Vu :
- le règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le décret n° 2008-636 du 30 juin 2008 ;
- l'arrêté du 18 décembre 2009 relatif aux règles sanitaires applicables aux produits d'origine animale et aux denrées alimentaires en contenant ;
- le code de justice administrative et le décret 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Pauline Berne, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. La Confédération paysanne a demandé l'annulation de la décision du ministre de l'agriculture et de l'alimentation du 22 août 2019 qui a rejeté sa demande tendant à l'abrogation de l'instruction technique DGAL/SDSSA/2019-365 du 2 mai 2019. Cette instruction avait pour objet d'informer les exploitants de restaurants collectifs sur les risques sanitaires associés à la consommation de lait cru, de fromages à base de lait et de steaks hachés insuffisamment cuits par les enfants de moins de cinq ans, et de préconiser un traitement thermique préalable du lait cru, une cuisson à coeur des steaks hachés et une interdiction de servir des fromages au lait cru à ce public, le non-respect de ces prescriptions constituant une non-conformité majeure. La Confédération paysanne doit être regardée comme demandant l'abrogation de l'instruction DGAL/SDSSA/2020-289 du 19 mai 2020, qui a abrogé l'instruction du 2 mai 2019 tout en en reprenant les termes à l'identique.
Sur la légalité externe :
2. Aux termes de l'article 14 du règlement (CE) n°178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 : " 1. Aucune denrée alimentaire n'est mise sur le marché si elle est dangereuse. / 2. Une denrée alimentaire est dite dangereuse si elle est considérée comme: / a) préjudiciable à la santé; / b) impropre à la consommation humaine. / 3. Pour déterminer si une denrée alimentaire est dangereuse, il est tenu compte : (...) c) des sensibilités sanitaires particulières d'une catégorie spécifique de consommateurs lorsque la denrée alimentaire lui est destinée. (...) 8. La conformité d'une denrée alimentaire à des dispositions spécifiques applicables à cette denrée n'interdit pas aux autorités compétentes de prendre des mesures appropriées pour imposer des restrictions à sa mise sur le marché ou pour exiger son retrait du marché s'il existe des raisons de soupçonner que, malgré cette conformité, cette denrée alimentaire est dangereuse ".
3. Aux termes de l'article R. 231-13 du code rural et de la pêche maritime : " I. - En application de l'article L. 231-6, les mesures d'exécution du II de l'article L. 221-4, du chapitre IV du titre II et des chapitres Ier à V du titre III du livre II sont constituées des dispositions tant des règlements ou décisions de l'Union européenne énumérés ci-après, le cas échéant modifiées, que des règlements ou décisions pris pour leur application, lorsque ces dispositions concernent des animaux vivants, des produits d'origine animale, des denrées alimentaires en contenant, des aliments pour animaux d'origine animale ou contenant des produits d'origine animale et des sous-produits d'origine animale. [...] III.- Des arrêtés du ministre chargé de l'agriculture et, le cas échéant, des ministres chargés, respectivement, de la santé, de l'écologie, de la consommation et de la défense fixent les normes sanitaires, qualitatives et techniques auxquelles doivent satisfaire, pour concourir à la maîtrise des dangers et garantir un caractère propre à la consommation : / 1° Les animaux, produits, denrées alimentaires et aliments pour animaux énumérés à l'article R. 231-4 ; (...) ". Aux termes de l'article R. 231-4 du même code : " Sont soumis aux dispositions de la présente sous-section : [...] 3° Les denrées alimentaires contenant des produits d'origine animale ; [...] 5° Les établissements dans lesquels sont préparés, transformés, conservés ou par lesquels sont mis sur le marché les produits, denrées alimentaires et aliments pour animaux mentionnés aux 2°, 3° et 4° ".
4. En premier lieu, il résulte des dispositions des articles R. 231-4 et R. 231-13 du code rural et de la pêche maritime que le ministre chargé de l'agriculture est compétent pour définir les normes sanitaires destinées à garantir que les denrées alimentaires contenant des produits d'origine animale soient propres à la consommation. Dès lors, le ministre avait compétence pour prendre l'instruction attaquée, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que cette mesure ait été prise sous la forme d'une instruction technique.
5. En second lieu, la Confédération paysanne ne peut, en tout état de cause, utilement se prévaloir, à l'appui de sa contestation du refus d'abroger l'instruction qu'elle attaque, de la circulaire du Premier ministre en date du 12 octobre 2015 relative à l'évaluation préalable des normes et à la qualité du droit, laquelle se borne à fixer des orientations pour l'organisation du travail gouvernemental.
Sur la légalité interne :
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les fromages à base de lait cru et le lait cru constituent une des sources possibles d'infection par les bactéries pathogènes Escherichia coli entérohémorragiques (EHEC) dont le principal mode de transmission à l'homme réside dans la consommation d'éléments contaminés. Comme le relève l'avis de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail du 18 décembre 2015, la population des enfants de moins de cinq ans présente, en cas d'ingestion d'aliments contaminés par ces bactéries, un risque de développer un syndrome hémolytique et urémique cent dix fois plus élevé que la population générale. S'il survient rarement, ce syndrome peut entraîner des conséquences graves pour les enfants concernés, telle que l'insuffisance rénale aiguë, voire s'avérer mortel dans un pour cent des cas.
7. Il ressort en outre des pièces du dossier que l'article du bulletin d'octobre 2019 de l'Académie nationale de médecine relatif aux enseignements de la cohorte européenne " PASTURE ", dont la requérante se prévaut en ce qu'il indique que la consommation de lait cru est susceptible de contribuer à la diminution des allergies des enfants de moins de cinq ans, n'a pas spécifiquement étudié l'incidence d'une consommation de fromages à base de lait cru au-delà de l'intérêt d'une alimentation diversifiée à laquelle elle contribue et est centré sur la seule question du devenir allergique et immunologique des enfants. La circonstance que la consommation de ces produits puisse constituer un facteur susceptible de réduire l'incidence de syndromes respiratoires aigus chez l'enfant n'est pas de nature à remettre en cause la réalité des risques infectieux précédemment relevés.
8. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, il ne ressort pas des pièces versées au dossier que le ministre aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en énonçant que la consommation de fromages au lait cru par les enfants de moins de cinq ans présente un sur-risque important d'infection bactérienne pour ce public et que les avantages que celle-ci présente ne suffisent pas à compenser ces risques infectieux.
9. En second lieu, l'instruction contestée ne traduit aucune méconnaissance du principe d'égalité, qui ne saurait être utilement invoqué à raison d'un traitement différencié opposé non à des personnes mais à des produits.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la Confédération paysanne n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision de refus du ministre de l'agriculture et de l'alimentation du 22 août 2019.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la Confédération paysanne est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Confédération paysanne et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.