Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le code de procédure pénale ;
- le code pénal ;
- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Pauline Hot, auditrice,
- les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat du Syndicat unité magistrat SNM-FO ;
Considérant ce qui suit :
1. Le titre V de la loi du 23 mars 2019 de réforme pour la justice a en particulier modifié l'article 132-19 du code pénal relatif au prononcé des peines en prévoyant, d'une part, que la juridiction " ne peut toutefois prononcer une peine d'emprisonnement ferme d'une durée inférieure ou égale à un mois " et, d'autre part, que, dans le cas où une peine d'emprisonnement sans sursis est prononcée, " si la peine est inférieure ou égale à six mois, elle doit, sauf impossibilité résultant de la personnalité ou de la situation du condamné, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues à l'article 132-25. Dans les autres cas prévus au même article 132-25, elle doit également être aménagée si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle ". Il a, par ailleurs, modifié l'article 723-15 du code de procédure pénale, relatif à l'aménagement des peines des condamnés libres, d'une part, en ramenant de deux à un an d'emprisonnement la durée de la condamnation ou de la détention restant à subir en deçà de laquelle les personnes condamnées " bénéficient, dans la mesure du possible et si leur personnalité et leur situation le permettent, suivant la procédure prévue au présent paragraphe, d'une semi-liberté, d'un placement à l'extérieur, d'une détention à domicile sous surveillance électronique, d'un fractionnement ou d'une suspension de peines, d'une libération conditionnelle ou de la conversion prévue à l'article 747-1 ", d'autre part, en disposant que " Lorsque la peine ferme prononcée ou restant à subir est inférieure ou égale à six mois, elle doit faire l'objet d'une détention à domicile sous surveillance électronique, d'une semi-liberté ou d'un placement à l'extérieur, sauf si la personnalité ou la situation du condamné rendent ces mesures impossibles, sans préjudice de la possibilité de libération conditionnelle ou de conversion, fractionnement ou suspension de la peine ". En vertu du XIX de l'article 109 de la loi du 23 mars 2019, ces dispositions entrent en vigueur un an après la publication de la loi, soit le 24 mars 2020.
2. Le syndicat requérant demande l'annulation de la circulaire de la garde des sceaux, ministre de la justice, du 20 mai 2020 relative à la mise en œuvre des dispositions relatives aux peines de la loi du 23 mars 2019 de réforme pour la justice.
Sur la fin de non-recevoir soulevée par le garde des sceaux, ministre de la justice :
3. Les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices.
4. La circulaire attaquée a pour objet d'adresser aux magistrats du ministère public ainsi qu'aux directeurs interrégionaux des services pénitentiaires des instructions générales pour la mise en œuvre des dispositions relatives aux peines de la loi du 23 mars 2019, portant notamment, s'agissant des magistrats du ministère public, sur l'application des dispositions citées précédemment des articles 132-19 du code pénal et 723-15 du code de procédure pénale. Les éléments qu'elle comporte sont ainsi susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que ses destinataires, en particulier les personnes poursuivies ou condamnées. Par suite, la fin de non-recevoir du garde de sceaux, ministre de la justice, doit être écartée.
Sur les dispositions de la circulaire relatives à la prise en compte de l'état de surpeuplement carcéral dans la politique des peines :
5. D'une part, aux termes de l'article 30 du code de procédure pénale : " Le ministre de la justice conduit la politique d'action publique déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République. / À cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales d'action publique (...) ". D'autre part, selon l'article 31 du même code : " Le ministère public exerce l'action publique et requiert l'application de la loi. (... ) "
6. La circulaire attaquée prévoit, en plusieurs points, et en particulier pour l'exécution et l'application des peines, que les décisions du ministère public doivent prendre en considération la situation des établissements pénitentiaires dans le but d'éviter les situations de surpopulation carcérale. La circulaire a ainsi entendu faciliter le respect de l'objectif, fixé par le législateur, d'une exécution des peines favorisant l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive. Elle n'a pas pour objet et ne saurait légalement avoir pour effet de porter atteinte à la compétence du juge de l'application des peines pour décider des modalités d'exécution des peines dans les conditions fixées par l'article 707 du code de procédure pénale. En outre, la prise en compte de l'état de surpeuplement des établissements pénitentiaires dans les différents ressorts de cour d'appel ne conduit pas, par elle-même, dans les conditions retenues par la circulaire attaquée, à méconnaître le principe d'égalité. Par suite, les moyens tirés de l'incompétence de la garde des sceaux, ministre de la justice, de la méconnaissance du principe d'individualisation des peines ou des objectifs fixés par la loi du 23 mars 2019 et de la méconnaissance du principe d'égalité doivent être écartés.
Sur les dispositions du point 2.1 de la circulaire, relatives à " la nécessaire priorisation de l'exécution des peines privatives de liberté " :
7. La circulaire attaquée cite, au nombre des " leviers " de la politique pénale, outre la " priorisation de l'exécution des peines d'emprisonnement assorties d'une mesure de sûreté ou dont le quantum n'est pas aménageable ", " le maintien pendant la période de reprise progressive d'activité [due à la crise sanitaire] du report des mises à exécution des courtes peines d'emprisonnement prononcées, à l'exception des retraits ou révocations de mesures décidés par les juridictions de l'application des peines " et le fait de privilégier des réquisitions aux fins de conversion et d'aménagement de peine, " s'agissant du stock des peines d'emprisonnement en attente d'aménagement, dès lors que la situation pénale et personnelle de la personne condamnée le permettra ", un dernier " levier " étant le " nouvel examen des peines d'emprisonnement en diffusion pour exécution ", comportant des instructions relatives aux peines d'emprisonnement de moins d'un mois, aux peines d'emprisonnement inférieures ou égales à 6 mois d'emprisonnement et aux peines d'emprisonnement ou les reliquats de peines qui sont à la fois anciens et de faible quantum.
8. D'une part, aux termes de l'article préliminaire du code de procédure pénale : " I. - La procédure pénale (...) doit garantir la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement. (...) ". Le premier alinéa de l'article 707 du même code dispose que : " Sur décision ou sous le contrôle des autorités judiciaires, les peines prononcées par les juridictions pénales sont, sauf circonstances insurmontables, mises à exécution de façon effective et dans les meilleurs délais. (...) ", tandis que l'article 707-1 du même code prévoit que : " Le ministère public et les parties poursuivent l'exécution de la sentence chacun en ce qui le concerne. (...) ".
9. D'autre part, en vertu de l'article 112-1 du code pénal : " Sont seuls punissables les faits constitutifs d'une infraction à la date à laquelle ils ont été commis. / Peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la même date. / Toutefois, les dispositions nouvelles s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes. " En vertu de l'article 112-2 du même code : " Sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur : (...) 3° Les lois relatives au régime d'exécution et d'application des peines ; toutefois, ces lois, lorsqu'elles auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation, ne sont applicables qu'aux condamnations prononcées pour des faits commis postérieurement à leur entrée en vigueur ".
En ce qui concerne les instructions relatives aux peines d'emprisonnement de moins d'un mois et aux peines d'emprisonnement ou reliquats de peines anciens et de faible quantum :
10. La circulaire prévoit qu'" En cohérence avec les dispositions de la loi de réforme de la justice qui prohibe le prononcé des peines d'emprisonnement de moins d'un mois, les écrous inférieurs ou égaux à un mois ne seront pas mis à exécution " et, par ailleurs, que " les peines d'emprisonnement ou les reliquats de peines qui sont à la fois anciens et de faible quantum pourront, en fonction de la personnalité de la personne condamnée et des faits reprochés, ne pas être ramenés à exécution ". Cependant, ces instructions générales, qui sont relatives à l'exécution de condamnations passées en force de chose jugée, ne peuvent être rattachées aux dispositions nouvelles de l'article 132-19 du code pénal relatif au prononcé des peines issues de la loi du 23 mars 2019 et méconnaissent le principe d'exécution de la sentence posée à l'article 707-1 du code de procédure pénale.
En ce qui concerne le réexamen des peines de moins de six mois :
11. En vertu de l'article 132-24 du code pénal : " Dans les limites fixées par la loi, la juridiction prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur. (...) ". Les modalités d'exécution de ces peines sont déterminées par le juge de l'application des peines, constituant selon l'article 712-1 du code de procédure pénale, la juridiction de l'application des peines du premier degré, laquelle, selon l'article 712-4 du même code, accorde, modifie, ajourne, retire ou révoque les mesures " sur la demande du condamné ou sur réquisitions du procureur de la République ". Les deuxième et troisième alinéas de l'article 707 du code de procédure pénale disposent que : " L'exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive. / A cette fin, les peines sont aménagées avant leur mise à exécution ou en cours d'exécution si la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale du condamné ou leur évolution le permettent. L'individualisation des peines doit, chaque fois que cela est possible, permettre le retour progressif du condamné à la liberté et éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire ".
12. La circulaire prévoit, au titre du nouvel examen des peines d'emprisonnement en diffusion pour exécution, que " Les peines inférieures ou égales à 6 mois d'emprisonnement fermes dont l'aménagement n'a pu avoir lieu devront faire l'objet d'un nouvel examen en application de l'article 723-15 du code de procédure pénale ". Il ressort des pièces du dossier que cette instruction entend tirer les conséquences des dispositions nouvelles de l'article 723-15 du code de procédure pénale citées au point 1 relatives à l'exécution des peines fermes prononcées ou restant à subir de durée inférieure ou égale à six mois, qui sont, en vertu de l'article 112-2 du code pénal précédemment cité, d'application immédiate aux condamnations pour des faits commis avant leur entrée en vigueur, dès lors que ces dispositions nouvelles n'ont pas pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation. Dès lors, l'instruction donnée aux magistrats du parquet de mettre en œuvre les pouvoirs de réquisition qu'ils tiennent de l'article 712-4 du code pénal afin de saisir le juge de l'application des peines des modalités d'exécution des peines concernées n'est pas entachée d'incompétence ni ne méconnaît l'autorité de chose jugée et l'article 707 du code de procédure pénale.
Sur les dispositions du point 2.2 de la circulaire, relatives " au suivi des mesures de milieu ouvert " :
13. La circulaire attaquée, après avoir relevé que " L'exécution des peines de travail d'intérêt général (TIG) a été, en très grande partie, suspendue à compter du 16 mars 2020 ", du fait de la crise sanitaire, invite le ministère public à accueillir favorablement " Les propositions de constat de fin de mesure pour les peines de travail d'intérêt général qui étaient en fin d'exécution avant l'entrée en vigueur de l'état d'urgence sanitaire (...) dès lors que le TIG a été correctement commencé et que le reliquat du nombre d'heures à effectuer est résiduel. La durée moyenne d'un TIG étant de 105 heures, un seuil de reliquat inférieur à 35 heures, correspondant à une semaine de travail, paraît pouvoir être retenu à cet égard. " La garde des sceaux, ministre de la justice, n'a pas méconnu sa compétence en adressant cette instruction générale aux magistrats du parquet sollicités en ce sens par le juge d'application des peines qui, en vertu de l'article R. 131-29 du code pénal, " s'assure de l'exécution du travail d'intérêt général soit par lui-même, soit par l'intermédiaire d'un agent de probation ".
14. Il résulte de tout ce qui précède que la circulaire attaquée du 20 mai 2020 de la garde de sceaux, ministre de la justice ne doit être annulée qu'en tant qu'elle comporte, à son point 2.1, des instructions générales relatives à l'exécution des peines d'emprisonnement de moins d'un mois et des peines d'emprisonnement ou reliquats de peines anciens et de faible quantum. Il sera mis à la charge de l'Etat, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 2 000 euros.
D E C I D E :
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Article 1er : La circulaire de la garde des sceaux, ministre de la justice du 20 mai 2020 ayant pour objet la mise en œuvre des dispositions relatives aux peines de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de réforme pour la justice est annulée en tant qu'elle comporte, à son point 2.1, les mots " les écrous inférieurs ou égaux à un mois ne sont pas mis à exécution " et " les peines d'emprisonnement ou les reliquats de peine qui sont à la fois anciens et de faible quantum pourront, en fonction de la personnalité de la personne condamnée et des faits reprochés, ne pas être ramenés à exécution ".
Article 2 : L'Etat versera au Syndicat unité magistrat SNP-FO une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au Syndicat unité magistrat SNP-FO et au garde des sceaux, ministre de la justice.