La société a, par conséquent, été assujettie à une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2009, assortie de pénalités pour manquement délibéré, d'un montant total de
17 042 euros. La SASU NSMB fait appel du jugement du tribunal administratif de
Cergy-Pontoise du 26 octobre 2018 ayant rejeté sa demande de décharge des impositions en litige.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, alors applicable : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. (...) ".
3. Pour estimer que l'insuffisance du prix de cession de la maison cédée aux époux C... devait être réintégrée dans le résultat imposable de la société, l'administration n'a, à aucun moment de la procédure, soutenu, même implicitement, que les actes de cession en cause auraient été fictifs ou inspirés par le seul motif d'éluder ou d'atténuer la charge fiscale, mais s'est bornée à constater qu'en cédant à son gérant associé le bien en cause à un prix inférieur à sa valeur réelle, sans contrepartie, la SASU NSMB avait commis un acte anormal de gestion à concurrence du montant de l'insuffisance de prix constatée. Ce faisant, l'administration ne saurait être regardée comme s'étant placée, même implicitement, sur le terrain de l'abus de droit. Par suite, la SASU NSMB n'est pas fondée à soutenir, au demeurant pour la première fois en appel, qu'elle aurait été imposée en méconnaissance des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales et qu'elle aurait été privée des garanties prévues par ces dispositions dont, notamment, la saisine du comité de l'abus de droit fiscal.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne la prescription :
4. Aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : " Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. (...) ". Et aux termes du 1er alinéa de l'article L. 189 du même livre : " La prescription est interrompue par la notification d'une proposition de rectification, par la déclaration ou la notification d'un procès-verbal, de même que par tout acte comportant reconnaissance de la part des contribuables et par tous les autres actes interruptifs de droit commun. (...) ".
5. Il est constant que la proposition de rectification du 20 décembre 2012 a régulièrement interrompu une première fois le délai de reprise prévu à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales. En outre, contrairement à ce que soutient la société requérante, l'avis de mise en recouvrement du 10 décembre 2015, qui lui a été régulièrement notifié le 16 décembre suivant, ainsi qu'il résulte de l'accusé de réception produit au dossier de première instance, a de nouveau interrompu le délai de reprise et donc, le cours de la prescription. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les impositions en litige seraient prescrites.
En ce qui concerne l'existence d'un acte anormal de gestion :
6. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Il appartient, en règle générale, à l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal.
S'agissant de la valeur vénale du bien :
7. La valeur vénale d'un bien doit être estimée en se référant au prix qui aurait pu être obtenu par le jeu de l'offre et de la demande à la date où l'acquisition est intervenue. Lorsque l'administration procède à l'évaluation de la valeur vénale d'un immeuble, elle doit se référer à des transactions portant sur l'immeuble même ou sur des immeubles similaires situés à proximité de celui-ci et intervenues à une date proche de celle du fait générateur de l'impôt.
8. Pour déterminer la valeur vénale du bien immobilier cédé par la SASU NSMB à son gérant, l'administration a, suivant l'avis de la commission départementale des impôts directs et taxes sur le chiffre d'affaires du 16 décembre 2014, finalement retenu la moyenne du prix moyen des comparables retenus par elle et de ceux proposés par la société requérante, soit un prix de
4 000 euros au m², auquel elle a appliqué une décote globale de 38 %, soit 30 % afin de tenir compte de l'occupation du bien et de l'absence de liquidité des lots, 3 % pour la vétusté de la maison et 5 % pour l'engagement de caution de M. C.... La valeur vénale a ainsi été ramenée à 2 480 euros par m² portant le prix de vente réévalué à 443 920 euros, soit une insuffisance de 83 920 euros servant de base à la rectification en litige.
9. Si la société requérante allègue que la vente par adjudication intervenue le
17 décembre 2008 est l'élément de comparaison par excellence qui doit être retenu afin d'évaluer la valeur du bien en cause, sans qu'il soit besoin de recourir à d'autres éléments de comparaison, il est toutefois constant, ainsi que le fait valoir l'administration, que la revente à
M. et Mme C... ne s'est pas faite dans le cadre d'une vente judiciaire, mais dans celui d'une cession classique, ce qui justifiait de procéder à une comparaison avec des cessions de biens similaires, pour laquelle les éléments fournis par la SASU NSMB elle-même ont d'ailleurs été pris en compte. Si la SASU NSMB conteste les décotes appliquées qu'elle estime insuffisantes et réclame qu'elles soient portées à 12 % pour l'engagement de caution, 12 % au titre de la vétusté et 40 % pour l'occupation, elle ne produit aucun élément au soutien de ses allégations pour en justifier et permettant de retenir un abaissement supérieur du prix de cession. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve qui lui incombe de l'existence d'un écart significatif, supérieur à 23 %, entre la valeur du bien telle que retenue par la SASU NSMB, soit 360 000 euros, et la valeur réelle correctement évaluée par le service, à 443 920 euros.
S'agissant de l'existence d'une intention libérale et de l'existence de contreparties :
10. Pour apporter la preuve de ce que la vente en cause, portant sur un élément de stock de la société qui exerce l'activité de marchand de biens, est intervenue dans des conditions étrangères à une gestion commerciale normale, l'administration fiscale relève, outre l'écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale, la circonstance que l'acquéreur était également le gérant et l'associé unique de la SASU NSMB, ce qui laisse présumer l'intention libérale du cédant à l'égard du cessionnaire.
11. Pour contester cette présomption de libéralité et justifier l'existence de contreparties, la SASU NSMB fait valoir que l'opération a été effectuée dans son intérêt, dès lors d'une part, que la revente des lots B 2417 et B 2418 a généré une plus-value substantielle, et d'autre part, que la rapidité de la revente du lot occupé à M. C..., qui constituait d'ailleurs une condition d'octroi de son crédit, lui a permis de diminuer la charge d'intérêts à verser à la Caisse d'épargne sur le prêt consenti. S'il ne saurait être fait grief à la société de ne pas avoir réalisé un profit maximal, ni d'avoir octroyé à un tiers un avantage pour autant qu'elle retire elle-même une contrepartie de l'opération, il n'est toutefois pas démontré que la société se serait trouvée contrainte de céder ce bien à très bref délai, à un prix minoré, au profit de son gérant, alors, d'une part, qu'elle n'invoque aucune circonstance autre, qu'en termes très généraux, la crise financière de 2008, qui aurait fait obstacle à une mise en vente sur le marché, dans des conditions normales, et d'autre part, que, contrairement à ce qu'elle soutient, il ne ressort pas des stipulations contractuelles que le prêt qui lui a été consenti par la Caisse d'Epargne en vue de l'acquisition de l'ensemble immobilier aurait été subordonné à l'achat de la maison par M. C.... En outre, aucune justification n'est apportée quant à la date de départ de l'occupant précédent alors que les époux C... ont indiqué sur leur déclaration de revenus avoir déménagé dans le bien en cause le 1er juillet 2009, soit entre le compromis de vente du 11 avril 2009 et l'acte authentique de vente du 29 juillet 2009. Ainsi, la seule circonstance que la SASU NSMB ait finalement pu réaliser une plus-value, laquelle procède essentiellement de la revente, au même acquéreur final, le même jour, du terrain nu au même prix que le terrain bâti, n'est pas de nature, en l'absence de toute autre considération, à justifier l'existence de contreparties. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme démontrant que la SASU NSMB s'est délibérément appauvrie à des fins étrangères à son intérêt en procédant à la vente, à son gérant, d'un élément de son actif circulant à un prix significativement minoré, témoignant ainsi de l'existence d'un acte anormal de gestion. C'est, par suite à juste titre, en application des règles ci-dessus rappelées que l'administration a réintégré, dans le bénéfice imposable de la SASU NSMB, le montant de la libéralité correspondante.
Sur les majorations pour manquement délibéré :
12. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
13. Pour appliquer la majoration de 40 % prévue par les dispositions précitées de l'article 1729 du code général des impôts, l'administration a relevé l'importance de la minoration du prix de cession ainsi que le fait, qu'en sa qualité de marchand de bien, la SASU NSMB ne pouvait ignorer ni la valeur réelle du bien litigieux ni qu'en cédant le bien à son unique associé à un prix minoré, elle n'agissait pas dans son intérêt propre mais dans l'intérêt personnel de
celui-ci, lequel a réalisé, en un temps très court, une importante plus-value en franchise d'impôt. Ce faisant, et alors même que l'évaluation initiale du service a été révisée au cours de la procédure, notamment afin de tenir compte de l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, c'est à bon droit que le service, qui apporte la preuve qui lui incombe de l'intention du contribuable d'éluder l'impôt, a appliqué au rappel contesté la majoration de 40 % pour manquement délibéré.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la SASU NSMB n'est pas fondée à se plaindre de ce que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SASU NSMB est rejetée.
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N° 18VE04175