Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 février 2018, M.D..., représenté par la société d'avocats Pielberg-B..., demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du président du tribunal administratif de Poitiers du 7 février 2018 ;
2°) d'annuler ledit arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Charente-Maritime de lui délivrer une carte de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête devant le tribunal était recevable ; le délai de recours contentieux a en effet été interrompu par sa demande d'aide juridictionnelle ;
- l'arrêté est entaché d'incompétence de son signataire ;
- le refus de renouvellement de son titre de séjour a été pris en méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-11 6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à la faveur d'une erreur de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation ; le préfet s'est fondé uniquement sur les déclarations de la mère de son enfant, malgré le caractère conflictuel des relations qu'il entretient avec cette dernière depuis leur séparation ; la mère de l'enfant a fait obstruction à son droit de voir son fils ; leurs relations se sont apaisées depuis le jugement du 18 septembre 2017 par lequel le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de La Rochelle lui a accordé un droit de visite et a fixé le montant de la pension alimentaire ;
- sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;
- le refus de séjour est contraire à l'intérêt supérieur de son fils et méconnaît ainsi les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- les décisions l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi sont dépourvues de base légale ;
- la mesure d'éloignement a été prise en violation des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la mesure d'éloignement a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; il est en couple avec une ressortissante française, et cette dernière attend un enfant.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 mars 2018, le préfet de la Charente-Maritime conclut au rejet de la requête.
Il soutient que la demande de première instance du requérant était tardive et qu'aucun des moyens invoqués par l'intéressé n'est fondé.
Par une ordonnance du 1er mars 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 13 avril 2018 à 12 heures.
Un mémoire présenté pour M. D...a été enregistré le 4 mai 2018.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- et les observations de MeB..., représentant M.D....
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., ressortissant égyptien né le 20 décembre 1987, est entré irrégulièrement en France au cours de l'année 2007 selon ses déclarations. Il a bénéficié à compter du 10 juin 2013 de titres de séjour en qualité de parent d'enfant français sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-11 6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il a sollicité le 3 octobre 2016 le renouvellement du titre dont il était titulaire, dont la validité expirait le 10 septembre 2016. Par un arrêté du 24 octobre 2016, le préfet de la Charente-Maritime a refusé de lui accorder ce renouvellement en lui opposant son absence de contribution à l'éducation et à l'entretien de son enfant, a refusé de lui accorder un titre de séjour sur un autre fondement, a assorti le refus de séjour d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par une ordonnance n° 1800167 du 7 février 2018, le président du tribunal administratif de Poitiers, faisant usage des pouvoirs qu'il tient de l'article R. 222-1 4° du code de justice administrative, a rejeté la demande de M. D...tendant à l'annulation dudit arrêté et à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Charente-Maritime de lui délivrer un titre de séjour. M. D...relève appel de cette ordonnance.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif (...) peuvent, par ordonnance (...) : 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens. ".
3. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré (...) ". Aux termes de l'article L. 512-1 du même code : " I. -L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sur le fondement des 3°, 5°, 7° ou 8° du I de l'article L. 511-1 ou sur le fondement de l'article L. 511-3-1 et qui dispose du délai de départ volontaire mentionné au premier alinéa du II de l'article L. 511-1 ou au sixième alinéa de l'article L. 511-3-1 peut, dans le délai de trente jours suivant sa notification, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français ou d'interdiction de circulation sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant. L'étranger peut demander le bénéfice de l'aide juridictionnelle au plus tard lors de l'introduction de sa requête en annulation. Le tribunal administratif statue dans un délai de trois mois à compter de sa saisine (...) ".
4. Aux termes de l'article R. 776-2 du code de justice administrative : " I. - Conformément aux dispositions du I de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la notification d'une obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire, prise en application des 3°, 5°, 7° ou 8° du I de l'article L. 511-1 ou de l'article L. 511-3-1 du même code, fait courir un délai de trente jours pour contester cette obligation ainsi que les décisions relatives au séjour, au délai de départ volontaire, au pays de renvoi et à l'interdiction de retour ou à l'interdiction de circulation notifiées simultanément. ". L'article R. 776-5 du même code dispose : " I. - Le délai de recours contentieux de trente jours mentionné à l'article R. 776-2 n'est pas prorogé par l'exercice d'un recours administratif. II. - Les délais de quarante-huit heures mentionnés aux articles R. 776-2 et R.776-4 et les délais de quinze jours mentionnés aux articles R. 776-2 et R.776-3 ne sont susceptibles d'aucune prorogation. ".
5. Aux termes de l'article 38 du décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Lorsqu'une action en justice ou un recours doit être intenté avant l'expiration d'un délai devant les juridictions de première instance ou d'appel, l'action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter : a) De la notification de la décision d'admission provisoire ; b) De la notification de la décision constatant la caducité de la demande ; c) De la date à laquelle le demandeur à l'aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d'admission ou de rejet de sa demande en application du premier alinéa de l'article 56 et de l'article 160 ou, en cas de recours de ce demandeur, de la date à laquelle la décision relative à ce recours lui a été notifiée ; d) Ou, en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné (...) ". En vertu de l'article 56 de ce décret, le délai de recours contre une décision de refus d'aide juridictionnelle est de quinze jours à compter de la notification de la décision de refus à l'intéressé.
6. Il ressort des pièces du dossier que l'obligation de quitter le territoire français dont M. D... a fait l'objet a été prise sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 511-1 I 3° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a été assortie d'un délai de départ volontaire. L'intéressé disposait ainsi d'un délai de trente jours suivant la notification, intervenue le 3 novembre 2017, de l'arrêté en litige, pour présenter un recours contentieux contre cet arrêté en vertu des dispositions des articles L. 512-1 I dudit code et R. 776-2 du code de justice administrative. Ces dispositions ne prévoyant pas la faculté pour l'étranger de demander au président du tribunal la désignation d'office d'un avocat, l'introduction par M. D...d'une demande d'aide juridictionnelle, présentée le 27 novembre 2017 soit avant l'expiration du délai de recours contentieux, a eu pour effet de proroger le délai de recours en application des dispositions précitées de l'article 38 du décret du 19 décembre 1991. Ce délai a recommencé à courir le jour où la décision de refus d'aide juridictionnelle qui lui a été opposée le 1er décembre 2017 est devenue définitive, soit 15 jours après sa notification, intervenue le 21 décembre 2017. Par suite, la requête enregistrée devant le tribunal administratif de Poitiers le 22 janvier 2018 n'était pas tardive.
7. En l'absence d'expiration du délai de recours, le président du tribunal administratif de Poitiers ne pouvait user des pouvoirs que lui confère le 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative pour rejeter comme manifestement irrecevable la demande de M.D.... Ce dernier est donc fondé à demander l'annulation de cette ordonnance. Il convient de statuer, par voie d'évocation, sur la demande présentée par M. D...devant le tribunal administratif.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
8. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces dernières stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
9. Il ressort des pièces du dossier que M. D...s'est vu délivrer des titres de séjour, valables du 10 juin 2013 au 10 septembre 2016, en sa qualité de père d'un enfant français, A..., né le 4 octobre 2012. Le requérant et la mère de l'enfant, de nationalité française, se sont séparés en novembre 2015. Si les pièces versées au dossier ne permettent pas d'établir la réalité d'une participation financière régulière du requérant à l'entretien de son fils, il ressort cependant de plusieurs attestations, émanant notamment de la mère de l'enfant, ainsi que des clichés photographiques produits par M. D...que ce dernier a conservé des liens réguliers avec son fils, malgré des rapports particulièrement conflictuels avec la mère de celui-ci. En outre, par un jugement du 18 septembre 2017, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de La Rochelle, prenant acte de l'apaisement des relations entre les parents du jeuneA..., a fixé à 150 euros le montant de la pension alimentaire mise à la charge de M.D..., ordonné une enquête sociale et, dans l'attente du dépôt du rapport d'enquête, octroyé un droit de visite à M. D... à raison d'un week-end sur deux et de trois jours durant les vacances scolaires. Le rapport d'enquête sociale établi suite à ce jugement indique que M. D...s'occupe de son fils et que l'enfant dispose d'une chambre chez son père. Enfin, il ressort de l'attestation de la mère de l'enfant du 16 décembre 2017 que le jeune A...a " un lien très fort avec son père ". Dans ces conditions, les décisions refusant de délivrer un titre de séjour à M. D...et lui faisant obligation de quitter le territoire français avaient pour conséquence, à la date de leur édiction, de séparer de l'un de ses parents le jeuneA..., âgé de seulement cinq ans. Ces décisions ont ainsi porté atteinte à l'intérêt supérieur de cet enfant. Par suite, les décisions attaquées ont été édictées en méconnaissance des stipulations précitées de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. La décision fixant le pays de renvoi est, par conséquent, privée de base légale.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. D...est fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 24 octobre 2017 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Compte tenu des motifs sur lesquels elle repose, l'annulation de l'arrêté contesté implique nécessairement que soit délivrée une carte de séjour mention " vie privée et familiale " à M.D.... Il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Charente-Maritime de lui délivrer ce titre dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. D...et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 1800167 du 7 février 2018 du président du tribunal administratif de Poitiers et l'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 24 octobre 2017 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Charente-Maritime de délivrer une carte de séjour mention " vie privée et familiale " à M. D...dans un délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. D...une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...D..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et au préfet de la Charente-Maritime.
Délibéré après l'audience du 9 mai 2018 à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 juin 2018.
Le rapporteur,
Marie-Pierre BEUVE DUPUYLe président,
Aymard de MALAFOSSELe greffier,
Christophe PELLETIER La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX00794