Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention d'extradition du 23 septembre 1970 conclue entre la République française et la République socialiste fédérative de Yougoslavie, reprise par accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kosovo les 4 et 6 février 2013 ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1990 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bertrand Mathieu, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Sophie Roussel, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de M. A...;
1. Considérant que, par le décret attaqué, le Premier ministre a accordé aux autorités kosovares l'extradition de M. B...A..., de nationalité kosovare, sur le fondement d'un mandat d'arrêt décerné le 21 novembre 2011 par le juge de la mise en état de la cour du district de Pristina pour des faits qualifiés de meurtre aggravé commis le 23 février 1999 ;
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 9 de la convention d'extradition conclue entre la République française et la République socialiste fédérative de Yougoslavie : " 1. La demande d'extradition d'un individu poursuivi est accompagnée de l'original ou de l'expédition authentique d'un mandat d'arrêt ou de tout autre acte ayant la même force et décerné dans les formes prescrites par la loi de l'Etat requérant. Ce document doit indiquer les circonstances dans lesquelles l'infraction a été perpétrée, le temps et le lieu où elle a été commise, la qualification légale et les références aux dispositions légales " ; qu'en vertu du premier alinéa de l'article 8 de la même convention : " pour l'application de la présente Convention, les Parties contractantes communiquent entre elles par la voie diplomatique " ; qu'il ressort des pièces du dossier que la demande d'extradition présentée par les autorités kosovares était accompagnée d'une expédition du mandat d'arrêt décerné le 21 novembre 2011 ainsi que de différents actes authentiques, produits dès la transmission de la demande aux autorités françaises ou, pour certains d'entre eux, dans le cadre de l'instruction de cette demande, précisant les faits pour lesquels l'extradition était demandée, à quelle date et en quel lieu ils ont été commis, leur qualification légale ainsi que les dispositions légales applicables à cette date ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance du premier alinéa de l'article 9 de la convention d'extradition du 23 septembre 1970 ne peut qu'être écarté ; que si le requérant fait valoir que certains actes n'auraient pas été transmis par voie diplomatique, en méconnaissance du premier alinéa de l'article 8 de la convention, ce moyen manque en fait ;
3. Considérant, en deuxième lieu, qu'en vertu du e de l'article 3 de la convention d'extradition du 23 septembre 1970, l'extradition ne peut être accordée dans le cas où, d'après la législation de l'un ou de l'autre Etat, la prescription de l'action publique ou de la peine est acquise au moment de la réception de la demande ; qu'aux termes de l'article 7 du code de procédure pénale français, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale : " En matière de crime (...), l'action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis si, dans cet intervalle, il n'a été fait aucun acte d'instruction et de poursuite " ; qu'aux termes de l'article 9-3 du code de procédure pénale : " Tout obstacle de droit, prévu par la loi, ou tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend impossible la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique, suspend la prescription " ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les faits pour lesquels l'extradition de M. A...est demandée ont été commis le 23 février 1999 et que les services de police du Kosovo, unité des enquêtes régionales de Ferizaj, ont transmis le 19 octobre 2009 au procureur général du district de Pristina l'accusation en matière pénale relative à ces faits ; que si plus de dix ans se sont ainsi écoulés entre la date de commission des faits et l'intervention du premier acte d'enquête interruptif de prescription en droit français, il est constant qu'une situation de conflit armé a prévalu au Kosovo entre les mois de mars 1998 et juin 1999 ; qu'il ressort des pièces du dossier, notamment des rapports établis les 18 juillet, 16 septembre et 23 décembre 1999 par le secrétaire général de l'Organisation des Nations unies sur la Mission d'administration intérimaire des Nations unies au Kosovo (MINUK), qu'au cours de cette période, durant laquelle les faits justifiant la demande d'extradition ont été commis, et plusieurs mois encore après la fin du conflit armé, les services de police et les juridictions répressives se sont trouvés dans l'impossibilité de fonctionner et de poursuivre les crimes et délits de droit commun ; qu'il ressort en particulier de ces rapports que le conflit a entraîné le départ de la très grande majorité des policiers et des magistrats, qui étaient d'origine serbe, et qu'il a été nécessaire de procéder à de nouvelles nominations, lesquelles ne sont intervenues, progressivement, qu'à partir de la fin du mois de mars 2000 ; que cette situation exceptionnelle, présentant un caractère insurmontable et assimilable à la force majeure, s'est poursuivie au moins jusqu'à la fin du mois d'octobre 1999 et doit être regardée comme ayant conduit, conformément à ce que prévoient les dispositions précitées de l'article 9-3 du code de procédure pénale, à suspendre le cours de la prescription ; que, par suite, à la date du premier acte interruptif de prescription, le 19 octobre 2009, les faits reprochés à M. A...ne pouvaient être tenus pour prescrits ; que le moyen tiré de ce que les stipulations du e de l'article 3 de la convention d'extradition du 23 septembre 1970 auraient été méconnues du fait de l'acquisition de la prescription en droit français doit, en conséquence, être écarté ;
5. Considérant, en troisième lieu, que si M. A...soutient que l'exécution du décret attaqué l'exposerait à des traitements inhumains ou dégradants et à des risques de représailles, eu égard aux faits qui lui sont imputés, les pièces du dossier ne permettent pas d'établir la réalité des menaces qu'il allègue ; qu'ainsi, le moyen tiré de la violation des stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
6. Considérant, en dernier lieu, que si une décision d'extradition est susceptible de porter atteinte, au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au droit au respect de la vie privée et familiale, cette mesure trouve, en principe, sa justification dans la nature même de la procédure d'extradition, qui est de permettre, dans l'intérêt de l'ordre public et sous les conditions fixées par les dispositions qui la régissent, tant le jugement de personnes se trouvant en France qui sont poursuivies à l'étranger pour des crimes ou des délits commis hors de France que l'exécution, par les mêmes personnes, des condamnations pénales prononcées contre elles à l'étranger pour de tels crimes ou délits ; que la circonstance que l'intéressé réside en France avec son épouse, de nationalité française, et leurs deux enfants n'est pas de nature à faire obstacle, dans l'intérêt de l'ordre public, à l'exécution de son extradition ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à demander l'annulation du décret du 16 janvier 2018 accordant son extradition aux autorités kosovares ; que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. C...A...et à la garde des sceaux, ministre de la justice.