3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie eu égard, d'une part, à la gravité des conséquences économiques de la mesure d'interdiction des fêtes foraines contestée, compte tenu du caractère saisonnier de l'activité des entrepreneurs forains et de l'absence de mesures d'aide spécifiques et, d'autre part, au caractère indéterminé de cette mesure ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'entreprendre, à la liberté du commerce et de l'industrie et au principe d'égalité ;
- la mesure contestée, qui impacte gravement la situation économique des entrepreneurs forains, n'est pas proportionnée dès lors, d'une part, que d'autres mesures, telles que l'instauration d'un protocole sanitaire renforcé, sont susceptibles de permettre que l'objectif de préservation de la santé publique poursuivi par le décret du 14 décembre 2020 soit atteint et, d'autre part, qu'aucun mécanisme de soutien économique spécifique n'est actuellement prévu ;
- elle est discriminatoire dès lors, d'une part, qu'elle constitue une différence de traitement injustifiée et manifestement disproportionnée vis-à-vis d'autres activités, quant à elles autorisées alors même qu'elles se déroulent dans des conditions identiques voire moins protectrices de la santé publique et, d'autre part, qu'aucun mécanisme d'aide financière spécifique n'est prévu pour les entrepreneurs forains, à une période à laquelle leur activité est habituellement la plus rentable, alors même que plusieurs mesures ont été prises afin d'accompagner économiquement d'autres professions dont l'activité est restreinte du fait du contexte sanitaire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'aucune atteinte grave et manifestement illégale n'est portée aux libertés fondamentales invoquées.
La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas présenté d'observations.
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 25 janvier 2020, par lequel le ministre des solidarités et de la santé apporte des précisions relatives à la situation sanitaire actuelle ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code de la santé publique ;
- le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
- le décret n° 2020-1582 du 14 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Fédération des forains de France, et d'autre part, le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 25 janvier 2020 à 10 heures :
- Me Pinatel, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Fédération des forains de France ;
- les représentants de la Fédération des forains de France ;
- les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 25 janvier 2021 à 18 heures.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".
Sur l'office du juge des référés :
2. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 précité et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu'aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le juge des référés peut, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonner à l'autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d'organisation des services placés sous son autorité lorsqu'une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale. Toutefois, le juge des référés ne peut, sur le fondement de l'article L. 521-2 précité, qu'ordonner les mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s'imposent et qui peuvent également être très rapidement mises en oeuvre. Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-2, les mesures qu'il peut ordonner doivent s'apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.
Sur les circonstances et le cadre du litige :
3. Aux termes de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ". L'article L. 3131-13 du même code dispose que : " L'état d'urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (...) / La prorogation de l'état d'urgence sanitaire au-delà d'un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l'article L. 131-19. " Aux termes du I de l'article L. 3131-15 du même code : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : (...) 5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l'ouverture, y compris les conditions d'accès et de présence, d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité. " Ce même article précise à son III que les mesures prises en application de ses dispositions " sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu " et " qu'il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ".
4. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou Covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre chargé de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Pour faire face à l'aggravation de l'épidémie, la loi du 23 mars 2020 a créé un régime d'état d'urgence sanitaire, défini aux articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique, et a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. La loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ces dispositions a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020.
5. Une nouvelle progression de l'épidémie a conduit le Président de la République à prendre le 14 octobre dernier, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre sur l'ensemble du territoire national. L'article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire a prorogé l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 16 février 2021 inclus. Le Premier ministre a pris, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'urgence sanitaire, modifié en dernier lieu par un décret du 23 janvier 2021. Aux termes du V de l'article 45 de ce décret, dans sa rédaction actuellement applicable issue du décret du 14 décembre 2020 litigieux : " Les fêtes foraines sont interdites ".
6. Il résulte de l'instruction, et notamment des échanges tenus lors de l'audience que l'interdiction contestée vise les fêtes foraines, à l'exclusion des activités isolées telles que l'exploitation d'un manège.
Sur la demande en référé :
7. Ainsi que le relèvent les requérants, l'interdiction des fêtes foraines porte une atteinte grave aux libertés fondamentales que constituent la liberté d'entreprendre et la liberté du commerce et de l'industrie ainsi que le droit au libre exercice d'une profession.
8. L'administration fait valoir, pour justifier le maintien de la fermeture de ces établissements, que les fêtes foraines constituent des événements publics induisant des déplacements sur des distances moyennes, du fait de leur attractivité, et opérant un brassage de populations au cours desquels les personnes se retrouvent en contact prolongé, avec des regroupements en différents points, notamment dans les files d'attente aux entrées et sorties et aux guichets. Elle fait en outre valoir que certaines activités présentes dans les fêtes foraines ne sont pas propices au respect des gestes barrières, notamment les attractions en lieu clos. Ces caractéristiques sont associées, selon elle, à un risque réel de contamination, d'autant plus élevé que les activités de fête foraine reposent sur le partage d'équipement, augmentant ainsi le risque de transmission par contact.
9. Il résulte toutefois de l'instruction que les exploitants de fêtes foraines ont conçu des aménagements des pratiques professionnelles et des protocoles sanitaires stricts qui sont de nature à diminuer de manière significative le risque lié à l'existence de rassemblements. Ces protocoles, outre le port obligatoire du masque, prévoient, en particulier, des limitations du nombre de visiteurs, des nettoyages et désinfections des équipements réguliers, des espaces entre les personnes lors de l'arrivée du public, l'obligation d'utiliser des solutions hydro-alcooliques avant de monter sur un manège ou de prendre part à un jeu et une information des visiteurs sur l'ensemble des contraintes à respecter.
10. Par ailleurs, le risque de contamination est d'une intensité relativement plus faible que pour d'autres événements rassemblant du public dès lors que les activités des fêtes foraines se pratiquent pour l'essentiel en extérieur.
11. Au vu de l'ensemble de ces circonstances, et en l'absence de perspective d'éradication du virus dans un avenir proche, le maintien d'une interdiction générale et absolue de fêtes foraines, mesure qui, ainsi qu'il a été dit, porte une atteinte grave aux libertés mentionnées au point 5, constituerait une illégalité manifeste si elle était justifiée par la seule persistance d'un risque de contamination du public par le virus SARS-CoV-2. Le maintien d'une telle interdiction sur l'ensemble du territoire national ne peut être regardé comme une mesure nécessaire et adaptée et, ce faisant, proportionnée à l'objectif de préservation de la santé publique qu'elle poursuit, qu'en présence d'un contexte sanitaire marqué par un niveau particulièrement élevé de diffusion du virus au sein de la population susceptible de compromettre à court terme la prise en charge, notamment hospitalière, des personnes contaminées et des patients atteints d'autres affections.
12. En l'espèce, il résulte des données scientifiques disponibles qu'à la date du 24 janvier 2021, 3 053 617 cas sont confirmés positifs au virus, en augmentation de 18 436 dans les dernières vingt-quatre heures, le taux de positivité des tests se situe à 7,1% et 73 049 décès liés à l'épidémie sont à déplorer, en hausse de 172 personnes dans les dernières vingt-quatre heures. Le taux d'incidence est de 205,15. Le taux d'occupation des lits en réanimation par des patients atteints de la covid-19 demeure à un niveau élevé avec une moyenne nationale de 58,4%, mettant sous tension l'ensemble du système de santé. Ces données, qui montrent une dégradation de la situation sanitaire au cours de la période récente à partir d'un " plateau épidémique " déjà très élevé, pourraient se révéler encore plus préoccupantes au mois de mars. En outre, la détection de nouveaux variants du SARS-CoV-2, notamment au Royaume-Uni, avec un taux de transmission plus important, qui a conduit à fermer provisoirement les frontières avec ce pays, est de nature à accroître l'incertitude. Dans ces conditions, compte tenu du contexte actuel d'augmentation avérée de la circulation de l'épidémie, la décision du Premier ministre, à la date de la présente ordonnance, ne porte pas une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales dont se prévaut la fédération requérante.
13. Il résulte par ailleurs de l'instruction que les professionnels du secteur des fêtes foraines ont accès aux différents types d'aides mises en place par le gouvernement. Ils bénéficient en particulier du fonds de solidarité prévu par le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020, ainsi que des exonérations ou aides relatives aux cotisations sociales et des mesures relatives au chômage partiel, et ont la possibilité de contracter un prêt garanti par l'Etat jusqu'au 30 juin 2021.
14. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur la condition d'urgence, que la requête présentée par la Fédération des forains de France doit être rejetée, y compris les conclusions présentées à titre subsidiaire tendant à l'adoption de mécanismes économiques d'aide et de soutien aux entrepreneurs forains et les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la Fédération des forains de France est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Fédération des forains de France et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre.