1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de rejeter la demande de la SCI Brunelot dirigée contre l'ordonnance du 27 janvier 2016 du juge des référés du tribunal administratif de Lille.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des procédures civiles d'exécution ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Bobo, auditeur,
- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Ricard, avocat de la SCI Brunelot.
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 5 août 2014, l'huissier de justice commis par la SCI Brunelot a demandé au sous-préfet de Calais de lui accorder le concours de la force publique en vue de l'exécution d'une décision de justice ordonnant l'expulsion de personnes qui occupaient un site industriel lui appartenant ; que le sous-préfet a pris dès le 7 août 2014 la décision d'accueillir cette demande ; que, toutefois, les lieux n'ont été libérés avec le concours de la force publique que le 2 juin 2015 ; que, par une ordonnance du 27 janvier 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté une demande de la société tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser, en application de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, une provision sur l'indemnisation des préjudices qu'elle avait subis du fait de la mise en oeuvre tardive de l'exécution forcée ; que, saisie par la société, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Douai a, par une ordonnance du 5 octobre 2016, annulé la décision du premier juge et mis à la charge de l'Etat le versement d'une provision d'un montant de 155 053,10 euros ; que le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation contre cette ordonnance ;
Sur la fin de non-recevoir soulevée par la SCI Brunelot :
2. Considérant qu'en vertu des règles générales de la procédure, le recours en cassation n'est recevable que contre une décision définitive à l'égard de laquelle aucune autre voie de recours, notamment celle de l'opposition, ne reste ouverte ; que les personnes à l'égard desquelles une cour administrative d'appel a statué par défaut ne sont ainsi recevables à se pourvoir en cassation contre l'arrêt les concernant qu'après l'expiration du délai de deux mois ouvert, en application des dispositions de l'article R. 831-2 du code de justice administrative, pour former opposition contre l'arrêt rendu ou, lorsqu'elles ont introduit un recours en opposition, que lorsqu'il a été statué sur ce recours ; que, toutefois, le pourvoi en cassation formé prématurément par l'une de ces personnes peut se trouver régularisé par l'expiration du délai d'opposition contre cet arrêt ;
3. Considérant que l'ordonnance attaquée du juge des référés de la cour administrative d'appel de Douai du 5 octobre 2016, rendue par défaut à l'égard de l'Etat, a été notifié au ministre de l'intérieur le 10 octobre 2016 ; que le pourvoi en cassation, introduit prématurément le 24 octobre 2016, pendant le délai imparti pour former opposition, a été régularisé par l'expiration de ce délai ; que, par suite, la fin de non-recevoir soulevée par la SCI Brunelot doit être écartée ;
Sur le pourvoi du ministre de l'intérieur contre l'ordonnance du juge des référés de la cour administrative d'appel de Douai du 5 octobre 2016 :
4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie " ; qu'en vertu de l'article R. 541-3 du même code : " L'ordonnance rendue par le président du tribunal administratif ou par son délégué est susceptible d'appel devant la cour administrative d'appel dans la quinzaine de sa notification " ;
5. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative, dans sa version résultant du décret du 13 août 2013 portant modification du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance. Toutefois, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort : (...) 3° Sur les litiges relatifs aux refus de concours de la force publique pour exécuter une décision de justice ; (...)/ Les ordonnances prises sur le fondement du titre IV du livre V sont également rendues en premier et dernier ressort lorsque l'obligation dont se prévaut le requérant pour obtenir le bénéfice d'une provision porte sur un litige énuméré aux alinéas précédents " ;
6. Considérant que les dispositions de l'article R. 541-3 du code de justice administrative doivent être combinées avec celles du onzième alinéa de l'article R. 811-1 ; qu'il en résulte que les ordonnances du juge des référés du tribunal administratif statuant sur une demande de provision sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative sont rendues en premier et dernier ressort lorsque l'obligation dont se prévaut le requérant pour obtenir le bénéfice d'une provision se rattache à l'un des litiges énumérés aux 1° à 8° de l'article R. 811-1 ;
7. Considérant que la demande présentée par la SCI Brunelot devant le juge des référés du tribunal administratif de Lille soulevait un litige relatif à un refus de concours de la force publique pour l'exécution d'une décision de justice ; que, dès lors, conformément aux dispositions précitées, l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille du 27 janvier 2016 rejetant cette demande a été rendue en premier et dernier ressort ; qu'en demandant l'annulation de cette ordonnance, la SCI Brunelot devait être regardée comme présentant un pourvoi en cassation ; qu'en statuant sur ce pourvoi, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Douai a rendu une décision entachée d'incompétence ; que son ordonnance doit, par suite, être annulée ;
Sur le pourvoi de la SCI Brunelot contre l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille du 27 janvier 2016 :
8. Considérant qu'il appartient au Conseil d'Etat statuant au contentieux de se prononcer sur le pourvoi en cassation formé par la SCI Brunelot contre l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille ; que ce pourvoi a été régularisé par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; que la fin de non-recevoir soulevée par le ministre de l'intérieur doit, par suite, être écartée ;
9. Considérant qu'aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie " ; qu'il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude ; que, dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle qui résulte du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état ; que, dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant ;
10. Considérant qu'aux termes de l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution : " L'Etat est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l'Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation " ; que le retard apporté à la mise en oeuvre d'une décision accordant le concours de la force publique est également de nature à engager la responsabilité de l'Etat s'il lui est imputable ; qu'il ressortait des pièces du dossier soumis au juge des référés que si le sous-préfet de Calais avait, dès réception de la réquisition présentée le 5 août 2014, décidé d'accorder à la SCI Brunelot le concours de la force publique, cette décision n'avait été effectivement mise en oeuvre que le 2 juin 2015 ; que l'administration n'avait fait état devant le juge des référés d'aucune circonstance permettant d'imputer au comportement de la SCI Brunelot ou de l'huissier qui la représentait le retard apporté à l'exécution de la décision de justice ; qu'à supposer que la détermination de la période de responsabilité de l'Etat ait pu donner lieu à une contestation sérieuse, il appartenait au juge des référés de n'accorder une provision à la société requérante qu'au titre de la période pour laquelle cette responsabilité était engagée de manière certaine ; qu'en se fondant sur une difficulté relative à la période de responsabilité pour rejeter la demande dont il était saisi, il a entaché son ordonnance d'une erreur de droit ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, que la SCI Brunelot est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance du 27 janvier 2016 du juge des référés du tribunal administratif de Lille ; qu'il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société requérante de la somme de 3 000 euros qu'elle demande sur leur fondement ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés de la cour administrative d'appel de Douai du 5 octobre 2016 est annulée.
Article 2 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille du 27 janvier 2016 est annulée.
Article 3 : L'affaire est renvoyée devant le tribunal administratif de Lille.
Article 4 : L'Etat versera à la SCI Brunelot une somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur et à la SCI Brunelot.