Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 18 juillet 2016 et le 16 janvier 2018, MmeD..., représentée par Me Jesusek, avocate, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement et la décision de suspension du 31 octobre 2014 ;
2° de condamner le centre hospitalier Sud-Francilien à lui payer la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi ;
3° de mettre à la charge du centre hospitalier Sud-Francilien une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit en ce qu'il n'a pas reconnu l'illégalité de la décision de suspension du 31 octobre 2014 ;
- cette décision du 31 octobre 2014 n'était pas justifiée dès lors qu'elle n'a pas été prise dans des conditions d'urgence et de dysfonctionnement du service ;
- cette décision a été prise sans qu'il en soit immédiatement référé au centre national de gestion des praticiens hospitaliers ;
- cette décision a été prise pour une durée excessive dès lors qu'elle était supérieure à une durée de quatre mois ;
- les difficultés par Mme D...ont été causées par des relations conflictuelles avec son chef de service arrivé en 2012 ;
- aucune procédure disciplinaire n'a été prise à son encontre ;
- elle a été victime de harcèlement moral ;
- la prise d'une décision de placement en congé de longue durée postérieurement à son retour au sein du service est de nature à établir le harcèlement moral subi.
- elle n'a pas été réintégrée dans son poste après la levée de la mesure litigieuse ;
- elle a subi un préjudice moral.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique,
- la loi du 13 juillet 1983,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Margerit,
- les conclusions de Mme Bruno-Salel, rapporteur public,
- les observations de Me Jesusek pour MmeD..., et celles de Me B...pour le centre hospitalier Sud-Francilien.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A...D..., médecin psychiatre, praticien hospitalier, a été affectée, le 15 novembre 2000, au service médico-psychologique régional de la maison d'arrêt (SMPR) de Fleury-Mérogis. Suite à un conflit relationnel avec le chef du service et le personnel médical, une tentative de médiation infructueuse le 3 septembre 2013 et un changement d'affectation le 18 avril 2014, Mme D...a fait l'objet d'une décision du directeur du centre hospitalier Sud-Francilien en date du 31 octobre 2014, la suspendant de ses activités cliniques et thérapeutiques, à titre provisoire et conservatoire à compter du 5 novembre 2014. Le 6 novembre 2014, Mme D...a introduit un recours gracieux auprès du directeur du centre hospitalier afin de contester la décision de suspension. Par une nouvelle décision en date du 10 septembre 2015, le directeur du centre hospitalier a mis fin à cette mesure de suspension. Par un jugement du 4 mai 2016, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté la requête de Mme D...tendant à l'annulation de la décision du 31 octobre 2014, et à l'indemnisation des préjudices résultant de cette mesure et du harcèlement moral dont elle aurait été victime. Mme D...relève régulièrement appel de ce jugement.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le Centre hospitalier Sud-Francilien :
2. Il ressort des termes mêmes du jugement du 4 mai 2016, ainsi que des écritures de première instance de Mme D...que cette dernière a invoqué des moyens de légalité externe et interne tirés notamment de ce qu'elle ne se serait pas vu notifier l'arrêté du 31 octobre 2014, et de ce que cet arrêté serait entaché d'un vice de procédure, et de l'absence d'urgence justifiant la prise d'une telle mesure. Par suite, le moyen tiré de ce que le directeur du centre hospitalier Sud-Francilien n'a pas immédiatement référé de sa décision de suspension auprès de l'autorité compétente ne procède pas d'une cause juridique nouvelle en appel. Par suite, ce moyen n'est pas irrecevable.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 31 octobre 2014, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens :
3. Aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique : " Le directeur ... assure la gestion et la conduite générale de l'établissement, et en tient le conseil d'administration informé. A cet effet, il exerce son autorité sur l'ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s'imposent aux professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l'administration des soins et de l'indépendance professionnelle du praticien dans l'exercice de son art " . Sur le fondement des dispositions précitées, le directeur d'un centre hospitalier, qui exerce son autorité sur l'ensemble du personnel, peut légalement, dans des circonstances exceptionnelles où sont mis en péril la continuité du service et la sécurité des patients, prendre une mesure de suspension des activités cliniques et thérapeutiques et des fonctions de chef de service d'un praticien hospitalier, sous le contrôle du juge et à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné, sans qu'y fassent obstacle les dispositions de l'article 69 du décret du 24 février 1984 portant statut des praticiens hospitaliers, codifiées à l'article R. 6152-77 du code de la santé publique, qui prévoient la possibilité de suspendre les intéressés par une décision du directeur général du centre national de gestion des praticiens hospitaliers (CNG) que dans le seul cas où ils font l'objet d'une procédure disciplinaire.
4. Si, dans des circonstances exceptionnelles et eu égard à l'urgence, le directeur du centre hospitalier Sud-Francilien pouvait légalement suspendre Mme D...de ses activités au sein du centre hospitalier, il s'est borné par une lettre du 27 octobre 2014 à informer le directeur général du CNG des graves difficultés rencontrées avec
Mme D...mettant en péril le bon fonctionnement du service public sans informer le directeur général du CNG de sa décision de suspension prise le 31 octobre 2014. Dans ces conditions, Mme D...est fondée à soutenir que cette décision est entachée d'illégalité et que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à son annulation ainsi qu'à la réparation financière de son préjudice moral en découlant.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne la faute résultant de la suspension illégale de MmeD... :
5. Mme D...fait valoir qu'elle a subi un préjudice moral résultant de ce qu'elle a été suspendue de ses fonctions pendant une durée de onze mois pendant laquelle, en l'absence de saisine du directeur général du CNG, aucune mesure de nature à présenter une solution n'a pu être recherchée. Il y a lieu d'indemniser ce préjudice à hauteur de 2 000 euros.
En ce qui concerne la faute relative au harcèlement moral :
6. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, introduit par la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération :1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ;2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ;3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. ".
7. D'une part, pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels faits répétés doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors que la répétition de faits n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.
8. D'autre part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser l'existence de tels agissements. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au regard de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. En outre, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte de l'ensemble des faits qui lui sont soumis, y compris des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
9. Mme D...demande au tribunal de condamner le centre hospitalier
Sud-Francilien de son préjudice résultant du harcèlement moral dont elle se dit victime de la part du personnel médical du service médico-psychologique régional de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis et de son chef de service le docteur C...à compter de son arrivée en mars 2012 et jusqu'à la décision de suspension en date du 31 octobre 2014. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que ni les éléments versés par la requérante, ni la circonstance qu'elle ait saisi le conseil départemental de l'Ordre des médecins de l'Essonne par une plainte en date du 12 août 2013 et qu'elle ait déposé une plainte auprès des services de police le 22 février 2015 ainsi qu'une main courante le 28 juillet 2015, procédures n'ayant donné aucune suite, ne suffisent à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral de la part de la hiérarchie et des collègues de la requérante. Mme D...n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que la responsabilité de l'administration pour harcèlement moral aurait du être engagée.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D...est seulement fondée à demander la condamnation du centre hospitalier Sud-Francilien à lui verser la somme de 2 000 euros.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de MmeD..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le centre hospitalier Sud-Francilien demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge du centre hospitalier Sud-Francilien le versement à Mme D...d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Versailles du 4 mai 2016 et la décision du directeur du centre hospitalier Sud-Francilien du 31 octobre 2014 sont annulés.
Article 2 : Le centre hospitalier Sud-Francilien versera à Mme D...une somme de
2 000 euros.
Article 3 : Le centre hospitalier Sud-Francilien versera à Mme D...une somme de 1 500 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D...est rejeté.
Article 5 : Les conclusions du centre hospitalier Sud-Francilien présentées au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
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N° 16VE02324