Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 29 janvier 2016, Mme C... D..., représentée par Me E..., avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté ses demandes n° 1301464, 1306876 et 1401478 dirigées respectivement contre les décisions des 4 janvier 2013, 13 septembre 2013 et 13 janvier 2014 du président du conseil général des Yvelines portant suspension de son agrément d'assistante maternelle pour une durée de quatre mois et, d'annuler ces décisions ;
2° de mettre à la charge du département des Yvelines la somme de 26 232,12 euros en réparation de son préjudice financier et la somme de 5 000 euros à lui verser en réparation de son préjudice moral ;
3° de mettre à la charge du département des Yvelines la somme de 3 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- les premiers juges ont fait une inexacte appréciation de la situation et ont commis une erreur de droit.
Sur la légalité des décisions litigieuses :
- les décisions litigieuses, qui impliquent par leur effet cumulé la suspension de son agrément pour une période totale de 21 mois, ont été prises en violation de l'article R. 421-24 du code de l'action sociale et des familles qui prévoit que la suspension ne peut en aucun cas excéder une période de quatre mois ;
- elles sont insuffisamment motivées, en méconnaissance de l'article L. 421-6 du code de l'action sociale et des familles, dès lors qu'aucun élément factuel précis n'a été mentionné quant à la gravité du risque qui pèserait sur les enfants s'ils étaient toujours accueillis chez elle ;
- elles sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation ; le président du conseil général s'est borné à reprendre les déclarations téléphoniques de la mère de l'enfant ; il n'a mené aucune investigation pour s'assurer de la fiabilité des éléments portés à sa connaissance alors qu'il lui incombe d'investiger et de prendre en compte les éléments à charge et à décharge avant de prendre une décision de suspension d'agrément ; ainsi nulle investigation n'a été menée quant aux fiches de pointage de son fils, ni concernant son logement, qu'il a pris à bail depuis décembre 2012, ce qui signifie qu'il ne réside plus à son domicile.
Sur la réparation des préjudices :
- la réparation du préjudice financier à hauteur de 26 232,12 euros, ce qui correspond à la somme qu'elle aurait perçue si elle avait poursuivi son activité entre janvier 2013 et septembre 2014 ;
- le préjudice moral ainsi que l'atteinte à son honneur et à sa réputation professionnelle, doit être réparé à hauteur de 5 000 euros.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public,
- le code de l'action sociale et des familles,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Bruno-Salel, rapporteur public,
- les observations de Me E... pour Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Le 7 septembre 2004, le département des Yvelines a délivré à Mme D... un agrément d'assistante maternelle pour une période de cinq ans, renouvelé le 28 mai 2009. Le 1er août 2005, elle a été recrutée à la crèche du centre d'action sociale et communale (CCAS) de la commune de Mantes-la-Jolie. Le 12 septembre 2012, à la suite du témoignage d'une enfant de 2 ans et demi qu'elle gardait à son domicile, faisant peser sur son fils des soupçons d'abus sexuel, le Procureur de la République de Versailles a été saisi. Par six décisions successives des 4 janvier, 6 mars, 13 septembre 2013, 13 janvier 2014, 15 mai 2014 et 2 juin 2014, le président du Conseil général a prononcé la suspension de son agrément d'assistante maternelle pour une durée de quatre mois. Le 31 décembre 2013, la commune de Mantes-la-Jolie a prononcé son licenciement. Mme D... relève appel du jugement n° 1301464, 1306876, 1401478, 1401482, 1405540 et 1405543 du 26 novembre 2015 du Tribunal administratif en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du président du Conseil général du 4 janvier 2013, du 13 septembre 2013 et du 13 janvier 2014 et, qu'il n'a été fait que très partiellement droit à ses conclusions indemnitaires tendant à la réparation des préjudices subis à raison des décisions portant suspension temporaire de son agrément d'assistante maternelle.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Mme D... soutient que le Tribunal administratif a commis une erreur de droit en estimant que les décisions litigieuses étaient conformes aux dispositions des articles L. 421-6 et R. 421-24 du code de l'action sociale et des familles, suffisamment motivées et justifiées par l'intérêt général qui s'attachait à la protection de la santé, la sécurité et l'épanouissement des mineurs accueillis, que le président du conseil général avait accompli toutes les diligences préalables nécessaires, particulièrement, la tenue d'un entretien avant que la première suspension ne soit décidée. Toutefois ces moyens se réfèrent au bien-fondé du jugement et non à sa régularité. Ils ne peuvent qu'être écartés.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la légalité externe des décisions attaquées :
En ce qui concerne la motivation :
3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 susvisée, applicable au litige : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui (...) / infligent une sanction " et selon l'article 3 de cette loi : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ". Aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 421-6 du code de l'action sociale et des familles : " Toute décision de retrait de l'agrément, de suspension de l'agrément ou de modification de son contenu doit être dûment motivée et transmise sans délai aux intéressés ".
4. Il ressort de l'examen des décisions attaquées des 4 janvier 2013, 13 septembre 2013 et 13 janvier 2014, qu'elles comportent, chacune, l'énoncé des éléments de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elles sont donc conformes aux exigences des articles 1er et 3 de la loi du 11 juillet 1979, ainsi qu'aux termes du 4e alinéa de l'article L. 421-6 du code de l'action sociale et des familles. Contrairement à ce que soutient la requérante, la circonstance qu'elles ne mentionneraient pas d'élément factuel quant à la gravité du risque qui pèserait sur les enfants s'ils étaient toujours accueillis chez elle, est sans incidence sur l'appréciation du caractère suffisant de leur motivation. Le moyen tiré de ce qu'elles sont insuffisamment motivées manque en fait et doit être écarté.
En ce qui concerne le vice de procédure :
5. Il ressort des pièces du dossier et notamment du rapport établi par la puéricultrice-coordinatrice du territoire d'action sociale du Mantois, qui a reçu Mme D... en entretien le 20 décembre 2012, que la directrice de la crèche auprès de laquelle les parents de l'enfant se sont plaints a rencontré Mme D... pour évoquer cette plainte. Mme D... a ensuite été reçue par la coordinatrice pour évoquer le signalement et la suspicion d'abus sexuel d'un membre de sa famille sur un enfant pendant le temps d'accueil et a bien été informée qu'une mesure de suspension de son agrément était envisagée. Elle a pu à cette occasion formuler des observations. Le moyen, tiré par la requérante de ce que les décisions seraient entachées d'un vice de procédure au motif que le département ne l'aurait pas informée de ce qu'il envisageait de suspendre son agrément et qu'elle pouvait présenter des observations et de ce qu'il ne lui aurait pas donné les informations nécessaires pour qu'elle puisse présenter de telles observations, sera donc écarté comme manquant en fait.
En ce qui concerne la légalité interne des décisions attaquées :
S'agissant de la violation de l'article R. 421-24 du code de l'action sociale et des familles :
6. Aux termes de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles dans sa rédaction applicable : " L'agrément nécessaire pour exercer la profession d'assistant maternel (...) est délivré par le président du conseil général du département (...) si les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne ". Selon le troisième alinéa de l'article L. 421-6 de ce code, dans sa rédaction applicable : " Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil général peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, modifier le contenu de l'agrément ou procéder à son retrait. En cas d'urgence, le président du conseil général peut suspendre l'agrément (...) ". Aux termes de l'article R. 421-24 du même code, dans sa rédaction applicable : " (...) La décision de suspension d'agrément fixe la durée pour laquelle elle est prise qui ne peut en aucun cas excéder une période de quatre mois ".
7. En vertu des dispositions précitées, une mesure de suspension, qui ne peut excéder quatre mois, constitue une mesure provisoire destinée à permettre de sauvegarder la santé, la sécurité et le bien-être des mineurs accueillis, durant les délais nécessaires notamment à la consultation de la commission consultative paritaire départementale et au respect du caractère contradictoire de la procédure, en vue, le cas échéant, d'une mesure de retrait ou de modification du contenu de l'agrément. Pendant la période de suspension de son agrément, l'assistant maternel ou familial employé par une personne morale de droit privé ou de droit public bénéficie d'une indemnité compensatrice. Le législateur a ainsi entendu, par ces dispositions, déterminer entièrement les règles de procédure auxquelles sont soumises ces mesures de suspension de l'agrément des assistants maternels ou familiaux, qui s'inscrivent dans le cadre de la modification ou du retrait éventuel de cet agrément, soumis à une procédure contradictoire préalable précisée à l'article R. 421-23 du même code.
8. Le délai de quatre mois précité doit notamment permettre au département de diligenter une enquête administrative, voire sociale, de saisir la commission ad hoc et de prendre une décision consistant soit à retirer l'agrément soit, s'il ne le fait pas, à laisser l'assistante recouvrer le plein usage de celui-ci et poursuivre son activité d'accueil.
9. Il ressort de l'instruction que la première décision de suspension d'agrément, prononcée le 4 janvier 2013, a pour motif l'ouverture d'une enquête pénale diligentée par le Procureur de la République, saisi le 17 décembre 2012 d'une plainte à l'encontre d'un membre de sa famille pour des soupçons d'abus sexuel sur une enfant de deux ans et demi qui lui était confiée, plainte transmise par la cellule centralisée des informations préoccupantes des Yvelines (CCIP 78). Le président du conseil général a ensuite pris une deuxième décision de suspension d'agrément, le 6 mai 2013. La troisième décision de suspension, en date du 13 septembre 2013, est intervenue après que le Procureur de la République a indiqué au président du conseil général, le 11 septembre 2013, que l'enquête pénale était toujours en cours. Enfin la quatrième décision en litige a été prise le 13 janvier 2014, après que le Procureur de la République a de nouveau informé le président du conseil général, le 10 janvier 2014, que l'enquête pénale était toujours en cours.
10. La procédure administrative étant distincte de la procédure pénale, le département n'avait pas à attendre l'issue de la procédure pénale pour prendre sa décision. Or, ainsi qu'il a été dit, il a sollicité le Parquet tous les quatre mois pour être informé de l'état de l'instruction pénale et dans la mesure où elle était toujours en cours, il a pris les décisions des 13 septembre 2013 et 13 janvier 2014 prolongeant illégalement la décision de suspension de l'agrément de Mme D.... Dans ces conditions, le moyen tiré de la violation de l'article R. 421-24 du code de l'action sociale et des familles par les mesures de suspension des 13 septembre 2013 et 13 janvier 2014 doit être accueilli. Les décisions des 13 septembre 2013 et 13 janvier 2014 doivent donc être annulées.
Sur la légalité interne des décisions attaquées :
En ce qui concerne l'erreur d'appréciation entachant la décision du 4 janvier 2013 :
11. Il résulte des dispositions des articles L. 421-3 et L. 421-6 du code de l'action sociale et des familles, qu'il incombe au président du conseil général de s'assurer que les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants accueillis et de procéder au retrait de l'agrément si ces conditions ne sont plus remplies. A cette fin, dans l'hypothèse où il est informé de suspicions de comportements susceptibles de compromettre la santé, la sécurité ou l'épanouissement d'un enfant, notamment de suspicions d'agression sexuelle, de la part du bénéficiaire de l'agrément ou de son entourage, il lui appartient de tenir compte de tous les éléments portés à la connaissance des services compétents du département ou recueillis par eux et de déterminer si ces éléments sont suffisamment établis pour lui permettre raisonnablement de penser que l'enfant est victime des comportements en cause ou risque de l'être. Il peut en outre, si la première appréciation de ces éléments révèle une situation d'urgence, procéder à la suspension de l'agrément.
12. Il résulte de l'instruction que la suspension de l'agrément de Mme D... prononcée le 4 janvier 2013, a pour motif l'enregistrement, le 20 décembre 2012, par le Parquet des Mineurs de Versailles, d'une plainte des parents d'une enfant de deux ans et demi confiée à Mme D..., la petite Loëline, suite à un signalement effectué le 17 décembre 2012. L'enfant se plaignait d'attouchements sexuels de la part du fils majeur de la requérante, M. A... D.... Le 20 décembre 2012, Mme D... s'est présentée à un entretien, réalisé par une puéricultrice du service de l'action sociale de Mantes-la-Jolie, au cours duquel elle a été informée de l'existence des faits de nature à suspendre son agrément d'assistante maternelle et les a contestés. Le 4 janvier 2013, le président du conseil général des Yvelines a prononcé la suspension de son agrément à raison des suspicions d'abus sexuel sur mineur confié à Mme D....
13. Il ressort des pièces du dossier que ce dernier s'est fondé sur les éléments recueillis par la cellule centralisée des Informations Préoccupantes, et notamment sur le témoignage de la mère de l'enfant selon lequel l'enfant lui aurait décrit et mimé avec précision les gestes commis par le fils de Mme D... sur la personne de sa fille, cette dernière déclarant connaitre Julien et l'appeler par un diminutif. Il s'est fondé également sur l'entretien que Mme D... a eu avec la directrice de la crèche, laquelle lui a fait grief de laisser les enfants à la garde de tiers et en l'occurrence son fils, puis avec la puéricultrice-coordinatrice du territoire d'action sociale du Mantois, cette dernière notant que Mme D... dénigrait l'enfant, parlant de son comportement régressif depuis le mois de septembre consistant à refuser de se laisser habiller, alors qu'elle n'en avait jamais informé les parents ou la crèche. Les éléments contraires produits par Mme D... ne permettent pas de lever cette suspicion. Ainsi, les documents produits, et notamment des fiches de pointage de son fils dans son entreprise font apparaître des jours non travaillés pendant lesquels le contact avec les enfants était possible. Enfin, si Mme D... soutient que son fils n'habitait plus chez elle depuis le début du mois de janvier 2014, il ressort du contrat de location qu'elle produit et de ses déclarations à la coordinatrice que le logement loué par ce dernier se situe à la même adresse sur le même palier, et qu'il peut ainsi toujours être en contact avec les enfants dont sa mère assure la garde. Dans ces conditions, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que le Département a pu considérer qu'il existait un risque pour la santé et la sécurité des enfants et qu'il y avait urgence à ne plus confier de mineurs à Mme D... le temps de la suspension.
Sur les conclusions indemnitaires :
14. Toute illégalité commise par l'administration constitue une faute susceptible d'engager sa responsabilité, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain.
15. La prise des décisions, illégales, de suspension des 13 septembre 2013 et 13 janvier 2014 est donc de nature à engager la responsabilité du Département des Yvelines pour la période comprise entre le 13 septembre 2013, date du premier renouvellement illégal de la suspension d'agrément opposée à Mme D... et la date de la prise d'effet de son licenciement par la commune, intervenu le 31 décembre 2014.
16. Toutefois, la responsabilité de l'administration peut être atténuée du fait de la faute exonératoire de la victime. En l'espèce, si le Département des Yvelines a, ainsi qu'il a été dit au point 10 du présent arrêt, prolongé illégalement la période de suspension de l'agrément de Mme D..., il ressort de l'instruction que celle-ci a laissé la garde des enfants qui lui étaient confiés à son fils. Un tel comportement constitue une faute professionnelle, seule Mme D... disposant de l'agrément l'autorisant à garder des enfants à son domicile. De cette faute initiale est née la suspicion d'abus sexuel ayant justifié la mesure initiale de suspension et motivé les suivantes. Ainsi, dans les circonstances très particulières de l'espèce, nonobstant la circonstance que l'affaire a été finalement classée sans suite, et compte tenu de la précision des déclarations de l'enfant et de la faible valeur probante des dénégations et des éléments apportés par Mme D..., qui sont de nature à confirmer les risques pour la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants accueillis à son domicile, la faute commise par Mme D... doit être regardée comme exonérant totalement le département de sa responsabilité.
17. Il résulte de ce qui précède que les conclusions par lesquelles Mme D... demande à être indemnisée des préjudices résultant de la prise des décisions de suspension des 13 septembre 2013 et 13 janvier 2014 ne peuvent qu'être rejetées.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
18. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de Mme D... la somme demandée par le Département des Yvelines en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas davantage lieu de mettre à la charge du Département des Yvelines la somme réclamée par Mme D... au même titre.
DÉCIDE :
Article 1er : Les décisions du président du Département des Yvelines des 13 septembre 2013 et 13 janvier 2014 sont annulées.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... est rejeté.
Article 3 : Les conclusions présentées par le département des Yvelines au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
N° 16VE00298 2