Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 novembre 2017, le préfet de la Haute-Vienne demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 2 novembre 2017.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré qu'il avait méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; les pathologies dont souffre le requérant peuvent être traitées en Géorgie, son pays d'origine.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 janvier 2018, M. B...conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- il remplit les conditions posées par le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et peut donc prétendre à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de ces dispositions ;
- le préfet, qui s'est cru tenu d'adopter l'obligation de quitter le territoire français en litige et de limiter à 30 jours le délai de départ volontaire, a ainsi méconnu l'étendue de sa compétence et commis une erreur de droit ;
- l'obligation de quitter le territoire français est par ailleurs entachée d'erreur manifeste d'appréciation et méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par ordonnance du 9 janvier 2018, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 24 janvier 2018 à 12 heures.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du tribunal de grande instance de Bordeaux du 25 janvier 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Sylvie Cherrier,
- et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., ressortissant géorgien né le 11 novembre 1972, déclare être entré irrégulièrement en France le 13 mars 2013. Il a déposé une demande d'asile qui a été rejetée le 30 septembre 2014 par une décision du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides. Il a par la suite été admis au séjour en qualité d'étranger malade. Son titre de séjour expirant le 23 février 2017, il a formé une demande de renouvellement le 10 novembre 2016. Par un arrêté du 15 juin 2017, le préfet de la Haute-Vienne a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le préfet de la Haute-Vienne relève appel du jugement du 2 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Limoges a fait droit à la demande de l'intéressé dirigée contre cet arrêté.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Limoges :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. (...) ".
3. Il appartient au juge administratif d'apprécier, au vu des pièces du dossier, si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle.
4. La partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. B... souffre de troubles amnésiques importants à la suite d'un traumatisme crânien, d'un syndrome dépressif, de stress post-traumatique et qu'il a été traité pour une hépatite C à Limoges, avec nécessité d'un suivi à vie. Il souffre également d'une gonarthrose secondaire consécutive à une fracture du membre inferieur droit, causée par un accident de voiture survenu en 2000.
6. Dans son avis du 8 décembre 2016, le médecin de l'agence régionale de santé a estimé que l'état de santé de l'intéressé nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il n'existait pas de traitement approprié en Géorgie, les soins devant, en l'état actuel, être poursuivis pendant six mois. Le préfet de la Haute-Vienne, qui n'était pas lié par cet avis, a estimé, compte tenu des informations dont il disposait, que le traitement approprié à l'état de santé de M. B... était en réalité disponible en Géorgie et a, en conséquence, refusé de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. Pour remettre en cause la présomption d'indisponibilité des soins en Géorgie résultant de l'avis du médecin de l'agence régionale de santé, le préfet de la Haute-Vienne a produit, en première instance, deux courriers datés du 13 juin 2013 et du 5 août 2013, rédigés par le médecin conseil de l'Ambassade de France en Géorgie, également chef de service de l'unité d'Urologie LTD à l' " Academician N. Kipshidze Central University Clinic " et professeur de la Chaire d'Urologie à l'Université Médicale de Tbilissi, et adressés au consul de France en Géorgie. Le premier de ces courriers indique que les soins pour les affections psychologiques existent en Géorgie et répondent aux standards internationaux définis par l'OMS, qu'ils sont dispensés dans différents établissements dont les noms et les lieux sont précisés et que, s'agissant des affections du type psychoses ou dépressions, ils sont généralement gratuits. Le second courrier précise par ailleurs que les hépatites de type A, B et C sont soignées en Géorgie conformément aux standards définis par l'OMS, et indique que ces pathologies sont traitées, soit à l'" Hôpital des maladies infectieuses ", situé au 16, rue Kazbegi à Tbilissi, soit par des médecins spécialisés en gastroentérologie exerçant dans le privé ou au sein d'établissements publics, soit, enfin, dans plusieurs établissements régionaux, notamment à Batumi, Kutaissi, Telavi, etc., les soins ambulatoires afférents à ce type d'infections étant intégralement à la charge de patients à l'exception des cas d'extrême urgence nécessitant une hospitalisation (pris en charge par l'Etat à 80 %) et des hospitalisations consécutives à une forme chronique de la maladie (remboursées à hauteur de 10 %).
8. Le préfet produit par ailleurs en appel un courrier du même médecin conseil de l'Ambassade de France en Géorgie, daté du 25 mars 2016, dans lequel celui-ci indique que les hépatites sont parfaitement soignées en Géorgie, que depuis le mois d'avril 2015, le gouvernement a lancé un programme de diagnostic et de traitement de l'hépatite C entièrement remboursés par l'Etat, ce programme d'une durée de cinq ans, concernant tous les citoyens géorgiens, que les transplantations hépatiques sont désormais pratiquées dans divers établissements dont les noms sont précisés, et que la surveillance biologique, le suivi des fibroses et de leur évolutivité, ainsi que le traitement antiviral des hépatites chroniques, comportant suivi du traitement, de sa tolérance et de son effectivité, sont proposés aux patients dans différents établissements, dont le nom et l'adresse sont précisés. Enfin, dans ce courrier, le médecin conseil énumère les différents médicaments utilisés en Géorgie pour le traitement des hépatites. Le préfet produit également en appel la fiche pays de la Géorgie issue de la base des données médicales européennes Medical Country of Origin Information (MedCOI) et mise à jour le 27 juin 2014, dont il ressort que la plupart des médicaments destinés à traiter les maladies mentales sont disponibles en Géorgie et peuvent être délivrés sur prescription médicale, leur coût étant cependant généralement à la charge du patient.
9. Ces documents, bien que rédigés, pour deux d'entre eux, quatre ans avant la date de l'arrêté en litige, établissent que l'organisation du système de santé géorgien permet de prendre en charge les pathologies mentales ainsi que les affections de type hépatiques, le requérant ne faisant état d'aucun élément de nature à établir que l'offre et la qualité des soins pour les pathologies dont il souffre auraient décliné ou régressé depuis le mois de juin 2013. Par ailleurs, et outre que M. B... ne donne aucune précision sur le ou les traitements qui lui ont été prescrits dans le cadre du syndrome dépressif et du syndrome de stress post-traumatique dont il souffre, il n'établit pas que l'hépatite C pour laquelle il a été traité à Limoges nécessiterait l'administration d'un traitement à vie qui ne serait pas au nombre de ceux qui, énumérés dans le courrier susmentionné du 25 mars 2016, seraient disponibles en Géorgie. Enfin, et pour ce qui concerne l'arthrose du genou dont il souffre, le seul certificat du 6 juin 2017 qui indique qu'une " viscosupplémentation est en cours de réalisation " ne permet pas d'établir que le défaut de prise en charge de cette arthrose serait de nature à entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que le traitement approprié n'existerait pas en Géorgie.
10. Dans ces conditions, le préfet doit être regardé comme apportant des éléments suffisants pour considérer que les structures permettant la prise en charge des pathologies dont souffre M. B... existent en Géorgie et que le ou les traitements médicamenteux dont il a besoin y sont également disponibles. Le préfet de la Haute-Vienne est par suite fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur l'absence de disponibilité des soins dans le pays d'origine pour annuler son arrêté du 15 juin 2017.
11. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Limoges.
Sur les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Limoges :
12. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à exciper, au soutien de sa demande tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire et fixation du pays de renvoi, de l'illégalité de la décision par laquelle le préfet lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour.
13. Il ne résulte pas des termes de l'arrêté en litige que le préfet se serait cru tenu d'adopter une obligation de quitter le territoire français à l'encontre de l'intéressé et aurait ainsi entaché sa décision d'une erreur de droit. S'agissant par ailleurs du délai de départ volontaire, M. B... n'a fait état d'aucun élément spécifique à sa situation personnelle qui aurait justifié qu'il soit supérieur à un mois.
14. L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2- Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.".
15. M. B... soutient qu'il vit en France depuis quatre ans, qu'il est suivi pour diverses pathologies graves, qu'il a subi un traumatisme crânien en Géorgie nécessitant un suivi psychiatrique, qu'il bénéfice du statut de travailleur handicapé ainsi que de l'allocation adulte handicapé et que son épouse est également suivie pour des pathologies graves nécessitant qu'elle soit soignée en France. Il est toutefois constant que M. B... a vécu jusqu'à l'âge de 42 ans dans son pays d'origine où il n'établit ni même n'allègue qu'il serait dépourvu d'attaches familiales et que son épouse a également fait l'objet d'un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français. Dans ces conditions, l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvois n'ont pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée eu égard aux buts en vue desquels elles ont été prises et n'ont ainsi pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs que ceux indiqués ci-dessus, elles ne sont pas davantage entachées d'une erreur manifeste dans l'appréciation de leurs conséquences sur sa situation personnelle.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Vienne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges, d'une part, a annulé son arrêté en date du 15 juin 2017 refusant à M. B... la délivrance d'un titre de séjour et l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours à destination de la Géorgie et, d'autre part, lui a enjoint de délivrer à M. B...une carte de séjour portant la mention "vie privée et familiale" dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Les conclusions présentées par ce dernier au titre du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent, par suite qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1700929 du 2 novembre 2017 du tribunal administratif de Limoges est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Limoges et les conclusions présentées par lui devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Vienne.
Délibéré après l'audience du 29 mars 2018 à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Sylvie Cherrier, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 26 avril 2018.
Le rapporteur,
Sylvie CHERRIER
Le président,
Aymard de MALAFOSSELe greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. Pour expédition certifiée conforme.
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N° 17BX03658