Par une requête enregistrée le 26 août 2019, la SARL CRP, représentée par Me Esen, avocat, demande à la cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° à titre principal, d'annuler la décision du 21 septembre 2016 du directeur général de l'OFII et les titres de perception émis à son encontre le 10 novembre 2016 en vue du recouvrement des sommes de 17 600 euros et 2 309 euros ;
3° à titre subsidiaire, d'annuler la décision du 21 septembre 2016 du directeur général de l'OFII en tant qu'elle met à sa charge la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile pour un montant de 2 309 euros et le titre de perception émis à son encontre en vue du recouvrement de cette somme ;
4° de mettre à la charge de l'OFII une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision attaquée du 21 septembre 2016 est entachée d'une erreur d'appréciation, la société n'ayant pas employé la personne en cause ; que celle-ci ne peut être considérée comme un travailleur irrégulier ; qu'elle est de bonne foi ;
- la contribution forfaitaire ne doit pas lui être appliquée dès lors que M. B... n'était pas en situation de séjour irrégulier en France et qu'il n'a donc jamais fait l'objet d'un réacheminement vers son pays d'origine ;
- les deux titres de perceptions sont entachés d'incompétence à défaut d'avoir été émis par le directeur général de l'OFII ou une personne relevant de son autorité à laquelle il aurait délégué sa signature.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- et les conclusions de Mme Grossholz, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 20 juin 2016, les services de la police aux frontières ont procédé à un contrôle sur un chantier à L'Isle Adam (Val d'Oise) sur lequel intervenait la société CRP en qualité de prestataire. A l'issue de ce contrôle, un procès-verbal d'infraction a été transmis à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) à l'encontre de la société CRP pour l'emploi sur ce chantier d'un ouvrier de nationalité turque, M. A... B..., démuni de titre l'autorisant à travailler en France et n'ayant pas fait l'objet d'une déclaration préalable à l'embauche. Par un courrier du 11 août 2016, le directeur général de l'OFII a informé la société de son intention de lui demander le versement de la contribution spéciale mentionnée à l'article L. 8253-1 du code du travail et de la contribution forfaitaire mentionnée à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'a invité à présenter ses éventuelles observations. Par une décision du 21 septembre 2016, malgré les observations présentées par la société le 29 août 2016, l'OFII a mis à sa charge les contributions susmentionnées pour un montant total de 19 909 euros. La société CRP relève appel du jugement du 27 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 septembre 2016 ainsi que celle des deux titres de perception émis le 10 novembre 2016 en vue du recouvrement de ces contributions.
Sur la fin de non-recevoir opposée par l'OFII :
2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. (...) Elle contient l'exposé des faits et moyens ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".
3. Contrairement à ce que soutient l'OFII, la requête d'appel de la société CRP, qui ne se borne pas à reproduire intégralement et exclusivement ses écritures de première instance et comporte une critique du jugement attaqué du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, contient ainsi l'exposé des faits et moyens requis par les dispositions précitées de l'article R. 411-1 du code de justice administrative. La fin de non-recevoir opposée par l'OFII doit, par suite, être écartée.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 21 septembre 2016 :
4. Aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou par personne interposée, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. ". Aux termes de l'article L. 8253-1 du même code : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. (...) ". Aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. ". Aux termes de l'article L. 5221-8 du code du travail : " L'employeur s'assure auprès des administrations territorialement compétentes de l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France, sauf si cet étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi tenue par l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1. ".
5. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre une décision mettant à la charge d'un employeur la contribution spéciale prévue par les dispositions précitées de l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire prévue par les dispositions également précitées de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour avoir méconnu les dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail, de vérifier la matérialité des faits reprochés à l'employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions. Il lui appartient, également, de décider, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir la sanction prononcée, soit d'en diminuer le montant jusqu'au minimum prévu par les dispositions applicables au litige, soit d'en décharger l'employeur. Par ailleurs, pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 8251-1 du code du travail, il appartient à l'autorité administrative de relever, sous le contrôle du juge, les indices objectifs de subordination permettant d'établir la nature salariale des liens contractuels existant entre un employeur et le travailleur qu'il emploie. En outre, s'il résulte de ces dispositions que les contributions qu'elles prévoient ont pour objet de sanctionner les faits d'emploi d'un travailleur étranger séjournant irrégulièrement sur le territoire français ou démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée, sans qu'un élément intentionnel soit nécessaire à la caractérisation du manquement, un employeur ne saurait toutefois être sanctionné lorsque tout à la fois, il s'est acquitté des vérifications qui lui incombent, relatives à l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France, en vertu de l'article L. 5221-8 du code du travail, et n'était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité.
6. En l'espèce, il ressort du procès-verbal établi par les services de la police aux frontières que M. B..., dépourvu de titre l'autorisant à travailler en France et n'ayant pas fait l'objet d'une déclaration préalable à l'embauche, a été contrôlé en action de travail sur le chantier où intervenait la société CRP. Si la requérante soutient que son gérant, M. D..., ne connaissait pas M. B..., n'a pas procédé à son embauche et n'avait pas même été informé de sa présence sur le chantier, il résulte toutefois de l'instruction que M. B... y travaillait à la demande de M. E..., salarié de la société CRP et responsable du chantier, lequel doit être regardé comme ayant agi ainsi en qualité de préposé de la société requérante et non pour son propre compte. Par conséquent, la SARL CRP ne saurait s'exonérer de la responsabilité qui était la sienne en tant qu'employeur de M. B.... Par ailleurs, la circonstance que les modalités de la rémunération due à ce salarié n'aient pas été arrêtées lors de ce premier jour de travail sur le chantier ne fait pas obstacle à ce que la société requérante soit regardée comme son employeur. Il est par ailleurs constant que la société CRP n'a pas, préalablement à l'embauche de M. B..., procédé aux vérifications prévues à l'article L. 5221-8 du code du travail.
7. Il résulte de ce qui précède, et dès lors que l'infraction prévue à l'article L. 8251-1 du code du travail est constituée du seul fait de l'emploi d'un travailleur étranger démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français, que c'est à bon droit que le directeur général de l'OFII a, par la décision en litige du 21 septembre 2016, mis à la charge de la société CRP la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, la requérante ne pouvant utilement invoquer ni l'absence d'élément intentionnel, ni sa bonne foi, ces circonstances étant sans effet sur la matérialité de l'infraction.
8. Il résulte en revanche de l'instruction que M. B... s'est vu délivrer le 23 juin 2016 par le préfet du Val d'Oise un récépissé constatant la reconnaissance d'une protection internationale, la qualité de réfugié lui ayant été reconnue par une décision de la Cour nationale du droit d'asile en date du 9 juin 2016. Ainsi, à la date du contrôle des services de la police aux frontières, M. B... était en situation régulière en France, sous couvert du récépissé constatant le dépôt de sa demande d'asile qui lui avait été délivré par la préfecture et dont il fait mention dans son procès-verbal d'audition du 20 juin 2016. Ainsi, ce salarié de la société CRP n'étant pas, à la date du contrôle, en situation de séjour irrégulier, c'est à tort que, par la décision en litige du 21 septembre 2016, le directeur général de l'OFII a mis à la charge de la société la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur les conclusions à fin d'annulation des titres de perception du 10 novembre 2016 :
9. Pour rejeter les conclusions de la société CRP tendant à l'annulation des titres de perception du 10 novembre 2016, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a accueilli la fin de non-recevoir opposée par l'OFII et tirée de l'absence de réclamation préalable. La requérante ne contestant pas en appel cette irrecevabilité, ses conclusions dirigées contre les titres de perception ne peuvent qu'être rejetées.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société CRP est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande en tant qu'elle tendait à l'annulation de la décision mettant à sa charge la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées tant par la société CRP que par l'OFII au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La décision du 21 septembre 2016 du directeur général de l'OFII est annulée en tant qu'elle met à la charge de la société CRP la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Article 2 : Le jugement n° 1703841 du 27 juin 2019 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société CRP est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par l'OFII au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
N° 19VE03046 2