Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement le 10 janvier 2018 et le 18 avril 2018, M. D..., représenté par Me C..., avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de condamner l'Etat à lui verser la somme de 11 544,92 euros en réparation de ses préjudices d'ordre financier et moral, avec intérêts au taux légal à compter de sa réclamation préalable et capitalisation des intérêts à compter du 7 mars 2015, date d'introduction de sa demande de première instance ;
3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4° de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens, dont les frais d'expertise privée d'un montant de 345 euros.
Il soutient que :
- sa pathologie dépressive qui a entraîné son placement en congé maladie à compter du 29 novembre 2013 est imputable au service ;
- ses pertes de salaires sur la période comprise entre décembre 2013 et octobre 2014, date de sa reprise, s'élèvent à la somme de 4 544, 92 euros ; ses frais médicaux peuvent être évalués forfaitairement à la somme de 2 000 euros ; son préjudice moral doit être évalué à la somme de 5 000 euros.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Cabon, rapporteur public,
- et les observations de me C..., pour M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., né le 30 décembre 1974, est professeur certifié en éléctrotechnique. Affecté au lycée Jean Jaurès d'Argenteuil au cours de l'année scolaire 2013-2014, il a subi une dépression nerveuse pour laquelle il été placé en congé de maladie ordinaire du 30 novembre 2013 au 3 juillet 2014. Par un courrier du 6 juin 2014, M. D... a demandé la reconnaissance de l'imputabilité au service de cette dépression. Lors de sa séance du 2 octobre 2014, la commission de réforme des agents de l'Etat a émis un avis défavorable à la reconnaissance sollicitée par l'intéressé. Par une décision du 9 octobre 2014, l'inspectrice d'académie, directrice académique des services de l'éducation nationale du Val-d'Oise, a rejeté la demande présentée par M. D.... Par un courrier du 10 décembre 2014, M. D... a demandé à l'inspectrice d'académie de procéder au retrait de cette décision et de lui verser la somme de 11 544,92 euros en réparation de ses préjudices. Cette demande a été rejetée par une décision du 7 janvier 2015. Une contre-expertise médicale, décidée par l'administration le 12 décembre 2014, a été réalisée le 30 décembre 2014 et a donné lieu le 12 février 2015 à un nouvel avis défavorable de la commission de réforme des agents de l'Etat. Par une décision du 17 février 2015, la directrice des services départementaux de l'éducation nationale du Val-d'Oise a, une seconde fois, rejeté la demande présentée par M. D.... L'intéressé relève appel du jugement n° 1502137 du 9 novembre 2017 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à réparer l'ensemble des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des décisions des 9 octobre 2014 et 17 février 2015.
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...) ".
3. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
4. Il résulte de l'instruction que M. D... a eu, le 14 octobre 2013, une vive altercation avec l'un de ses collègues, qu'il aurait surpris en train de fouiller son sac contenant ses affaires personnelles. Une seconde altercation a eu lieu le 26 novembre suivant avec l'un de ses élèves qui refusait de lui obéir, laquelle a nécessité l'intervention du proviseur de l'établissement. Le 27 novembre 2013, le requérant a exclu du cours deux élèves qui n'étaient pas en possession de leurs affaires de cours. Ces trois incidents ont conduit l'intéressé à adresser des rapports au proviseur du lycée les 17 octobre 2013, 26 novembre 2013 et 27 novembre suivant. Ces rapports ont donné lieu à deux courriers du proviseur adressés au requérant, datés des 26 novembre 2013 et 21 janvier 2014, dont il ressort que ce dernier n'a pas reçu le soutien qu'il demandait et que son comportement, lors des incidents susmentionnés, a été critiqué. M. D... a été placé en congé de maladie ordinaire à compter du 30 novembre 2013 et jusqu'au 3 juillet 2014.
5. Il résulte par ailleurs de l'instruction, et en particulier de trois certificats médicaux établis les 4 juin 2014, 19 août 2014 et 25 septembre 2014 par un médecin psychiatre, qui indique avoir reçu le requérant en consultation à quatorze reprises, que celui-ci a subi une dépression nerveuse en relation avec les faits mentionnés au point 4. Dans un certificat établi le 8 août 2014, un médecin gastroentérologue indique avoir reçu le requérant en consultation à deux reprises pour une prise en charge de troubles digestifs d'ordre fonctionnel causés par un stress professionnel et une anxiété intense subis depuis un an. En outre, si, dans son rapport d'expertise établi le 20 août 2014, le médecin psychiatre agréé sollicité par l'administration indique au sujet du requérant que des " traits de personnalité paranoïaque sont très présents avec psychorigidité, surestimation de soi, quérulence, affirmation de son bon droit et peu de remise en cause personnelle ", que " toute situation qu'il considère comme potentiellement injuste l'insupporte et le met en rage " et que " sa vie professionnelle est régulièrement émaillée de conflits autour de sa propre reconnaissance comme enseignant de génie électrique ", il a toutefois conclu au caractère professionnel de la dépression subie par l'intéressé en raison de " l'absence d'antécédent notable et d'arrêts de travail antérieurs ". Par ailleurs, le requérant produit un rapport d'expertise établi à sa demande le 19 mars 2018 par un médecin psychiatre qui conclut à l'imputabilité au service de sa pathologie, en précisant qu'il n'a, pour sa part, retrouvé aucun des traits d'une personnalité paranoïaque évoqués par le médecin agréé sollicité par l'administration. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction qu'il existerait un fait personnel du requérant ou toute autre circonstance particulière de nature à détacher sa pathologie du service. En conséquence, en dépit des deux avis défavorables de la commission de réforme et des conclusions défavorables de la seconde expertise médicale effectuée le 30 décembre 2014 à la demande de l'administration, la pathologie dont a souffert M. D..., à l'origine de son placement en congé de maladie ordinaire à compter du 30 novembre 2013 et jusqu'au 3 juillet 2014, doit être regardée comme directement imputable au service.
6. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, M. D... est fondé à soutenir qu'en s'abstenant de reconnaître l'imputabilité au service de ses arrêts de travail du 30 novembre 2013 au 3 juillet 2014, l'administration a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
Sur les préjudices :
7. L'illégalité fautive commise par l'Etat est de nature à ouvrir droit à réparation des préjudices directs et certains subis par M. D....
8. En premier lieu, en conséquence de la faute commise par l'Etat, M. D... a droit, comme il le demande, à la réparation de son préjudice financier correspondant à la différence entre les traitements qu'il a perçus et ceux qu'il aurait dû percevoir si sa pathologie avait été reconnue comme étant imputable au service, du 30 novembre 2013 au 3 juillet 2014. A cet égard, il résulte de l'instruction, et en particulier des bulletins de paie produits par l'intéressé, que M. D... a été placé à mi-traitement au cours des mois d'avril, mai et juin 2014. Il sera fait une juste appréciation du préjudice financier subi par M. D... en l'évaluant à la somme de 3 400 euros.
9. En deuxième lieu, si M. D... demande la somme de 2 000 euros, correspondant aux frais de santé qu'il a dû exposer et qui auraient dû lui être totalement remboursés si sa pathologie avait été reconnue comme étant imputable au service, il ne justifie pas, par les pièces qu'il produit, de l'existence de ces dépenses.
10. En troisième lieu, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 345 euros, correspondant à l'expertise réalisée le 19 mars 2018 par le docteur Ferrey qui, bien que menée à la seule initiative du requérant, a été utile à la résolution du litige.
11. En dernier lieu, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral consécutif au refus de reconnaître l'imputabilité au service des arrêts de travail de M. D... en lui allouant une somme de 1 500 euros.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande. Il y a lieu d'annuler ce jugement et de condamner l'Etat à verser à M. D... la somme totale de 5 245 euros, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 décembre 2014 et les intérêts étant eux-mêmes capitalisés le 22 novembre 2016 et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1502137 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 9 novembre 2017 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. D... la somme de 5 245 euros en réparation de ses préjudices, cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 décembre 2014, les intérêts étant capitalisés le 22 novembre 2016 et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 3 : L'Etat versera à M. D... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
N° 18VE00125 2