Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 24 juillet 2015, 20 novembre 2015, 19 février 2016 et 11 octobre 2018, la société par actions simplifiée Laboratoires Majorelle, représentée par Me Odinot, avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de lui allouer la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la réalité des difficultés économiques et de la mutation profonde que connaissait le secteur d'activité de la société et de ses deux filiales est incontestable au sens des dispositions de l'article L. 1233-3 du code du travail ainsi que l'a relevé à juste titre l'inspecteur du travail conforté par l'analyse du ministre du travail ; le résultat net entre 2010 et 2011 a stagné et non augmenté de 161% comme l'a retenu le jugement à partir de chiffres dépourvus de fiabilité fournis par MmeA... ;
- la suppression du poste est fondée sur la suppression ou la réduction des activités dont la salariée avait la charge ; la circonstance que certaines de ses tâches ont été confiées à un autre salarié n'a pas d'incidence ;
- la société a rempli les obligations de reclassement de l'article L. 1233-4 du code du travail dès lors qu'il n'existait aucun poste correspondant à sa formation ni aucun poste disponible à lui proposer ; par ailleurs la salariée, qui a reconnu avoir un profil ne correspondant pas à celui de délégué médical, a refusé de participer à la recherche de reclassement ; les postes de délégués médicaux n'ont pas été remplacés ;
- le refus de la salariée du bénéfice du contrat de sécurisation professionnelle n'a pas à être reproché à la société ; à supposer une absence d'information par l'employeur, cette information est alors faite par Pôle Emploi ;
- deux licenciements individuels ont été entrepris dans une période de plus de 30 jours ; l'argument de Mme A...sur la consultation de la délégation unique du personnel est illégitime et insusceptible de conduire à une confirmation du jugement.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Geffroy,
- et les conclusions de Mme Bruno-Salel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que la société Laboratoires Majorelle anciennement dénommée Codepharma exerçait une activité de vente en gros ou au détail de produits pharmaceutiques, d'exploitation et de commercialisation de pilules contraceptives et de distribution notamment d'un dispositif médical sous licence dénommé Keat. Elle a demandé le 6 janvier 2012 l'autorisation de licencier Mme A..., salariée protégée, responsable des relations publiques depuis le 20 août 2007. La société a fait valoir dans sa demande qu'elle s'était engagée depuis le 2ème semestre 2011 dans une politique de redressement opérationnel et de diversification des produits qu'elle distribue afin de permettre la pérennité de l'entreprise dans un contexte de défiance à l'égard de l'industrie pharmaceutique et d'une baisse " catastrophique entre 2009 et 2010 " de son chiffre d'affaires et de ses résultats la conduisant à reconsidérer la politique des relations professionnelles et à réduire de 25 à 3 par an le nombre de ses participations aux congrès ce qui emportait suppression du poste de Mme A... chargée principalement de l'organisation et du suivi de la participation de l'entreprise à ces manifestations.
2. La demande d'autorisation de licenciement était ainsi justifiée par un motif économique tiré de la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise dans le secteur médical et pharmaceutique. Pour autoriser, par une décision du 22 février 2012, le licenciement envisagé sur ce motif, l'inspecteur du travail s'est notamment fondé sur ce qu'il n'était pas contesté que les autres sociétés du groupe étaient déficitaires et que si le résultat avait augmenté en 2011 pour atteindre un niveau proche, en valeur absolue des années 2008 à 2009, le ratio résultat sur chiffre d'affaires restait très inférieur à celui d'au moins trois des quatre autres entreprises du même secteur d'activité proposées à titre de comparaison par la société. La décision indique également que si la salariée conteste le choix des sociétés à comparer, toutefois l'entreprise Rottapharm, non citée par l'employeur, n'est pas comparable à la société Codepharma, dès lors qu'elle ne commercialise pas de produit en concurrence. Par une décision du 12 octobre 2012, le ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique formé le 16 avril 2012 par MmeA....
3. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement présentée par l'employeur est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié.
4. Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. / Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants, résultant de l'une des causes énoncées au premier alinéa. ".
5. Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport établi par l'inspection du travail, que la baisse de l'activité liée aux produits contraceptifs du fait de la prescription directe par les pharmaciens des contraceptifs génériques, conjuguée à une fin de contrat de distribution d'un patch contraceptif Evra, à l'expiration en 2011 du brevet commercial du contraceptif Minesse désormais substituable par un générique et à l'anticipation de modification des relations publiques avec les médecins en raison d'un rapport de l'IGAS de juin 2011 préconisant la suppression des visiteurs médicaux, étaient de nature à peser sur la compétitivité de l'entreprise. Par ailleurs, ainsi que l'a retenu l'inspecteur du travail sans " inverser la charge de la preuve ", la réorganisation de l'entreprise emportant la suppression du poste de responsable des relations publiques placé sous l'autorité du directeur médical et marketing était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise au regard notamment du ratio résultat net sur chiffre d'affaires de 1,35% à 4,15% sur les années 2008 à 2011, très inférieur à trois entreprises du même secteur d'activité commercialisant notamment les contraceptifs génériques et de l'évolution du résultat net de 2008 et 2011. Si le résultat de 2011 dépasse le résultat 2010, il ne retrouve pas le niveau de 2008 et 2009, Mme A...confirmant que les ventes autres que de contraceptifs, notamment le dispositif médical Keat destiné aux femmes souffrant d'incontinence urinaire, étaient également en baisse. Les circonstances invoquées par la salariée tirées de ce que la société Codepharma a absorbé les deux sociétés Laboratoires Amido et Akontis fin 2011 en dépit de leurs déficits sur deux années consécutives et aurait abandonné les poursuites civiles pour malversations engagées en 2011 à l'encontre de l'ancienne présidente de la société, n'ont pas d'incidence sur l'appréciation de la menace sur la compétitivité dès lors notamment que les absorptions s'inscrivent, en tout état de cause, dans le cadre de l'objectif de la réorganisation portant sur la diversification des produits de l'entreprise, notamment vers les produits de santé familiale vendus directement par les pharmaciens. De même la circonstance que le poste de relations publiques supprimé était principalement dédié à la promotion du dispositif médical Keat Pro est sans incidence sur la sauvegarde de la compétitivité. Enfin, si Mme A... fait valoir " l'attitude malhonnête " du dirigeant de la société et une " absence de transparence de la société Laboratoires Majorelle concernant sa situation économique ", il ne ressort pas des pièces qu'elle produit en appel concernant notamment une immatriculation de société, postérieure à la décision litigieuse, d'incidence sur l'appréciation portée par l'inspecteur du travail et confirmée par le ministre sur la compétitivité de l'entreprise à la date des décisions attaquées. Dès lors, au regard de la menace avérée sur la compétitivité, c'est à tort que le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé les décisions en litige au motif que le maintien de la compétitivité ne nécessitait pas de projet de réorganisation.
6. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A...devant le tribunal administratif et la cour.
7. Aux termes de l'article L. 1233-8 du code du travail : " L'employeur qui envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique de moins de dix salariés dans une même période de trente jours réunit et consulte (...) les délégués du personnel dans les entreprises de moins de cinquante salariés, dans les conditions prévues par la présente sous-section. ".
8. Il ressort des pièces du dossier que le licenciement de Mme A...pour motif économique a été envisagé les 24 août 2011 et 7 décembre 2011 et celui d'une autre salariée occupant le poste de chef de gamme le 7 novembre 2011. Ces deux licenciements n'ont donc pas été envisagés par l'employeur dans la même période de 30 jours. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'obligation de consultation des délégués du personnel prévue par l'article L. 1233-8 du code du travail manque en fait et doit être écarté.
9. La circonstance alléguée par Mme A...que la société requérante aurait transmis tardivement à l'inspection du travail, au ministre chargé du travail et au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, le bilan définitif de l'année 2011 n'est pas de nature à caractériser une méconnaissance du principe du contradictoire.
10. Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa version alors applicable : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient. / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises. ". Il résulte de ces dispositions que, pour apprécier si l'employeur a satisfait à l'obligation de reclassement qui lui incombe avant de procéder à un licenciement économique, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de vérifier que la société a cherché à reclasser le salarié sur un autre emploi équivalent. A défaut d'emploi équivalent disponible dans la société ou, le cas échéant, le groupe, il appartient à l'employeur, en application des dispositions législatives précitées, de rechercher à le reclasser sur un emploi d'une catégorie inférieure.
11. D'une part, il ressort des pièces du dossier que le salarié occupant le poste de chef de produit depuis le 1er novembre 2010 ne s'étant vu confier que les tâches relatives aux formations et séminaires, Mme A...n'est pas fondée à soutenir que son poste de responsable des relations publiques qui comprenait principalement environ cinquante participations annuelles de la société à des congrès médicaux qui ont été abandonnées dès 2012, aurait été finalement maintenu par une manoeuvre de son employeur. Mme A...ne pouvait davantage prétendre à ce poste de chef de produit qui n'a pas été vacant à compter du mois d'août 2011, où son licenciement a été envisagé, mais seulement transformé le 1er octobre 2011 en contrat à durée indéterminée pour le même salarié. Enfin l'absence de proposition de contrat de travail à temps partiel en lieu et place du temps plein afin de conserver les tâches relatives aux formations et séminaires ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 1233-4 du code du travail dès lors qu'aucun poste à temps partiel de relations publiques n'était vacant.
12. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, au vu notamment des qualifications de Mme A..., nonobstant son expérience professionnelle de marketing immobilier et de délégué médicale antérieurement à son expérience en relations publiques, que même en suivant des formations de quelques jours destinées à des chefs de produits confirmés, les postes de chef de produit de la médication familiale dispensée par les pharmaciens (OTC) et de chargé d'études marketing/ventes pourvus antérieurement aux décisions attaquées par des personnes titulaires d'un master d'école supérieure de commerce ne concernaient pas des emplois équivalents à celui qu'elle occupait.
13. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment des copies du registre unique du personnel qui confirment qu'à la date du 23 août 2012 postérieure à l'autorisation litigieuse, les onze emplois de délégués médicaux et de directeur de zone libérés entre mai 2011 et mai 2012, n'ont pas été reconduits, qu'il existait au sein de la société Laboratoires Majorelle, qui n'appartenait pas à un groupe, des possibilités de reclassement même sur un emploi d'une catégorie inférieure, à la date à laquelle l'inspecteur a pris sa décision confirmée par le ministre chargé du travail.
14. Par suite, il résulte de ce qui précède que la société Laboratoires Majorelle a satisfait à son obligation de reclassement.
15. Aux termes de l'article L. 1233-66 du code du travail dans sa version alors applicable : " Dans les entreprises non soumises à l'article L. 1233-71, l'employeur est tenu de proposer, lors de l'entretien préalable ou à l'issue de la dernière réunion des représentants du personnel, le bénéfice du contrat de sécurisation professionnelle à chaque salarié dont il envisage de prononcer le licenciement pour motif économique. / A défaut d'une telle proposition, l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1 propose le contrat de sécurisation professionnelle au salarié. Dans ce cas, l'employeur verse à l'organisme chargé de la gestion du régime d'assurance chômage mentionné à l'article L. 5427-1 une contribution égale à deux mois de salaire brut, portée à trois mois lorsque son ancien salarié adhère au contrat de sécurisation professionnelle sur proposition de l'institution mentionnée au même article L. 5312-1.(...) ".
16. Il ressort des pièces du dossier que l'employeur a proposé à Mme A...lors du premier entretien préalable du 20 septembre 2011 le document " contrat de sécurisation professionnelle ". Par suite, et en tout état de cause, nonobstant l'erreur matérielle figurant sur ce point dans le courrier du 28 février 2012 que lui a adressé la société Laboratoires Majorelle, Mme A...n'a pas été " privée du bénéfice de ce dispositif par la faute de la société ".
17. Il résulte de tout ce qui précède que la société Laboratoires Majorelle est fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 26 mai 2015, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision du 22 février 2012 de l'inspecteur du travail et la décision du 12 octobre 2012 par laquelle le ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique de Mme A....
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Laboratoires Majorelle, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées au titre des mêmes dispositions par la société Laboratoires Majorelle.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1208395 du 26 mai 2015 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.
Article 2 : La demande de Mme A...présentée devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise et les conclusions d'appel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Laboratoires Majorelle au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
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N° 15VE02404