Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires enregistrés le 20 janvier 2017, le 12 mars 2018 et 25 mai 2018, la caisse primaire d'assurance maladie de l' Essonne, représentée par Me Gatineau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 novembre 2016 ;
2°) d'annuler la décision du 15 avril 2014 et de condamner l'EFS à lui verser la somme de 90 181,35 euros, ainsi que la somme de 1 028 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
3°) de mettre à la charge de l'EFS une somme de 4 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier pour insuffisance de motivation sur la perte de chance ;
- le jugement est entaché de dénaturation des pièces du dossier dès lors qu'elle contestait sérieusement l'enquête transfusionnelle ;
- le jugement est entaché d'erreur de droit en ce qu'il se fonde sur les résultats de l'enquête menée par l'EFS pourtant contestée ;
- les premiers juges ont manqué à leur office en l'absence d'instruction sur les modalités de réalisation de l'enquête transfusionnelle ;
- le tribunal a méconnu le droit au procès équitable protégé par l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme ;
- le jugement est entaché d'erreur de droit au regard de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique, le législateur ayant entendu transférer le coût des prestations servies vers le secteur assurantiel privé, ce qui justifie une condamnation in solidum lorsque les centres de transfusion ne sont pas identifiés ;
- si l'enquête transfusionnelle ne permet pas d'identifier les donneurs et les centres responsables, la responsabilité de l'EFS qui n'établit pas l'innocuité des produits sanguins, doit être engagée en mettant en oeuvre une présomption d'imputabilité.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de Mme Grossholz, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... a fait l'objet au cours d'une hospitalisation en août et décembre 1983 de transfusions de plasma. Le diagnostic de contamination par le virus de l'hépatite C (VHC) a été posé en 2008. L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a considéré que Mme A... apportait un faisceau d'indices permettant de faire présumer que sa contamination par le virus de l'hépatite C trouvait son origine dans les produits sanguins qui lui avaient été injectés en 1983 et l'a indemnisée. La CPAM a formé sur le fondement de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale une demande d'indemnisation auprès de l'EFS en vue d'obtenir le remboursement des prestations versées à son assurée, soit la somme de 90 181,35 euros, demande rejetée par l'EFS le 15 avril 2014. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande de condamnation de l'EFS à lui verser cette somme ainsi que le paiement de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".
3. Si la CPAM soutient que le jugement ne répond pas à sa demande de mise en jeu de la responsabilité de l'EFS pour perte d'une chance en raison d'une traçabilité insuffisante des produits sanguins, le jugement rejette dans son point 11 ce fondement de responsabilité au motif qu'aucun texte n'imposait à l'époque des faits de garantir une traçabilité des produits sanguins. Dans ces conditions, le moyen tiré du défaut de motivation du jugement manque en fait et doit, par suite, être écarté.
4. En second lieu, la CPAM soutient que les premiers juges ont méconnu son droit au procès équitable en se fondant sur le résultat de l'enquête menée par l'EFS et ses résultats non concluants, sans faire usage de leurs pouvoirs d'instruction, alors qu'elle a contesté ces résultats. Toutefois, la circonstances que le tribunal se fonde sur des éléments fournis par l'une des parties et qui lui sont favorables, notamment lorsqu'elle est la seule à pouvoir les produire, n'est pas de nature à constituer une atteinte au droit de bénéficier d'un procès équitable, dès lors que ces éléments ont été soumis au contradictoire. Par ailleurs, la CPAM ne peut utilement invoquer l'absence de mesure d'instruction relevant des pouvoirs propres du juge.
Sur le bien-fondé du jugement :
5. Aux termes des septième, huitième et neuvième alinéas de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi du 14 décembre 2020, et applicable aux actions juridictionnelles engagées à compter de la date du 1er juin 2010 conformément au I de l'article 39 de cette loi : " Lorsque l'office a indemnisé une victime ou lorsque les tiers payeurs ont pris en charge des prestations mentionnées aux 1 à 3 de l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, ils peuvent directement demander à être garantis des sommes qu'ils ont versées ou des prestations prises en charge par les assureurs des structures reprises par l'Etablissement français du sang en vertu du B de l'article 18 de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire de produits destinés à l'homme, de l'article 60 de la loi de finances rectificative pour 2000 (n° 2000-1353 du 30 décembre 2000) et de l'article 14 de l'ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine, que le dommage subi par la victime soit ou non imputable à une faute./L'office et les tiers payeurs, subrogés dans les droits de la victime, bénéficient dans le cadre de l'action mentionnée au septième alinéa du présent article de la présomption d'imputabilité dans les conditions prévues à l'article 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Les assureurs à l'égard desquels il est démontré que la structure qu'ils assurent a fourni au moins un produit sanguin labile ou médicament dérivé du sang, administré à la victime, et dont l'innocuité n'est pas démontrée, sont solidairement tenus de garantir l'office et les tiers payeurs pour l'ensemble des sommes versées et des prestations prises en charge./L'office et les tiers payeurs ne peuvent exercer d'action subrogatoire contre l'Etablissement français du sang, venu aux droits et obligations des structures mentionnées à l'avant-dernier alinéa, si l'établissement de transfusion sanguine n'est pas assuré, si sa couverture d'assurance est épuisée ou encore dans le cas où le délai de validité de sa couverture est expiré. ".
6. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique que, même en l'absence de faute, les tiers payeurs sont en droit d'exercer à l'encontre de l'EFS une action subrogatoire à hauteur des sommes versées à la victime d'une contamination par le VHC lorsque l'EFS peut lui-même bénéficier d'une garantie par les assureurs des structures qu'il a reprises ou par ses propres assureurs. Ils bénéficient dans leur action contre l'EFS de la même présomption d'imputabilité que dans le cadre des actions contre les assureurs des structures reprises par l'EFS. Une telle garantie n'est possible qu'à la condition que le ou les centres de transfusion sanguine fournisseurs du ou des produits effectivement administrés à la victime soient identifiés et qu'ils soient assurés, que leur couverture d'assurance ne soit pas épuisée et que le délai de validité de cette couverture ne soit pas expiré.
7. Il résulte de l'instruction que Mme A... a bénéficié de transfusions de plasma lors d'hospitalisation en août et décembre 1983, que l'enquête transfusionnelle menée par l'EFS en mai 2011 a révélé que les produits sanguins administrés à Mme A... provenaient des centres de transfusion sanguine d'Asnières, de Versailles, de l'hôpital Saint-Antoine et de l'hôpital Foch, et que sur les 31 transfusions effectuées, 27 donneurs n'ont pu être identifiés en l'absence à l'époque des faits, d'obligation de traçabilité des produits et en raison de l'anonymat des dons. En outre, il n'a pas été possible d'effectuer d'analyses pour les 4 autres donneurs identifiés afin de déterminer leur statut sérologique.
8. En application des dispositions précitées, la CPAM de l'Essonne bénéficie d'une présomption d'imputabilité de la contamination de Mme A..., qui a été indemnisée par l'ONIAM, lors des transfusions de produits sanguins dont elle a bénéficié en 1983. L'EFS qui a identifié les centres de transfusion sanguine ayant fourni les produits n'apporte pas d'élément, en soutenant qu'aucune sérologie positive n'a été mise en évidence alors qu'aucune analyse n'a pu être effectuée pour les 31 donneurs, de nature à prouver que les transfusions de plasma de Mme A... ne seraient pas à l'origine de sa contamination.
9. L'EFS soutient que l'Hôpital Saint Antoine ne dispose d'aucune assurance s'agissant d'un établissement de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris. Comme les deux autres CTS, l'EFS à qui il incombe d'éclairer la juridiction et de fournir des éléments permettant de vérifier l'existence d'une couverture d'assurance, soutient en réponse à la mesure d'instruction diligentée, qu'en dépit des déclarations de sinistres effectuées auprès de la société Axa France Iard pour le CTS d'Asnières et auprès de la compagnie UAP aux droits de laquelle vient la société Axa France Iard pour le CTS de Versailles-Le Chesnay, cet opérateur assurantiel n'a jamais fait part du solde de garantie disponible pour aucun des deux contrats. De sorte que l'existence même d'une couverture assurantielle n'est pas établie. Il ne résulte ainsi pas de l'instruction que l'EFS bénéficierait d'une couverture d'assurance non épuisée. Par suite, la condition tenant à la couverture assurantielle prévue à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique précité pour l'exercice d'un recours subrogatoire de la caisse primaire d'assurance maladie contre l'Etablissement français du sang ne peut être regardée comme remplie.
10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer, que la CPAM de l'Essonne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'EFS au versement de la somme de 90 181,35 euros et de la somme de 1 028 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'EFS qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la CPAM de l'Essonne le versement d'une somme à ce titre.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la CPAM de l'Essonne est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'EFS au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administratives sont rejetées.
N° 17VE00237 2