Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 19 juillet 2016, Mme L... G... veuve H..., M. B... N... H..., M. C... M... H..., Mme K... H... épouse E..., Mme F... H... épouse D..., représentés par Me Bisalu, avocat, demandent à la Cour :
1° d'annuler le jugement n° 1510428 du 1er juin 2016 du Tribunal administratif de Montreuil ;
2° de condamner l'Etat à leur verser une somme totale de 350 000 euros en réparation des préjudices subis ;
3° d'enjoindre à l'Etat de verser ces sommes sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans le délai de trente jours après la notification de l'arrêt à intervenir ;
4° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement sur la base duquel le sous-préfet a accordé le concours de la force publique ne constitue pas un titre exécutoire ; seule la grosse du jugement revêtue de la formule exécutoire constitue le titre exécutoire ; or il appartenait au sous-préfet de vérifier si celui qui sollicitait le concours de la force publique justifiait d'un titre exécutoire ; s'agissant d'un jugement d'adjudication, la mutation et le transfert de propriété n'interviennent qu'à une double condition, que les prix et frais soient payés et que la publication du jugement et les formalités d'adjudication soient faites aux services des hypothèques ; l'administration a donc accordé précocement le concours de la force publique ce qui constitue une faute ;
- les juridictions judiciaires ont constaté l'irrégularité et le caractère infondé de leur expulsion ;
- le sous-préfet du Raincy a ainsi, à raison de ces irrégularités, porté atteinte au droit de propriété des consorts H..., ce qui constitue par là même une voie de fait caractérisée ; cette situation est à l'origine d'une souffrance morale pour toute cette famille et a entraîné, pour M. A... I..., des conséquences d'une gravité exceptionnelle puisque celui-ci est décédé peu de temps après cette expulsion.
.......................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des procédures civiles d'exécution ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme J...,
- et les conclusions de Mme Bruno-Salel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Les consorts H... ont acquis le 20 juin 1989 un pavillon situé 5 rue du Havre à Aulnay-sous-Bois (93600). En 2011, le Crédit immobilier de France a engagé une procédure de saisie immobilière qui s'est conclue par l'adjudication du pavillon, prononcée par jugement du Tribunal de grande instance de Bobigny du 24 mai 2011, à la société civile immobilière Marrakech Invest moyennant le prix de 161 000 euros. L'adjudicataire, à la suite de deux commandements de quitter les lieux en date des 8 juillet et 12 août 2011 n'ayant pu conduire au départ des occupants, a sollicité du préfet de la Seine-Saint-Denis le concours de la force publique à l'expulsion des intéressés. Ce concours a été accordé par décision du 10 janvier 2012 indiquant que l'expulsion était susceptible d'intervenir à compter du 16 mars 2012. L'expulsion a eu lieu le 11 mai 2012. Les consorts H... ont demandé au Tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat à leur verser une somme de 350 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de l'octroi, par la décision du 10 janvier 2012, du concours de la force publique à l'exécution du jugement d'adjudication du 24 mai 2011. Le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande. Les consorts H... relèvent appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution applicable à la date de la décision attaquée : " L'Etat est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l'Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation ". Aux termes de l'article L. 411-1 du code des procédures civiles d'exécution : " Sauf disposition spéciale, l'expulsion d'un immeuble ou d'un lieu habité ne peut être poursuivie qu'en vertu d'une décision de justice ou d'un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d'un commandement d'avoir à libérer les locaux. ". L'article 2210 du code civil prévoyait, à la date de la décision accordant le concours de la force publique: " Le jugement d'adjudication constitue un titre d'expulsion à l'encontre du saisi. ".
3. En application de ces dispositions, il incombe à l'autorité administrative d'assurer, en accordant au besoin le concours de la force publique, l'exécution des décisions de justice. Toute décision de justice ayant force exécutoire peut donner lieu à une exécution forcée, la force publique devant, si elle est requise, prêter main forte à cette exécution. Toutefois, des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public ou à la survenance de circonstances postérieures à la décision judiciaire d'expulsion telles que l'exécution de celle-ci serait susceptible d'attenter à la dignité de la personne humaine, peuvent légalement justifier, sans qu'il soit porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, le refus de prêter le concours de la force publique. En cas d'octroi de la force publique il appartient au juge de rechercher si l'appréciation à laquelle s'est livrée l'administration sur la nature et l'ampleur des troubles à l'ordre public susceptibles d'être engendrés par sa décision ou sur les conséquences de l'expulsion des occupants compte tenu de la survenance de circonstances postérieures à la décision de justice l'ayant ordonné, n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
4. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le jugement d'adjudication du 24 mai 2011 au vu duquel le préfet a accordé le concours de la force publique comportait bien la formule exécutoire, contrairement à ce que soutiennent les requérants, et constituait ainsi un titre exécutoire. Il ne résulte d'aucune disposition qu'il appartienne au préfet, saisi d'une demande d'octroi du concours de la force publique pour l'exécution d'un jugement d'adjudication, d'apprécier si le prix du bien a été versé ou les formalités au service des hypothèques ont été effectuées. La circonstance que le juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de Bobigny a par la suite en octobre 2012 déclaré infondée la procédure d'expulsion des occupants au motif que l'adjudicataire ne justifiait ni du versement du prix ni de la consignation de la somme correspondante, est par suite sans incidence sur la légalité de la décision du préfet.
5. En deuxième lieu, le concours de la force publique ayant été accordé en vertu d'un jugement d'adjudication valant titre exécutoire, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la décision du préfet constituerait une atteinte à leur droit de propriété ou une voie de fait.
6. En dernier lieu, les requérants n'établissent pas que le décès de M. A... H... le 20 décembre 2012, soit plus de sept mois après l'expulsion, serait lié à cette expulsion.
7. Il résulte de ce qui précède que l'Etat n'a commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par les consorts H... sur leur fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête des consorts H... est rejetée.
N° 16VE02322 2