Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 2 février 2018, MmeA..., représentée par Me Soulas, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 29 décembre 2017 ;
2°) d'annuler l'arrêté contesté ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir ou, à tout le moins, de réexaminer sa demande ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
S'agissant du refus de séjour :
- il est entaché d'un vice de procédure en ce que le préfet n'a pas saisi les autorités congolaises pour procéder à la vérification des documents d'état civil dont elle se prévaut pour établir sa date de naissance ;
- il est entaché d'une erreur de droit car le préfet n'a pas fait vérifié les actes d'état civil établis par les autorités congolaises ; il n'existe aucune incohérence entre les documents produits laissant croire à leur falsification ;
- de cette erreur de droit résulte une erreur de fait en ce que le préfet lui a opposé qu'elle n'établissait pas être entrée en France mineure ; sa minorité n'a jamais été remise en cause jusqu'à la décision contestée, alors qu'elle a été prise en charge par l'aide sociale à l'enfance ;
- le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ;
- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et a entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est privée de base légale, la décision de refus de délivrance de titre de séjour sur laquelle elle est fondée étant illégale ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale tel que protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
S'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est dépourvue de base légale ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale tel que protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans la mesure où elle ne dispose plus d'attache dans son pays d'origine.
Par un mémoire enregistré le 21 mars 2018, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'aucun des moyens n'est fondé.
Par ordonnance du 23 février 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 mars 2018 à 12h00.
Des pièces ont été produites par Mme A...les 26 et 28 mars mais n'ont pas été communiquées.
Un mémoire présenté par le préfet de la Haute-Garonne, enregistré le 30 mars 2018 à 14h59, n'a pas été communiqué.
Mme A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 mars 2018 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridictionnelle.
- le décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laurent Pouget,
- et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. MmeA..., ressortissante de la République démocratique du Congo, déclare être entrée en France le 29 janvier 2013, à l'âge de quinze ans. Elle a été prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance de la Haute-Garonne à compter du 4 juillet 2014 et placée en foyer d'accueil pour mineurs isolés. Elle a sollicité, le 23 mars 2017, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 18 juillet 2017, le préfet de la Haute-Garonne a rejeté sa demande et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français, en fixant le pays de renvoi. Mme A...relève appel du jugement du 29 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne le refus de séjour :
2. Aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention "salarié" ou la mention "travailleur temporaire" peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser le titre de séjour sollicité à Mme A... sur le fondement des dispositions précitées, le préfet de la Haute-Garonne s'est fondé sur le caractère frauduleux des documents d'état civil qu'elle a présentés, qui ne lui permettraient pas de justifier avoir été confiée à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans.
4. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ", lequel dispose que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". En vertu de l'article 1er du décret du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger : " Lorsque, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l'article 47 du code civil, aux vérifications utiles auprès de l'autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet ".
5. L'article 47 du code civil précité pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays. Il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. Il ne résulte en revanche pas de ces dispositions que l'administration française doit nécessairement et systématiquement solliciter les autorités d'un autre Etat afin d'établir qu'un acte d'état-civil présenté comme émanant de cet Etat est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont dispose l'administration française sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié.
6. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier être née le 4 avril 1998, Mme A... a présenté un certificat de naissance établi le 10 avril 1998, une attestation de naissance datée du 16 octobre 2013 et un jugement supplétif d'acte de naissance du tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe en date du 8 juillet 2016. Le préfet de la Haute-Garonne a considéré, au vu des résultats de l'analyse de ces documents, qu'ils ne pouvaient être regardés comme authentiques et exacts. En effet, un rapport établi le 3 avril 2017 par le service d'expertise en fraude documentaire de la direction départementale de la police aux frontières de la Haute-Garonne, indique que " ces documents sont tous faux. Ils ont été fabriqués par un faussaire qui s'est servi du jugement supplétif afin de créer une identité. Cette identité est fictive ". Cette analyse est corroborée par un courrier du service de sécurité intérieure de l'ambassade de France à Kinshasa en date du 2 octobre 2017 qui, après avoir rappelé qu'en République Démocratique du Congo tout acte de naissance dressé plus de trente jours après la naissance doit obligatoirement être établi suivant un jugement supplétif, relève qu'en l'occurrence, le jugement supplétif présenté a été rédigé avec une machine à écrire mécanique alors que les jugements du TGI de Kinshasa/Gombe sont imprimés depuis 2010, que la même machine à écrire a été utilisée pour rédiger le jugement, le certificat de naissance et le certificat de nationalité, que ce jugement ne fait pas référence à un certificat de non appel, sans lequel il est dépourvu de portée, et qu'il n'a pas été correctement légalisé. Le certificat de naissance a au surplus été modifié à partir d'un scanner. Le courrier conclut à la contrefaçon des actes présentés. Au vu de ces éléments, le préfet a ainsi estimé que le jugement supplétif du 8 juillet 2016 était frauduleux.
7. Toutefois, il est constant que Mme A...avait également présenté à l'appui de sa demande un acte de naissance délivré le 2 août 2016 par le service d'état civil de la commune de Barumbu / Kinshasa, légalisé par le consulat général de la République Démocratique du Congo à Anvers. Le préfet ne remet pas en cause l'authenticité de cet acte d'état civil, délivré par les autorités congolaises sur présentation du jugement supplétif du 8 juillet 2016. L'intéressée s'est d'ailleurs vu délivrer le 6 novembre 2017 un passeport biométrique, dont elle avait fait la demande dès le 29 décembre 2016 et qui avalise lui-même la date de naissance du 4 avril 1998. Dans ces conditions, le préfet de la Haute-Garonne, qui s'est abstenu de consulter l'autorité étrangère compétente sur l'authenticité des actes présentés, ne peut être regardé comme renversant la présomption d'exactitude des mentions figurant dans l'acte d'état civil du 2 août 2016. Ainsi que le soutient la requérante, il ne pouvait donc légalement rejeter sa demande de délivrance d'un titre de séjour présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers au motif déterminant du défaut de justification de sa minorité.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que Mme A...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 18 juillet 2017 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Eu égard au motif qui la fonde, l'annulation prononcée n'implique pas que le préfet de la Haute-Garonne délivre un titre de séjour à Mme A...mais seulement qu'il procède au réexamen de sa demande, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions présentées au titre du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me Soulas, avocat de MmeA..., au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1703925 du 29 décembre 2017 du tribunal administratif de Toulouse et l'arrêté du 18 juillet 2017 du préfet de la Haute-Garonne sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne de réexaminer la demande de titre de séjour de Mme A...dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Soulas, avocat de MmeA..., la somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...A...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 9 mai 2018 à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller,
Lu en audience publique le 7 juin 2018.
Le rapporteur,
Laurent POUGET Le président,
Aymard de MALAFOSSE Le greffier,
Christophe PELLETIER La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX00449