Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 mars 2019, M. D..., représenté par Me B..., avocat, demande à la cour :
1°) avant-dire droit, de solliciter du juge d'instruction près le tribunal judiciaire de Metz la communication des procès-verbaux d'audition dans le cadre de l'instruction enregistrée sous n° de parquet : 15089000087 et n° d'information judiciaire : JICABJI415000037 ;
2°) d'annuler ce jugement ;
3°) d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de la défense a rejeté son recours administratif préalable formé auprès de la commission des recours des militaires le 7 octobre 2015 et dirigé contre la décision du 7 août 2015 rejetant sa demande de protection fonctionnelle ;
4°) d'enjoindre au ministre de la défense de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;
5°) d'enjoindre au ministre de la défense d'établir avec son conseil une convention d'honoraires au temps passé, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 4 912,20 euros en réparation de son préjudice matériel correspondant aux frais d'avocat qu'il a été contraint d'engager ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation ;
- sa demande tendant à l'octroi de la protection fonctionnelle est justifiée, dès lors qu'il a été victime, à compter du mois d'avril 2012, d'agissements répétés de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique direct ; son courrier personnel a été intercepté, ouvert et lu, avant de lui être transmis ; il a par ailleurs fait l'objet de plusieurs sanctions injustifiées et excessives ; en dépit de nombreuses relances, il a dû attendre dix-huit mois la validation de son diplôme militaire " CTA infanterie chef de groupe ACPL " ; d'autres militaires de son service ont subi des agissements analogues ; sa hiérarchie est restée inerte, malgré ses signalements ;
- le refus illégal de protection fonctionnelle est de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- ayant subi un préjudice matériel, il est fondé à demander la somme de 4 912,20 euros, correspondant aux frais d'avocat qu'il a été contraint d'engager dans le cadre de la procédure pénale qu'il a par ailleurs engagée.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Clot, rapporteur public,
- les observations de Me E..., substituant Me B..., pour M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., militaire de l'armée de terre depuis le 1er décembre 1997, a servi au 35ème régiment d'infanterie de Belfort à compter du 1er août 2011 et a été promu au grade de sergent-chef le 1er octobre suivant. Il a exercé les fonctions de chef du magasin optique optronique à compter du mois de février 2012. M. D... a été placé en congé maladie le 19 août 2013 pour un syndrome anxio-dépressif, puis en congé de longue durée à compter du 8 mars 2014, renouvelé à plusieurs reprises par des décisions successives prises par le ministre de la défense le 19 janvier 2015, le 2 avril 2015, le 10 août 2015, le 22 mars 2016 et le 19 septembre 2016. A la suite d'un jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 3 octobre 2017, devenu définitif, le ministre de la défense a reconnu que l'affection ouvrant droit aux congés de longue durée accordés à M. D..., pour la période du 8 mars 2014 au 7 mars 2017, était survenue du fait ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions. Par une décision du 7 août 2015, le ministre de la défense a rejeté la demande de protection fonctionnelle présentée le 30 avril 2015 par M. D.... Le recours préalable obligatoire, présenté le 7 octobre 2015 par M. D..., a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. M. D... relève appel du jugement du 3 janvier 2019 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision implicite de rejet et à ce qu'il soit enjoint à la ministre des armées de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si M. D... soutient que le jugement attaqué est entaché d'une erreur d'appréciation, ce moyen, qui se rattache au bien-fondé du raisonnement suivi par le tribunal administratif, n'est pas de nature à entacher ce jugement d'irrégularité.
Au fond :
3. Aux termes de l'article L. 4123-10-2 du code de la défense : " Aucun militaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un militaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral mentionnés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ou militaire ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ".
4. Aux termes de l'article L. 4123-10 du même code, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les militaires sont protégés par le code pénal et les lois spéciales contre les menaces, violences, harcèlements moral ou sexuel, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils peuvent être l'objet. / L'Etat est tenu de les protéger contre les menaces et attaques dont ils peuvent être l'objet à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) Le service compétent pour accorder la protection est celui dont relève le militaire à la date des faits en cause ".
5. D'une part, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 4123-10-2 du code de la défense qu'il appartient au militaire qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs du militaire auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de celui qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement du militaire qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour la victime doit alors être intégralement réparé.
6. D'autre part, les dispositions précitées de l'article L. 4123-10 du code de la défense établissent à la charge de l'Etat une obligation de protection des militaires dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles le militaire est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en oeuvre de cette obligation peut notamment conduire l'Etat à assister l'intéressé dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
7. M. D... soutient qu'il a été victime d'agissements répétés de harcèlement moral commis par son supérieur hiérarchique direct à compter du mois d'avril 2012, et reprend en appel les arguments développés en première instance, en faisant valoir que son courrier personnel a été intercepté, ouvert et lu, avant de lui être finalement transmis, qu'il a par ailleurs fait l'objet de plusieurs sanctions injustifiées et excessives, qu'en dépit de nombreuses relances, il a dû attendre dix-huit mois avant d'obtenir la validation de son diplôme militaire " CTA infanterie chef de groupe ACPL ", que d'autres militaires de son service ont subi des agissements analogues, qu'il existait un climat de tension dans son unité, que sa hiérarchie est restée inerte, malgré ses signalements, et que l'imputabilité au service de sa dépression a été reconnue par un jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 3 octobre 2017.
8. En premier lieu, s'agissant de l'interception de certains de ses courriers entre avril 2012 et août 2013, M. D... verse au dossier trois attestations établies les 19 janvier 2014 et 6 avril 2014 par l'un de ses collègues. Toutefois, l'une de ces attestations ne contient aucune indication relative à l'auteur des faits allégués. En outre, il ressort des termes mêmes des deux autres attestations que le courrier contenant l'avis d'impôt du requérant a été ouvert par l'auteur même desdites attestations, à la demande de M. D.... S'il est par ailleurs déclaré que le supérieur hiérarchique direct de M. D... a pris connaissance de cet avis d'impôt à l'insu de l'intéressé, cette allégation n'est pas corroborée par les autres pièces du dossier, en particulier par un échange de SMS du 1er octobre 2013 et des extraits d'une conversation sur un réseau social, dépourvus de valeur probante. Enfin, si le requérant fait valoir qu'il a déposé une plainte le 3 septembre 2014 contre son supérieur hiérarchique direct, cette seule circonstance n'est pas de nature à établir ses allégations.
9. En deuxième lieu, si M. D... soutient que les trois sanctions dont il a fait l'objet les 2 août 2012, 17 octobre 2012 et 11 février 2013 sont injustifiées et excessives, il est constant qu'il n'a pas jugé utile de les contester. En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces sanctions, et en particulier les deux dernières, prises respectivement aux motifs d'une absence injustifiée et du non-respect des consignes de sécurité applicables au stockage des matériels sensibles, révèleraient un acharnement de son supérieur hiérarchique direct à son encontre ou un exercice anormal du pouvoir hiérarchique.
10. En troisième lieu, si M. D... soutient qu'en dépit de nombreuses relances, il a dû attendre dix-huit mois avant d'obtenir la validation de son diplôme militaire " CTA infanterie chef de groupe ACPL ", il ne produit aucun élément de nature à établir la date de dépôt de cette demande ainsi que ses relances. En tout état de cause, à le supposer établi, le délai de dix-huit mois allégué par le requérant n'est pas de nature à faire présumer un harcèlement à son encontre.
11. En quatrième lieu, si M. D... soutient que sa hiérarchie est restée inerte, malgré ses nombreux signalements, aggravant ainsi le harcèlement dont il a été victime, il ne l'établit pas par la seule production des attestations mentionnées ci-dessus. De même, l'attestation établie le 8 avril 2014 par un autre de ses collègues n'est pas de nature à établir que le requérant aurait alerté le commandement du régiment des agissements qu'il impute à son supérieur hiérarchique direct. A cet égard, les circonstances qu'il a été placé en congé de maladie et qu'il a déposé une main courante le 30 juillet 2013, plus d'un an après le début des agissements allégués, ne permettent pas d'établir que le chef de corps aurait nécessairement été informé des faits allégués.
12. En cinquième lieu, si M. D... invoque l'existence d'un climat de tension dans son unité et fait valoir que d'autres militaires de son service ont subi des agissements analogues, les attestations qu'il produit sur ce point, mentionnées ci-dessus, ne sont en tout état de cause pas de nature à faire présumer le harcèlement moral dont il prétend avoir été personnellement victime.
13. Enfin, s'il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point 1, que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a, par un jugement du 3 octobre 2017, devenu définitif, reconnu l'imputabilité au service du syndrome anxio-dépressif de M. D..., cette circonstance n'est pas de nature à faire présumer les agissements répétés de harcèlement moral allégués.
14. Dans ces conditions, alors même que M. D... a été placé en congé maladie du 8 mars 2014 au 7 mars 2017 en raison de troubles anxio-dépressifs, l'ensemble des éléments exposés ci-dessus ne permet pas de faire présumer l'existence du harcèlement moral dont le requérant aurait fait l'objet et qui aurait justifié, selon lui, l'octroi de la protection fonctionnelle. Ainsi, le ministre de la défense a pu rejeter sa demande de protection fonctionnelle sans entacher sa décision d'illégalité.
15. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de procéder à la mesure d'instruction demandée, que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter ses conclusions à fin d'injonction.
Sur les frais liés à l'instance :
16. Les conclusions présentées par M. D..., partie perdante dans la présente instance, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
N° 19VE00826 2