Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 24 avril et 13 juin 2019, la société K Entreprise, représentée par Me C..., demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge de l'obligation de payer la somme de 30 442 euros, assortie des intérêts au taux légal ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la mise en oeuvre de la solidarité de paiement est irrégulière dès lors qu'elle n'a pas pu avoir accès aux éléments du dossier fiscal de la société Karabat et que faute de connaître les modalités de calcul des impositions supplémentaires réclamées à cette société, elle n'a, à aucun moment, été en mesure de comprendre et de contester les redressements notifiés à cette société ;
- elle a obtenu l'ensemble des documents exigés par l'article D. 8222-5 du code du travail ;
- dans la mesure où elle bénéficie d'une présomption d'authenticité des documents que lui a remis la société Karabat, la charge de la preuve du respect de son obligation de vigilance ne lui incombe pas ;
- l'attestation de régularité fiscale délivrée par le service des impôts des entreprises de Garges-Est le 26 mars 2013 atteste, qu'au 31 décembre 2012, la société Karabat était en règle au regard des obligations fiscales lui incombant à cette date en matière de taxe sur la valeur ajoutée ;
- elle a cessé toute relation contractuelle avec la société Karabat à partir du 28 mars 2013 et ne peut donc être solidairement tenue de payer les impositions dues par cette société après cette date.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Illouz, rapporteur public,
- les observations de Me A..., substituant Me C..., pour la société K Entreprise.
Considérant ce qui suit :
1. L'administration, après avoir mis en oeuvre la procédure d'évaluation d'office des bases d'imposition prévue par l'article L. 74 du livre des procédures fiscales en cas d'opposition à contrôle fiscal, a mis à la charge de la société Karabat des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des années 2012 et 2013 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période allant du 1er janvier 2012 au 25 septembre 2013, assortis des intérêts de retard, et la majoration prévue par l'article 1732 du code général des impôts. En application de l'article 1724 quater du code général des impôts, un avis de mise en recouvrement a été émis, le 20 février 2015, à l'encontre de la société K Entreprise, afin de lui réclamer, en sa qualité de débiteur solidaire, le paiement de la somme de 30 442 euros correspondant aux impositions supplémentaires et intérêts de retard dus par la société Karabat, en proportion du chiffre d'affaires réalisé avec celle-ci au cours de la période allant du 1er janvier 2012 au 25 septembre 2013. La société K Entreprise fait appel du jugement du 22 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la décharge de l'obligation de payer cette somme de 30 442 euros.
Sur la mise en oeuvre de la solidarité de paiement :
2. Aux termes de l'article 1724 quater du code général des impôts : " Toute personne qui ne procède pas aux vérifications prévues à l'article L. 8222-1 du code du travail (...) est, conformément à l'article L. 8222-2 du même code, tenue solidairement au paiement des sommes mentionnées à ce même article dans les conditions prévues à l'article L. 8222-3 du code précité ".
3. Il résulte des dispositions de l'article L. 8222-1 du code du travail que toute personne qui conclut un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce est tenue de vérifier, lors de la conclusion de ce contrat et périodiquement jusqu'à la fin de son exécution, que son cocontractant s'acquitte de certaines obligations déclaratives et formalités exigées par la législation du travail. Aux termes de l'article L. 8222-2 du même code : " Toute personne qui méconnaît les dispositions de l'article L. 8222-1, ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé : / 1° Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale (...) ". Par sa décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 8222-2 du code du travail, citées ci-dessus, sous la réserve qu'elles n'interdisent pas au donneur d'ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires, ainsi que les pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu.
4. Aux termes de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales : " L'avis de mise en recouvrement individuel prévu à l'article L. 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis. / Lorsque l'avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l'article L. 57 ou à la notification prévue à l'article L. 76 et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l'informant d'une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications. / (...) ". Aux termes de l'article R. 256-2 du même livre : " Lorsque le comptable poursuit le recouvrement d'une créance à l'égard de débiteurs tenus conjointement ou solidairement au paiement de celle-ci, il notifie préalablement à chacun d'eux un avis de mise en recouvrement ".
5. Il résulte des dispositions précitées que lorsque l'administration adresse un avis de mise en recouvrement par lequel elle met en oeuvre une solidarité de paiement, telle que celle qui est prévue par l'article 1727 quater du code général des impôts, à l'encontre d'une société qui n'a pas procédé aux vérifications prévues à l'article L. 8222-1 du code du travail, elle est tenue de lui adresser un avis de mise en recouvrement individuel qui doit comporter les indications prescrites par l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales. Ces mentions permettent au débiteur solidaire d'obtenir, à sa demande, la communication des documents mentionnés dans cet avis de mise en recouvrement, ainsi que de tout document utile à la contestation de la régularité de la procédure, du bien-fondé et de l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires, ainsi que des pénalités et majorations correspondantes au paiement solidaire desquels il est tenu.
6. L'administration ne peut pas refuser la communication des documents utiles à la défense du débiteur solidaire lorsqu'ils sont en sa possession, sauf à priver ce dernier d'une garantie au respect de laquelle le Conseil constitutionnel a subordonné la conformité à la Constitution de la disposition législative instituant la solidarité de paiement. Il en découle que le refus de communication est de nature à faire obstacle à la mise en oeuvre des dispositions de l'article 1724 quater du code général des impôts. En revanche, lorsque l'administration fiscale produit en cours d'instance, soit spontanément, soit à la suite d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge de l'impôt, saisi par le débiteur solidaire d'une demande en ce sens, y compris pour la première fois en cause d'appel, les éléments du dossier fiscal nécessaires à sa défense, la circonstance que le service ait initialement refusé de communiquer ces éléments au débiteur solidaire est sans influence sur la possibilité de mettre en oeuvre la solidarité. Dans cette hypothèse, le débiteur solidaire, une fois en possession de ces éléments, peut soulever à l'appui de sa demande en décharge de l'obligation de payer, dans la limite des conclusions de sa demande, tant devant le tribunal administratif que devant la cour administrative d'appel, jusqu'à la clôture de l'instruction, tous moyens relatifs à la régularité et au bien-fondé des impositions au paiement desquelles il est solidairement tenu.
7. Il résulte de l'instruction que l'administration a produit en première instance la proposition de rectification datée du 3 octobre 2014 adressée à la société Karabat. Il ressort de cette proposition de rectification que les rappels de taxe sur la valeur ajoutée ont été calculés à partir des encaissements bancaires de la société, détaillés en annexe de la proposition de rectification et que le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés a été évalué à partir des factures émises par la société Karabat, dont la liste figure également en annexe, obtenues par l'administration dans le cadre de l'exercice du droit de communication auprès des clients précisément identifiés de cette société et de ses encaissements bancaires. La société K Entreprise disposait ainsi d'éléments suffisants pour soulever tous moyens relatifs à la régularité et au bien-fondé des impositions au paiement desquelles elle est solidairement tenue. Le moyen tiré de ce que la mise en oeuvre de la solidarité de paiement est irrégulière dès lors qu'elle n'a pas pu avoir accès aux éléments du dossier fiscal de la société Karabat et qu'à aucun moment, elle n'a été en mesure de comprendre et de contester les redressements notifiés à la société Karabat doit, par suite, être écarté.
Sur le bien-fondé de la solidarité de paiement :
8. En premier lieu, aux termes de l'article D. 8222-5 du code du travail : " La personne qui contracte, lorsqu'elle n'est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l'article D. 8222-4, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l'article L. 8222-1 si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu'à la fin de son exécution : / 1° Une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l'article L. 243-15 émanant de l'organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions datant de moins de six mois dont elle s'assure de l'authenticité auprès de l'organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale. / 2° Lorsque l'immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu'il s'agit d'une profession réglementée, l'un des documents suivants : / a) Un extrait de l'inscription au registre du commerce et des sociétés (K ou K bis) (...) ".
9. La société K Entreprise soutient, en se fondant sur le principe de la présomption d'innocence, qu'il appartient à l'administration, pour l'application des dispositions précitées de l'article D. 8222-5 du code du travail, de démontrer qu'elle n'a pas respecté ses obligations de vigilance et de contrôle. Mais, d'une part, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel par sa décision précitée n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, la solidarité instituée par l'article 1724 quater du code général des impôts n'a pas le caractère d'une punition au sens des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. La société K Entreprise ne peut donc bénéficier du principe de présomption d'innocence. D'autre part, si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient donc à la société requérante de justifier du respect de ses obligations de vigilance et de contrôle.
10. En l'espèce, la société K Entreprise n'établit pas s'être assurée auprès de l'organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale de l'authenticité des attestations visées au 1° de l'article D. 8222-5 du code du travail, qu'elle s'est faite remettre par la société Karabat. Dans ces conditions, l'administration fiscale a pu regarder à bon droit la société K Entreprise comme ayant manqué à son obligation de vigilance vis-à-vis de la société
Karabat - dont il n'est pas contesté qu'elle a enfreint en 2012 et 2013 les dispositions du code du travail relatives au travail dissimulé - et mettre en jeu à son égard la solidarité de paiement prévue par l'article 1724 quater du code général des impôts.
11. En second lieu, pour contester le bien-fondé des impositions mises à la charge de la société Karabat et dont le paiement lui est réclamée au titre de la solidarité de paiement, la société K Entreprise se prévaut de l'attestation de régularité fiscale délivrée par le service des impôts des entreprises de Garges-Est le 26 mars 2013, attestant qu'au 31 décembre 2012, la société Karabat était en règle au regard des obligations fiscales lui incombant à cette date en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Toutefois, cette attestation ne permet pas de l'établir dès lors qu'elle n'est délivrée qu'au regard des informations en possession du service à la date de la demande et ne saurait certifier que les déclarations ne comportent pas d'omission ou d'inexactitude, susceptible d'être relevée à l'occasion d'un contrôle fiscal ultérieur.
Sur l'étendue de la solidarité de paiement :
12. La société K Entreprise soutient que ses relations contractuelles avec la société Karabat ayant pris fin le 28 mars 2013, l'administration ne peut pas lui réclamer, au titre de la solidarité de paiement en sa qualité de donneur d'ordre, les impositions dues par la société Karabat et dont le paiement est exigible au-delà de cette date.
13. Toutefois, d'une part, il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a déterminé le montant de la part des impositions supplémentaires et des majorations correspondantes mises à la charge de la société K Entreprise, dont était redevable la société Karabat au titre de sa responsabilité solidaire, en appliquant à ces impositions, pour les deux périodes courant, respectivement, du 1er janvier au 31 décembre 2012 et du 1er janvier au 25 septembre 2013, un taux correspondant à la part des commandes de la société K Entreprise dans le chiffre d'affaires de la société Karabat reconstitué à partir de ses encaissements bancaires, soit en l'espèce, pour chacune des périodes en cause, les taux de 31 % et 21 %.
14. L'application du taux de prorata déterminé dans les conditions énoncées au point précédent conduit à limiter l'engagement de la solidarité financière de la société K Entreprise, à hauteur de la part de ses commandes dans l'activité de la société Karabat. Les termes du calcul de ce taux de prorata reposent, en ce qui concerne le montant des prestations confiées à la société Karabat, sur le montant des encaissements des chèques émis à son intention par la société K Entreprise. Le montant de ces chèques ayant été nécessairement déterminé en fonction de la nature des travaux commandés par la société K Entreprise et de la nature des moyens matériels et humains mis en oeuvre à cette occasion par la société Karabat, l'administration fiscale doit ainsi être regardée comme ayant déterminé le montant des sommes dont le paiement est demandé à la société K Entreprise, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 8222-3 du code du travail.
15. D'autre part, la méthode alternative proposée par la société K Entreprise consistant à faire jouer uniquement la solidarité sur les impositions dont la date d'exigibilité est comprise dans la période allant du 1er janvier 2012 au 28 mars 2013, ne tient pas compte des seules impositions générées par les prestations qu'elle a commandées à la société Karabat, et ne permet pas, par conséquent, de déterminer la somme dont le paiement est exigible au titre de la solidarité dans les conditions prévues à l'article L. 8222-3 du code du travail, c'est-à-dire à due proportion de la valeur des travaux réalisés et des services fournis. En tout état de cause, la société K Entreprise n'établit pas que ses relations contractuelles avec la société Karabat auraient pris fin le 28 mars 2013, en se bornant à produire, sans fournir les contrats conclus avec cette société, une liste de ceux-ci et à relever que le dernier d'entre eux aurait été signé le 21 mars 2013 pour une durée d'une semaine avec un paiement de la prestation d'un montant de 3 000 euros dans un délai de trente jours. Par ailleurs, il ressort des annexes à la proposition de rectification adressée à la société Karabat que celle-ci a facturé des prestations à la société K Entreprise après le 28 mars 2013 par l'émission de factures les 31 mars et 30 avril 2013, intitulées " 118 " et " Gif sur Yve ", et a par ailleurs encaissé des chèques émis par la société requérant les 9 avril, 14 mai et 18 juin 2013. Il ne résulte pas de l'instruction que ces opérations se rattachent à l'un des contrats figurant sur la liste produite par la société requérante. Enfin, l'attestation de son cabinet d'expertise-comptable, confirmée par celle de son commissaire aux comptes, dont se prévaut la société K Entreprise, indique que celle-ci n'a plus exécuté et facturé de prestations pour le compte de la société Karabat depuis le mois de mai 2013. Elle ne permet pas d'en déduire qu'à l'inverse, la société Karabat n'aurait plus exécuté de prestations au profit de la société K Entreprise après cette date.
16. Il résulte de ce qui précède que le moyen rappelé au point 12 doit être écarté.
17. Il résulte de tout ce qui précède que la société K Entreprise n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la décharge de l'obligation de payer la somme qui lui a été réclamée en qualité de codébiteur solidaire de la société Karabat, en application de l'article 1724 quater du code général des impôts. Il y a lieu, par suite, de rejeter sa requête, y compris ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société K Entreprise est rejetée.
N° 19VE01476 6