Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 16 janvier 2016, M.B..., représenté par Me Gorlin, avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler cette ordonnance ;
2° d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;
3° d'enjoindre au préfet des Hauts-de-Seine de lui délivrer, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, une autorisation provisoire de séjour, le temps nécessaire pour présenter une demande d'asile, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4° de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'ordonnance attaquée, qui rejette pour tardiveté sa demande, est entachée d'irrégularité dès lors que la notification de l'arrêté contesté mentionne un numéro de télécopie du tribunal administratif qui est erroné et qu'il a tenté, dans le délai de recours, mais en vain, d'adresser sa requête au tribunal par télécopie ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'incompétence, faute de justification d'une délégation de signature au bénéfice de son signataire ;
- cet arrêté, qui ne comporte aucun élément concernant sa situation personnelle et familiale, est insuffisamment motivé ;
- cet arrêté est revêtu d'une signature qui est illisible ;
- le préfet n'a pas examiné sa situation au regard des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet, qui n'a pas pris en compte la demande d'asile qu'il a déposée en Grèce, a commis une erreur de fait ;
- en ne prenant pas en compte cette demande d'asile déposée en Grèce, pays qu'il a dû quitter, compte tenu des conditions de séjour, avant même de connaître la décision prise sur sa demande, et en ne lui donnant pas la possibilité d'introduire en France une demande d'asile, eu égard à la suspension des mesures de réadmission à destination de la Grèce, le préfet a commis une erreur de droit ;
- en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation de sa situation au regard de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et des articles 3, 8 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation de sa situation au regard des dispositions de l'article L. 313-11 (6°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. d'Haëm ;
- et les conclusions de Mme Mégret, rapporteur public.
1. Considérant que M.B..., ressortissant camerounais né le 4 août 1973 et qui déclare être entré en France le 4 octobre 2014, a été interpellé le 7 décembre 2015 et fait l'objet d'un contrôle d'identité ; que, par un arrêté du même jour, le préfet des Hauts-de-Seine l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office ; que M. B...relève appel de l'ordonnance du 15 décembre 2015 par lequel le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté ;
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire sans délai peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative, demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant (...). " ; qu'aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. " ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 7 décembre 2015 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine a obligé M. B...à quitter le territoire français sans délai, lui a été notifié le même jour à 19 h 05 ; qu'en application des dispositions précitées, l'intéressé disposait d'un délai de quarante-huit heures pour contester cet arrêté ; que, toutefois, si la notification de cet arrêté comporte la mention des voies et délais de recours, notamment le délai de quarante-huit heures, il mentionne un numéro de télécopie du tribunal administratif qui est erroné ; qu'en outre, M. B...justifie avoir tenté, avec l'aide d'un intervenant de la maison du droit et de la prévention de la commune de Clichy, par voie de télécopie et en composant ce numéro, d'adresser sa demande au greffe du tribunal administratif le 9 décembre à 10 h 58 et 11 h 01, c'est-à-dire en temps utile ; que cet intervenant a, par ailleurs, adressé au greffe du tribunal des copies de la demande de M. B...par lettre recommandée avec avis de réception postée le lendemain et reçue le 11 décembre ; qu'enfin, l'intéressé n'a pu constaté le caractère erroné du numéro de télécopie mentionné dans la notification de l'arrêté en litige que lors de la notification de l'ordonnance attaquée, notification mentionnant le numéro de télécopie du greffe du tribunal ; qu'il suit de là que, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, notamment de la proximité de l'expiration du délai qui était imparti à M. B... pour former un recours contre l'arrêté préfectoral l'obligeant à quitter le territoire sans délai et à la circonstance qu'il a été confronté à une impossibilité technique qui ne lui était pas imputable, c'est à tort que le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté pour tardiveté sa demande ; que, dès lors, l'ordonnance attaquée doit être annulée ;
4. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif ;
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
5. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 2 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " Aux fins du présent règlement, on entend par : / a) " ressortissant de pays tiers ", toute personne qui n'est pas un citoyen de l'Union au sens de l'article 20, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et qui n'est pas un ressortissant d'un État participant au présent règlement en vertu d'un accord avec l'Union européenne ; / b) " demande de protection internationale ", une demande de protection internationale au sens de l'article 2, point h), de la directive 2011/95/UE ; / c) " demandeur ", le ressortissant de pays tiers ou l'apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle il n'a pas encore été statué définitivement ; / d) " examen d'une demande de protection internationale ", l'ensemble des mesures d'examen, des décisions ou des jugements rendus par les autorités compétentes sur une demande de protection internationale conformément à la directive 2013/32/UE et à la directive 2011/95/UE, à l'exception des procédures de détermination de l'État membre responsable en vertu du présent règlement (...). " ; qu'aux termes de l'article 18 du même règlement : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : / a) prendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 21, 22 et 29, le demandeur qui a introduit une demande dans un autre État membre ; / b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; / c) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29 le ressortissant de pays tiers ou l'apatride qui a retiré sa demande en cours d'examen et qui a présenté une demande dans un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; / d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre (...). " ; qu'enfin, aux termes de l'article 24 dudit règlement : " 1. Lorsqu'un État membre sur le territoire duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), se trouve sans titre de séjour et auprès duquel aucune nouvelle demande de protection internationale n'a été introduite estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. Par dérogation à l'article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lorsqu'un État membre sur le territoire duquel une personne se trouve sans titre de séjour décide d'interroger le système Eurodac conformément à l'article 17 du règlement (UE) n° 603/2013, la requête aux fins de reprise en charge d'une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b) ou c), du présent règlement ou d'une personne visée à son article 18, paragraphe 1, point d), dont la demande de protection internationale n'a pas été rejetée par une décision finale, est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac, en vertu de l'article 17, paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013. / Si la requête aux fins de reprise en charge est fondée sur des éléments de preuve autres que des données obtenues par le système Eurodac, elle est envoyée à l'État membre requis, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l'État membre requérant a appris qu'un autre État membre pouvait être responsable pour la personne concernée. / 3. Si la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais prévus au paragraphe 2, l'État membre sur le territoire duquel la personne concernée se trouve sans titre de séjour donne à celle-ci la possibilité d'introduire une nouvelle demande. / 4. Lorsqu'une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point d), du présent règlement dont la demande de protection internationale a été rejetée par une décision définitive dans un État membre, se trouve sur le territoire d'un autre État membre sans titre de séjour, ce dernier État membre peut soit requérir le premier État membre aux fins de reprise en charge de la personne concernée soit engager une procédure de retour conformément à la directive 2008/115/CE. / Lorsque le dernier État membre décide de requérir le premier État membre aux fins de reprise en charge de la personne concernée, les règles énoncées dans la directive 2008/115/CE ne s'appliquent pas (...). " ;
6. Considérant, d'autre part, qu'il résulte des dispositions des articles L. 511-1, L. 511-2, L. 531-1 et L. 531-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le champ d'application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise d'un étranger à un autre Etat ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et que le législateur n'a pas donné à l'une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l'autre ; qu'il s'ensuit que, lorsque l'autorité administrative envisage une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger dont la situation entre dans le champ d'application de l'article L. 531-1 ou de l'article L. 531-2, elle peut légalement soit le remettre aux autorités compétentes de l'Etat membre de l'Union européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, sur le fondement des articles L. 531-1 et suivants, soit l'obliger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 511-1 ; que ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce que l'administration engage l'une de ces procédures alors qu'elle avait préalablement engagée l'autre ;
7. Considérant, enfin, qu'il y a lieu de réserver le cas de l'étranger demandeur d'asile ; qu'en effet, les stipulations de l'article 31-2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impliquent nécessairement que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande ; que, dès lors, lorsqu'en application des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, l'examen de la demande d'asile d'un étranger ne relève pas de la compétence des autorités françaises mais de celles d'un autre Etat, la situation du demandeur d'asile n'entre pas dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais dans celui des dispositions de l'article L. 742-3 du même code ; qu'en vertu de ces dispositions, la mesure d'éloignement en vue de remettre l'intéressé aux autorités étrangères compétentes pour l'examen de sa demande d'asile ne peut être qu'une décision de transfert prise sur le fondement de cet article L. 742-3 ; qu'en revanche, en application des dispositions précitées de l'article 24 du règlement (UE) n° 604/2013, lorsqu'il a été définitivement statué sur sa demande, l'étranger peut faire l'objet soit d'une procédure de réadmission vers l'Etat qui a statué sur sa demande, soit d'une obligation de quitter le territoire français ;
8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, notamment des pièces fournies par le requérant qui produit une carte de demandeur d'asile qui lui a été délivrée par les autorités grecques le 2 septembre 2014, que M. B...a déposé une demande d'asile en Grèce avant de gagner la France ; que, par suite, en prenant à son encontre une décision portant obligation de quitter le territoire français à destination, notamment, de son pays d'origine, alors qu'il n'est pas établi, ni même allégué, que la demande d'asile présentée par l'intéressé en Grèce ait été définitivement rejetée, le préfet des Hauts-de-Seine a méconnu les stipulations et dispositions précitées ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, il y a lieu d'annuler l'arrêté du 7 décembre 2015 obligeant M. B...à quitter le territoire français sans délai et fixant le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. " ;
10. Considérant qu'eu égard au motif d'annulation énoncé au point 8, le présent arrêt n'implique pas nécessairement la délivrance, par le préfet des Hauts-de-Seine, à M. B..., au demeurant domicilié... ; que, dès lors, les conclusions de M. B... aux fins d'injonction et d'astreinte doivent être rejetées ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 1510791 du président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 15 décembre 2015 et l'arrêté du 7 décembre 2015 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine a obligé M. B... à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office, sont annulés.
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N° 16VE00169