- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée en ce qu'elle est intervenue au terme d'une procédure irrégulière, dès lors qu'elle a été prise en vertu du 3° de l'article L. 232-22 du code du sport, déclaré contraire à la Constitution par la décision n° 2017-688 QPC du Conseil constitutionnel du 2 février 2018.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mai 2018, l'Agence française de lutte contre le dopage conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que le moyen soulevé par le requérant n'est pas propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du sport ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-688 QPC du 2 février 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M.B..., d'autre part, l'Agence française de lutte contre le dopage ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du vendredi 11 mai 2018 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Doumic-Seiller, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;
- Me Poupot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Agence française de lutte contre le dopage ;
- le représentant de l'Agence française de lutte contre le dopage ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. M.B..., joueur amateur de rugby à XIII qui évolue au sein du club Palau XIII engagé dans le championnat " Elite 1 " de cette discipline, a été soumis le 25 septembre 2016 à un contrôle antidopage dont les résultats ont fait apparaître la présence de diverses substances prohibées. Par une décision du 8 février 2017, l'organe disciplinaire de première instance de lutte contre le dopage de la Fédération française de rugby à XIII, après l'avoir suspendu à titre provisoire par lettre du 10 janvier 2017, a prononcé à son encontre l'interdiction de participer pendant deux ans aux manifestations sportives organisées ou autorisées par cette fédération. Le 18 mai 2017, l'Agence française de lutte contre le dopage s'est saisie de sa propre initiative, sur le fondement du 3° de l'article L. 232-22 du code du sport, de la décision du 4 avril 2017 par laquelle l'organe disciplinaire d'appel de lutte contre le dopage de la Fédération française de rugby à XIII a confirmé la décision du 8 février 2017, en l'assortissant d'un sursis de huit mois. Par une décision du 20 septembre 2017, l'agence a, d'une part, prononcé la sanction pour une durée de quatre ans et, d'autre part, étendu cette sanction aux manifestations organisées ou autorisées par les autres fédérations sportives. M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 20 septembre 2017.
Sur la condition d'urgence :
3. La condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.
4. A l'appui de sa demande de suspension, M. B...fait valoir que la décision de sanction prise par l'Agence française de lutte contre le dopage préjudicie de manière grave et immédiate à sa situation en raison de l'importance de sa pratique sportive à haut niveau pour son équilibre personnel. Il fait également valoir que cette décision met en péril sa carrière sportive en ce qu'elle l'empêche de participer aux matchs de son club et risque d'entraîner le non-renouvellement de son engagement pour les saisons suivantes. Enfin, il ressort des pièces du dossier que le complément de revenus qu'il tire de son activité sportive est susceptible de présenter un caractère substantiel par rapport aux revenus professionnels de son activité de chauffeur-livreur. Eu égard à ces circonstances, et compte tenu du fait que cette sanction est déjà actuellement en cours d'exécution, pour une durée de 16 mois à compter du 10 janvier 2017, date de sa suspension provisoire, l'atteinte susceptible d'être ainsi portée à sa situation personnelle est suffisamment grave et immédiate pour caractériser, en ce qui le concerne, une situation d'urgence. Si l'Agence française de lutte contre le dopage fait valoir l'intérêt général qui s'attache au respect des règles anti-dopage, elle n'apporte pas d'éléments concrets de nature à faire obstacle à la suspension de la décision attaquée. Dès lors, la condition d'urgence exigée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.
Sur la condition tenant à l'existence d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision :
5 Aux termes de l'article L. 232-5 du code du sport : " I. L'Agence française de lutte contre le dopage, autorité publique indépendante, définit et met en oeuvre les actions de lutte contre le dopage. A cette fin, elle coopère avec l'Agence mondiale antidopage, avec les organismes reconnus par celle-ci et disposant de compétences analogues aux siennes et avec les fédérations sportives internationales. A cet effet : / (...) 7° Elle exerce un pouvoir disciplinaire dans les conditions prévues aux articles L. 232-22 et L. 232-23 ". En vertu de l'article L. 232-7 du même code : " Le collège de l'agence peut délibérer en formation disciplinaire composée d'au moins quatre membres et présidée par l'un des membres mentionnés au 1° de l'article L. 232-6 du présent code ". Aux termes de l'article L. 232-22 : " En cas d'infraction aux dispositions des articles L. 232-9, L. 232-9-1, L. 232-10, L. 232-14-5, L. 232-15, L. 232-15-1 ou L. 232-17, l'Agence française de lutte contre le dopage exerce un pouvoir de sanction dans les conditions suivantes : / (...) 3° Elle peut réformer les décisions prises en application de l'article L. 232-21. Dans ces cas, l'agence se saisit, dans un délai de deux mois à compter de la réception du dossier complet, des décisions prises par les fédérations agréées ".
6. A l'appui de sa demande, M. B...soulève un moyen tiré de l'irrégularité de la décision de sanction contestée en ce qu'elle a été prise sur le fondement du 3° de l'article L. 232-22 du code du sport. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2017-688 QPC du 2 février 2018, a jugé contraire à la Constitution le 3° de l'article L. 232-22 du code du sport, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2015-1207 du 30 septembre 2015 relative aux mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer le respect des principes du code mondial antidopage, au motif que ces dispositions n'opèrent aucune séparation au sein de l'Agence française de lutte contre le dopage entre, d'une part, les fonctions de poursuite des éventuels manquements ayant fait l'objet d'une décision d'une fédération sportive en application de l'article L. 232-21 et, d'autre part, les fonctions de jugement de ces mêmes manquements, et méconnaissent ainsi le principe d'impartialité. Le Conseil constitutionnel a précisé que cette déclaration d'inconstitutionnalité peut être invoquée dans toutes les instances relatives à une décision rendue sur le fondement de l'article L. 232-21 dont l'agence s'est saisie en application des dispositions censurées et non définitivement jugées à la date de sa décision. Par suite, et alors même que le recours formé contre ces décisions a un caractère de pleine juridiction en vertu des dispositions de l'article L. 232-24 du code du sport, ce moyen est de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.
7. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision de l'Agence française de lutte contre le dopage du 20 septembre 2017 jusqu'à ce qu'il soit statué au principal sur les conclusions formées par M. B...tendant à l'annulation de cette décision.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'exécution de la décision de l'Agence française de lutte contre le dopage du 20 septembre 2017 prononcée à l'encontre de M. B...est suspendue jusqu'à ce qu'il soit statué au principal sur les conclusions formées par M. B...tendant à l'annulation de cette décision.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A...B...et à l'Agence française de lutte contre le dopage.