3°) de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle relative à la compatibilité de ces mêmes dispositions avec les stipulations de l'article 20 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale et son premier protocole additionnel ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, notamment son article 17 ;
- la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016, notamment son article 34 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Charles-Emmanuel Airy, auditeur,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B... doit être regardé comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir du paragraphe n° 130 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-RPPM-PVBMI-20-20-10 le 20 avril 2015, en tant qu'il énonce que l'abattement pour durée de détention prévu par l'article 150-0 D du code général des impôts " ne s'applique pas (...) aux gains nets de cession, d'échange ou d'apport réalisés avant le 1er janvier 2013 et placés en report d'imposition dans les conditions prévues (...) à l'article 150-0 B ter du CGI (...) ".
2. L'intérêt dont se prévaut M. B... à l'appui de sa requête tient à la réalisation, le 14 décembre 2012, d'une opération d'échange de titres entre les sociétés Meetic et Jaïna Patrimoine, qu'il contrôle, régie par les dispositions de l'article 150-0 B ter du code général des impôts. Ces sociétés étant toutes deux établies en France, cet intérêt ne lui donne qualité pour demander l'annulation des commentaires administratifs qu'il attaque qu'en tant que ceux-ci concernent les situations internes, à l'exclusion des opérations intéressant des sociétés d'Etats membres différents, lesquelles sont seules susceptibles d'entrer dans le champ de la directive qu'il invoque.
3. D'une part, l'article 150-0 B ter du code général des impôts, institué par la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012, instaure sous certaines conditions un mécanisme de report d'imposition de plein droit des plus-values réalisées lors d'opérations d'apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés, contrôlée par l'apporteur. Ces dispositions ont pour seul effet de permettre, par dérogation à la règle selon laquelle le fait générateur de l'imposition d'une plus-value est constitué au cours de l'année de sa réalisation, de constater et de liquider la plus-value d'échange l'année de sa réalisation et de l'imposer l'année au cours de laquelle intervient l'événement qui met fin au report d'imposition, qui peut notamment être la cession des titres reçus au moment de l'échange. Le montant de la plus-value est ainsi calculé en appliquant les règles d'assiette en vigueur l'année de sa réalisation, mais son imposition obéit aux règles de calcul de l'impôt en vigueur l'année au cours de laquelle intervient l'événement qui met fin au report d'imposition, sous réserve de l'application des dispositions dérogatoires prévues par le 2 ter de l'article 200 A du code général des impôts, dans sa rédaction issue de de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016, dont l'objet est de maintenir, dans le cas des reports d'imposition de plein droit, conformément à la réserve d'interprétation exprimée par le Conseil constitutionnel dans la décision n° 2016-538 QPC du 22 avril 2016, le bénéfice des règles de taux plus favorables en vigueur à la date de la mise en report.
4. L'article 150-0 D du code général des impôts dispose, dans sa version issue de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, au deuxième alinéa de son 1, que : " Les gains nets de cession à titre onéreux d'actions, de parts de sociétés, de droits portant sur ces actions ou parts, ou de titres représentatifs de ces mêmes actions, parts ou droits, mentionnés au I de l'article 150-0 A, ainsi que les distributions mentionnées aux 7, 7 bis et aux deux derniers alinéas du 8 du II du même article, à l'article 150-0 F et au 1 du II de l'article 163 quinquies C sont réduits d'un abattement déterminé dans les conditions prévues, selon le cas, au 1 ter ou au 1 quater du présent article. " Ce même article définit, à son 1 ter, l'abattement pour durée de détention de droit commun et, à son 1 quater, l'abattement pour durée de détention renforcé applicable à certaines situations. En vertu du III de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, les abattements pour durée de détention prévus au 1 ter et au 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts, applicables aux gains nets obtenus dans les conditions prévues à l'article 150-0 A du même code et pris en compte pour la détermination du revenu net global soumis au barème progressif de l'impôt sur le revenu en vertu du 2 de l'article 200 A, s'appliquent aux gains réalisés à compter du 1er janvier 2013. Il en résulte que l'abattement pour durée de détention prévu par l'article 150-0 D du code général des impôts ne peut s'appliquer aux plus-values réalisées antérieurement au 1er janvier 2013 et placées en report d'imposition en application de l'article 150-0 B ter de ce même code.
5. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la directive 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents, ainsi qu'au transfert du siège statutaire d'une SE ou d'une SCE d'un Etat membre à un autre : " 1. L'attribution, à l'occasion d'une fusion, d'une scission ou d'un échange d'actions, de titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire ou acquérante à un associé de la société apporteuse ou acquise, en échange de titres représentatifs du capital social de cette dernière société, ne doit, par elle-même, entraîner aucune imposition sur le revenu, les bénéfices ou les plus-values de cet associé. / (...) 6. L'application des paragraphes 1, 2 et 3 n'empêche pas les États membres d'imposer le profit résultant de la cession ultérieure des titres reçus de la même manière que le profit qui résulte de la cession des titres existant avant l'acquisition ".
6. Par un arrêt nos C-662/18 et C-672/18 du 18 septembre 2019, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les dispositions citées au point précédent doivent être interprétées en ce sens que, dans le cadre d'une opération d'échange de titres, elles requièrent que soit appliqué, à la plus-value afférente aux titres échangés et placée en report d'imposition ainsi qu'à celle issue de la cession des titres reçus en échange, le même traitement fiscal, au regard du taux d'imposition et de l'application d'un abattement fiscal pour tenir compte de la durée de détention des titres, que celui que se serait vu appliquer la plus-value qui aurait été réalisée lors de la cession des titres existant avant l'opération d'échange, si cette dernière n'avait pas eu lieu.
7. Il résulte de ce qui précède que lorsqu'elles sont afférentes à des opérations entrant dans le champ matériel et territorial de la directive " fusions " du 19 octobre 2009, les plus-values placées avant le 1er janvier 2013 en report d'imposition en application de l'article 150-0 B ter sont susceptibles de faire l'objet de l'abattement pour durée de détention prévu au 1 de l'article 150-0 D du code général des impôts, dans les conditions énoncées au point précédent.
8. En premier lieu, l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Aux termes de l'article 14 de cette convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation comparable est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.
9. M. B... soutient qu'en ayant pour effet d'étendre, dans les conditions énoncées au point 6, le bénéfice de l'application de l'abattement pour durée de détention prévu au 1 de l'article 150-0 D du code général des impôts aux plus-values placées en report d'imposition en application de l'article 150-0 B ter avant le 1er janvier 2013 lorsqu'elles sont afférentes à des opérations entrant dans le champ matériel et territorial de la directive " fusions " du 19 octobre 2009, alors que de telles plus-values ne font pas l'objet de cet abattement lorsqu'elles portent sur des opérations purement internes, les dispositions législatives que les commentaires administratifs contestés réitèrent institueraient un traitement discriminatoire au regard du droit au respect des biens.
10. Il résulte des dispositions contestées une différence de traitement, s'agissant de l'application de l'abattement pour durée de détention à la plus-value d'une opération d'échange de titres placée en report d'imposition, selon que cette opération a été réalisée dans le cadre de l'Union européenne ou qu'elle l'a été dans le cadre national ou en dehors de l'Union européenne. Si le législateur avait initialement exclu du bénéfice de l'abattement pour durée de détention prévu au 1 de l'article 150-0 D l'ensemble des plus-values afférentes à des opérations réalisées avant le 1er janvier 2013 et placées en report d'imposition en application de l'article 150-0 B ter, la soumission à des règles d'assiette plus favorables des plus-values relatives à des opérations mettant en cause des sociétés d'Etats-membres différents trouve sa justification dans le nécessaire respect, pour ce qui concerne les situations entrant dans leur champ d'application, des dispositions de la directive " fusions " du 19 octobre 2009, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt précité nos C-662/18 et C-672/18 du 18 septembre 2019, qui imposent de renforcer la neutralité fiscale des opérations européennes d'échange de titres. Le respect des exigences découlant du droit de l'Union européenne constitue un objectif d'intérêt public légitime de nature à justifier une différence de traitement entre des situations au demeurant comparables, selon qu'elles sont ou non régies par ces règles. Par ailleurs, si la loi, ainsi interprétée dans le respect du droit de l'Union européenne, prévoit de garantir par des modalités différentes, selon que sont en cause des opérations purement internes ou des opérations entrant dans le champ de la directive du 19 octobre 2009, la neutralité fiscale des opérations d'échange de titres en évitant que le contribuable soit contraint de céder ses titres pour acquitter l'impôt, il n'en résulte pas une absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. Dans ces conditions, la différence de traitement en cause peut être regardée comme répondant à une justification objective et raisonnable. M. B... n'est ainsi pas fondé à soutenir que les commentaires qu'il conteste réitèreraient des dispositions législatives méconnaissant les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole additionnel.
11. En second lieu, M. B... ne peut utilement se prévaloir, à l'appui des conclusions pour lesquelles il est recevable à agir telles que définies au point 2, de ce que les dispositions de la loi, telles que réitérées par les énonciations attaquées, méconnaîtraient les stipulations de l'article 20 de la charte des droits fondamentaux, lesquelles s'appliquent aux Etats membres lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union européenne et non aux situations seulement régies par le droit interne.
12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin ni de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre, ni de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle soulevée par M. B..., ni de saisir la Cour européenne des droits de l'homme d'une demande d'avis consultatif, que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation des commentaires administratifs qu'il conteste.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.