3°) d'enjoindre aux ministres compétents de prendre les mesures réglementaires ou d'organisation nécessaires afin de permettre aux partenaires de vie des requérants de se voir délivrer un laissez-passer, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, au titre de l'article L. 911-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable ;
- la condition d'urgence est satisfaite compte tenu de l'impossibilité matérielle de retrouver leur partenaire de vie depuis le début de la pandémie ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à leurs libertés fondamentales ;
- l'acte attaqué porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de leur vie privée et familiale en les empêchant d'entretenir leur relation de couple autrement qu'à distance pour répondre à une logique de lutte contre l'immigration irrégulière et non à une appréciation concrète de leur situation au regard du motif d'intérêt général de lutte contre la propagation du virus ;
- il méconnaît le principe d'égalité dès lors que des laissez-passer peuvent être délivrés aux couples mariés ou pacsés et que les personnes résidant au sein de l'Union européenne peuvent se retrouver sur le territoire français en se munissant d'un test PCR négatif, sans que cette différence de traitement soit justifiée par l'objectif de protection de la santé publique ;
- ces atteintes ne sont pas justifiées par le contexte sanitaire dès lors que, en premier lieu, ils ne souhaitent pas effectuer des allers-retours entre la France et le pays de résidence du partenaire mais simplement mettre fin à une séparation forcée qui dure depuis de longs mois, en deuxième lieu, leur entrée sur le territoire présente un risque sanitaire maîtrisable avec des mesures contraignantes et proportionnées, en troisième lieu, un protocole avec des mesures contraignantes est envisageable, en quatrième lieu, l'entrée sur le territoire est autorisée pour certains motifs d'immigration, et, en dernier lieu, le caractère général de l'interdiction formulée prive dans les faits les intéressés d'un examen circonstancié de leur situation individuelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 avril 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que, d'une part, les conclusions tendant à la suspension des décisions de rejet de délivrance de laissez-passer opposées aux requérants par les services consulaires sont irrecevables dès lors qu'elles sont présentées devant un juge incompétent pour en connaître et, d'autre part, la condition d'urgence n'est pas satisfaite et il n'est pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 ;
- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020, modifié notamment par le décret n° 2021-99 du 30 janvier 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme Q... E... et les autres requérants, et d'autre part, le ministre de l'intérieur ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 12 avril 2021, à 11 heures :
- le représentant des requérants ;
- Mme Z... et M. T... ;
- les représentants du ministre de l'intérieur ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 13 avril 2021 à midi.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
Sur le cadre juridique du litige :
2. Aux termes de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain (...) en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ". L'article L. 3131-13 du même code précise que " L'état d'urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (...) ". Aux termes de l'article L. 3131-15 du même code : " I.- Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / (...) 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes (...). " Ces mesures " sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. "
3. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou Covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit les autorités compétentes à prendre diverses mesures destinées à réduire les risques de contagion. Une nouvelle progression de l'épidémie de covid-19 sur le territoire national a conduit le Président de la République à prendre, le 14 octobre 2020, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre 2020 sur l'ensemble du territoire de la République. L'article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, modifié par la loi du 15 février 2021, proroge l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 1er juin 2021 inclus. Le Premier ministre a pris, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19. Le décret susvisé du 30 janvier 2021 a inséré dans ce décret un article 56-5 qui prévoit, dans sa rédaction actuellement applicable, que : " I. - Sont interdits, sauf s'ils sont fondés sur un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé, les déplacements de personnes : / 1° Entre le territoire métropolitain et un pays étranger autre que ceux de l'Union européenne, Andorre, l'Australie, la Corée du Sud, l'Islande, Israël, le Japon, le Liechtenstein, Monaco, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni, Saint-Marin, le Saint-Siège, Singapour ou la Suisse ; / (...). "
Sur la demande en référé :
4. Il résulte de l'instruction qu'avant l'intervention du décret du 30 janvier 2021, un dispositif de laissez-passer a été mis en place pour permettre, dans des conditions restrictives, aux ressortissants étrangers ayant une relation de couple avec un ressortissant français d'entrer sur le territoire français pour une visite de court séjour. Ce dispositif a été suspendu après le décret du 30 janvier 2021. Le Premier ministre, au point 2.1.2 de la circulaire n° 6245/SG du 22 février 2021, a déterminé les catégories de personnes qui, " arrivant aux frontières extérieures de l'espace européen, (...) sont autorisées à entrer sur le territoire métropolitain " en limitant l'entrée sur le territoire métropolitain au " ressortissant de nationalité français ainsi que son conjoint (marié, pacsé et concubin sur présentation de justificatifs de communauté de vie). Les requérants demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice, de suspendre l'exécution de cette circulaire en tant qu'elle ne prévoit pas de dérogations aux restrictions de déplacement vers la France pour l'ensemble des ressortissants étrangers justifiant d'une relation amoureuse avec un citoyen français et d'enjoindre à l'administration de remettre en place une procédure spécifique de laissez-passer pour l'ensemble des ressortissants étrangers.
5. Il résulte de l'instruction que, si entre le 21 septembre 2020 et le 29 janvier 2021, 2 570 laissez-passer ont été délivrés dans le cadre du dispositif évoqué au point 4, les restrictions de déplacements entre le territoire métropolitain et les pays étrangers depuis le début de l'épidémie de covid-19 ont très fortement restreint la possibilité de réunion des ressortissants étrangers et des ressortissants français ayant une relation de couple qui ne sont ni mariés, ni pacsés et ne peuvent être regardés comme vivant en situation de concubinage compte tenu de leur éloignement géographique. Comme l'ont indiqué les requérants à l'audience, ces restrictions sur une longue période pèsent sur leur relation amoureuse.
6. Toutefois, il résulte de l'instruction que la situation sanitaire reste à un niveau préoccupant sur le territoire national. A la date de la présente décision, le dernier point épidémiologique hebdomadaire de Santé publique France, en date du 8 avril 2021, fait état de plus de 39 000 nouveaux cas positifs en moyenne chaque jour et de plus de 30 000 personnes hospitalisées pour covid-19 au 6 avril 2021, dont 5 644 en réanimation, engendrant une très forte tension hospitalière. Cette situation a entraîné de nouvelles restrictions sur l'ensemble du territoire métropolitain. Comme le fait également valoir le ministre de l'intérieur, il existe également un risque d'importation de nouveaux variants du virus ayant une forte contagiosité dans une période où la vaccination de la population est encore en cours.
7. Ainsi, en l'état de l'instruction et dans le contexte épidémique actuel, le maintien de mesures de restriction d'entrée sur le territoire français aux ressortissants étrangers engagés dans une relation de couple avec un ressortissant français sans être mariés, pacsés ou vivre en concubinage ne peut être regardé comme une mesure n'étant manifestement pas nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif de sauvegarde de la santé public.
8. Les requérants ne peuvent également utilement se prévaloir de ce que cette mesure ne s'applique pas aux couples mariés, pacsés ou vivant en situation de concubinage qui se trouvent dans des situations différentes.
9. Par suite, et dès lors que les libertés fondamentales invoquées doivent être conciliées avec les autres libertés fondamentales, parmi lesquelles figurent le droit au respect de la vie, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la circulaire litigieuse porterait une atteinte manifestement illégale à ces libertés fondamentales.
10. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur et sur la condition d'urgence, la requête ne peut qu'être rejetée, y compris les conclusions présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de Mme E... et autres est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme Q... E..., première dénommée, pour l'ensemble des requérants, et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Premier ministre.