2°) de mettre à la charge de la SCEA du Château Montel la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu :
- l'arrêté du 31 janvier 2017 du ministre de l'économie et des finances et du ministre de 1'agriculture, de 1'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du gouvernement, homologuant le cahier des charges relatif à l'appellation d'origine contrôlée " Pic Saint-Loup " ;
- la décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux nos 409449, 409531, 409532 du 12 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Martin Guesdon, auditeur,
- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Didier-Pinet, avocat de l'Institut national de l'origine et de la qualité et à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société SCEA du Château Montel ;
Considérant ce qui suit :
1. La société civile d'exploitation agricole (SCEA) du Château Montel, exploitation familiale constituée en 1994, est propriétaire de vignes sur les communes de Teyran, Saint-Drézéry, Corconne et Vacquières, et dispose d'une cave de vinification dans la commune de Teyran (Hérault). La SCEA du Château Montel commercialise trois cuvées de vin rouge en appellation d'origine contrôlée (AOC) " Languedoc " dénomination " Pic Saint-Loup ", vinifiées dans la cave de Teyran. Le 7 septembre 2016, le comité national des appellations d'origine relatives aux vins et aux boissons alcoolisées et des eaux-de-vie a établi le cahier des charges d'une nouvelle appellation d'origine contrôlée " Pic Saint-Loup ". L'aire géographique de cette appellation d'origine contrôlée a été réduite, mais une aire de proximité immédiate, couvrant uniquement l'élevage des vins, a été créée, comprenant 515 communes, la commune de Teyran en étant toutefois exclue. Une aire de proximité immédiate était en outre constituée, à titre transitoire jusqu'à la récolte de 2021 incluse, pour la vinification, l'élaboration et l'élevage des vins correspondant au territoire des seules communes de Carnas, Montferrier-sur-Lez, Saint-Bauzille-de-Montmel, Saint-Drézéry et Teyran. Ce cahier des charges a été homologué par un arrêté conjoint du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt et du ministre de l'économie et des finances en date du 16 janvier 2017. Par une décision nos 409449, 409531, 409532 du 12 décembre 2018, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, sur le recours de la SCEA du Château Montel, annulé cet arrêté en tant que le cahier des charges qu'il homologue instaure une aire de proximité immédiate. A la suite de cette décision, l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) a, par un courrier du 17 mai 2019, refusé à la SCEA du Château Montel le bénéfice des dispositions du cahier des charges relatives à l'aire de proximité immédiate à titre transitoire, au motif que cette décision d'annulation concernait également cette aire de proximité. L'INAO se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 16 juin 2020 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a suspendu l'exécution de la décision de l'INAO du 17 mai 2019.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence ". Aux termes de l'article L. 522-1 du même code : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. / (...) ". Aux termes de l'article R. 522-4 du même code : " Notification de la requête est faite aux défendeurs. / Les délais les plus brefs sont donnés aux parties afin de fournir leurs observations. (...) ". Aux termes de l'article R. 522-7 du même code : " L'affaire est réputée en état d'être jugée dès lors qu'a été accomplie la formalité prévue au premier alinéa de l'article R. 522-4 et que les parties ont été régulièrement convoquées à une audience publique pour y présenter leurs observations ". Ces dispositions font obligation au juge des référés, sauf dans les cas où il est fait application des dispositions de l'article L. 522-3 du même code, de communiquer aux parties avant la clôture de l'instruction, par tous moyens, notamment en les mettant à même d'en prendre connaissance à l'audience publique, les pièces et mémoires soumis au débat contradictoire qui servent de fondement à sa décision.
3. Compte tenu des impératifs de l'urgence, l'INAO n'est pas fondé à soutenir, d'une part, que le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier aurait méconnu les exigences découlant du respect du principe du caractère contradictoire de la procédure en refusant de faire droit à sa demande de report de l'audience fixée au 16 juin 2020 à 16 heures 30, alors qu'il avait, le 2 juin 2020 au plus tard, accusé réception du courrier du tribunal administratif lui transmettant la requête de la SCEA du Château Montel et l'informant de la date de cette audience. L'INAO n'est pas fondé à soutenir, d'autre part, que ce juge des référés aurait méconnu ces exigences en lui transmettant, le 15 juin 2020 à 13h49, soit 24 heures avant l'audience, au moyen de l'application Télérecours, des pièces supplémentaires produites par la SCEA du Château Montel.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article IV 3° du cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée " Pic Saint-Loup " : " L'aire de proximité immédiate, définie par dérogation pour l'élevage des vins est constituée par le territoire des communes situées dans les départements suivants : / [suivait une liste de 515 communes situées dans trois départements] ". Aux termes de l'article XI 1° du même cahier des charges : " A titre transitoire, l'aire de proximité immédiate, définie par dérogation, est constituée par le territoire des communes suivantes : / Jusqu'à la récolte 2021 incluse, pour la vinification, l'élaboration, l'élevage des vins : / - Dans le département du Gard : Carnas ; / - Dans le département de l'Hérault : Montferrier-sur-Lez, Saint-Bauzille-de-Montmel, Saint-Drézéry, Teyran ".
5. Les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices. Il appartient au juge d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité dont il émane.
6. Le courrier du 17 mai 2019 par lequel l'INAO indique à la SCEA du Château Montel qu'à la suite de l'annulation prononcée par le Conseil d'Etat dans sa décision nos 409449, 409531, 409532 du 12 décembre 2018, les dispositions de l'article XI 1° du cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée " Pic Saint-Loup ", relatives à l'aire de proximité immédiate à titre transitoire, devaient, de même que les dispositions de l'article IV 3° de ce cahier des charges, relatives à l'aire de proximité immédiate à titre pérenne, être considérées comme n'ayant jamais existé, comporte une interprétation du droit positif susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés de la mettre en œuvre. Par suite, ce courrier doit, dans les circonstances de l'espèce, être regardé comme étant susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ainsi que d'une demande de suspension de son exécution. Ce motif, qui est d'ordre public et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué aux motifs retenus par l'ordonnance attaquée en ce qui concerne la recevabilité de la demande de référé.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. / (...) ".
8. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. Il lui appartient également, l'urgence s'appréciant objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce, de faire apparaître dans sa décision tous les éléments qui, eu égard notamment à l'argumentation des parties, l'ont conduit à considérer que la suspension demandée revêtait un caractère d'urgence.
9. Il ressort des termes de l'ordonnance attaquée que le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a exposé en détail, sans dénaturer les pièces du dossier, les raisons pour lesquelles la décision de l'INAO du 17 mai 2019 était de nature de porter une atteinte grave et immédiate à la situation économique et financière de la SCEA du Château Montel, notamment en ne lui permettant plus de vinifier dans l'aire de proximité immédiate à titre transitoire et en la privant ainsi du droit de produire en appellation d'origine contrôlée " Pic Saint-Loup ". En estimant que cette décision était susceptible de porter à sa situation économique et financière une atteinte grave et immédiate, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier n'a commis aucune erreur de droit.
10. En quatrième lieu, il ressort de l'article 1er du dispositif de la décision nos 409449, 409531, 409532 du 12 décembre 2018, lu à la lumière des points 18 à 25 de cette décision, que le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a annulé l'arrêté du 31 janvier 2017 homologuant le cahier des charges relatif à l'appellation d'origine contrôlée " Pic Saint-Loup " qu'en tant que l'article IV 3° de ce cahier des charges instaurait une aire de proximité immédiate à titre pérenne et que ces dispositions étaient divisibles des autres dispositions du cahier des charges, notamment des dispositions de son article XI 1° relatives à l'aire de proximité immédiate à titre transitoire. Par suite, le moyen de l'INAO tiré de ce que le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier aurait commis une erreur de droit en jugeant, en méconnaissance de l'autorité de la chose jugée, que, par la décision précitée, le Conseil d'Etat a également annulé les dispositions du cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée " Pic Saint-Loup " relatives à l'aire de proximité immédiate à titre transitoire, doit être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que l'INAO n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'INAO la somme de 3 000 euros à verser à la SCEA du Château Montel au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la SCEA du Château Montel, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de l'INAO est rejeté.
Article 2 : L'INAO versera à la SCEA du Château Montel la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Institut national de l'origine et de la qualité et à la SCEA du Château Montel.
Délibéré à l'issue de la séance du 27 janvier 2022 où siégeaient : M. Guillaume Goulard, président de chambre, présidant ; M. Stéphane Verclytte, conseiller d'Etat et M. Martin Guesdon, auditeur-rapporteur.
Rendu le 7 mars 2022.
Le président :
Signé : M. Guillaume Goulard
Le rapporteur :
Signé : M. Martin Guesdon
La secrétaire :
Signé : Mme A... B...