Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er décembre 2017, le préfet de la Haute-Vienne demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 2 novembre 2017.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré qu'il avait méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; les pathologies dont souffre la requérante peuvent être traitées en Géorgie, son pays d'origine.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 janvier 2018, Mme B... conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- elle remplit les conditions posées par le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et peut donc prétendre à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de ces dispositions ;
- le préfet, qui s'est cru tenu d'adopter l'obligation de quitter le territoire français en litige et de limiter à 30 jours le délai de départ volontaire, a ainsi méconnu l'étendue de sa compétence et commis une erreur de droit ;
- l'obligation de quitter le territoire français est par ailleurs entachée d'erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par ordonnance du 15 décembre 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 24 janvier 2018 à 12 heures.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du tribunal de grande instance de Bordeaux du 15 février 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Sylvie Cherrier,
- et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante géorgienne né le 2 juillet 1984, déclare être entrée irrégulièrement en France le 2 août 2014. Elle a déposé une demande d'asile qui a été rejetée le 11 décembre 2014 par une décision du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, confirmée le 23 octobre 2015 par la Cour nationale du droit d'asile. Elle a par la suite été admise au séjour en qualité d'étranger malade. Son titre de séjour expirant le 12 janvier 2017, elle a déposé une demande de renouvellement le 10 novembre 2016. Par un arrêté du 15 juin 2017, le préfet de la Haute-Vienne a rejeté sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le préfet de la Haute-Vienne relève appel du jugement du 2 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Limoges a fait droit à la demande de l'intéressée dirigée contre cet arrêté.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Limoges :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. (...) ".
3. Il appartient au juge administratif d'apprécier, au vu des pièces du dossier, si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle.
4. La partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... souffre de troubles anxieux et dépressifs, associés à des troubles du sommeil invalidants, en lien avec l'ecchiniccocose pulmonaire et hépatique dont elle souffre, et qu'elle doit à ce titre être suivie au plan psychiatrique, au moyen de consultations et de la prise d'antidépresseurs et d'anxiolytiques. Il ressort des mêmes pièces qu'elle est suivie pour une ecchiniccocose pulmonaire et hépatique découverte en 2005 en Géorgie et pour laquelle elle a fait une rechute en 2012-2013.
6. Dans son avis du 15 décembre 2016, le médecin de l'agence régionale de santé a estimé que l'état de santé de l'intéressée nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il n'existait pas de traitement approprié en Géorgie, les soins devant, en l'état actuel, être poursuivis pendant six mois. Le préfet de la Haute-Vienne, qui n'était pas lié par cet avis, a estimé, compte tenu des informations dont il disposait, que le traitement approprié à l'état de santé de Mme B... était en réalité disponible en Géorgie et a, en conséquence, refusé de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. Pour remettre en cause la présomption d'indisponibilité des soins en Géorgie résultant de l'avis du médecin de l'agence régionale de santé, le préfet de la Haute-Vienne produit un courrier du 13 juin 2013 rédigé par le médecin conseil de l'Ambassade de France en Géorgie, également chef de service de l'unité d'Urologie LTD à l' " Academician N. Kipshidze Central University Clinic " et professeur de la Chaire d'Urologie à l'Université Médicale de Tbilissi, et adressés au consul de France en Géorgie, qui indique que les soins pour les affections psychologiques existent en Géorgie et répondent aux standards internationaux définis par l'OMS, qu'ils sont dispensés dans différents établissements dont les noms et les lieux sont précisés et que, s'agissant des affections du type psychoses ou dépressions, ils sont généralement gratuits. Ce courrier, bien que rédigé quatre ans avant la date de l'arrêté en litige, établit que l'organisation du système de santé géorgien permet de prendre en charge les pathologies mentales, la requérante ne faisant état d'aucun élément de nature à établir que l'offre et la qualité des soins pour ce type de pathologies auraient décliné ou régressé depuis le mois de juin 2013. Par ailleurs, et outre que Mme B... ne donne aucune précision sur le ou les traitements qui lui ont, le cas échéant, été prescrits en France dans le cadre de l'ecchiniccocose pulmonaire et hépatique dont elle souffre, s'il ressort des pièces du dossier que cette pathologie, découverte en 2005 en Géorgie et pour laquelle elle a fait une rechute dans ce pays en 2012-2013, nécessite une surveillance étroite, il ne ressort pas des mêmes pièces que cette surveillance, qui a été effectuée en Géorgie jusqu'en août 2014, ne pourrait continuer de l'être dans ce pays, ou qu'elle devrait désormais s'accompagner d'un traitement ou de mesures spécifiques, non disponibles en Géorgie.
8. Dans ces conditions, le préfet doit être regardé comme apportant des éléments suffisants pour considérer que les structures permettant la prise en charge des pathologies dont souffre Mme B... existent en Géorgie et que le suivi et les traitements médicamenteux dont elle a besoin y sont également disponibles. Le préfet de la Haute-Vienne est par suite fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur l'absence de disponibilité des soins dans le pays d'origine pour annuler son arrêté du 15 juin 2017.
9. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... devant le tribunal administratif de Limoges.
Sur les autres moyens soulevés par Mme B... devant le tribunal administratif de Limoges :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français dans le délai d'un mois et la décision fixant le pays de renvoi :
10. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondé à exciper, au soutien de sa demande tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire et fixation du pays de renvoi, de l'illégalité de la décision par laquelle le préfet lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour.
11. Il ne résulte par ailleurs pas des termes de l'arrêté en litige que le préfet se serait cru tenu d'adopter une obligation de quitter le territoire français à l'encontre de l'intéressée et aurait ainsi entaché sa décision d'une erreur de droit. S'agissant par ailleurs du délai de départ volontaire, Mme B... n'a fait état d'aucun élément spécifique à sa situation personnelle qui aurait justifié qu'il soit supérieur à un mois.
12. Enfin, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1 - Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2- Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.".
13. Mme B... soutient qu'elle vit en France depuis trois ans, qu'elle y est suivie pour diverses pathologies graves, que son époux est également suivi pour des pathologies graves nécessitant qu'il soit soigné en France et qu'il bénéfice du statut de travailleur handicapé ainsi que de l'allocation adulte handicapé. Il est toutefois constant que Mme B... a vécu jusqu'à l'âge de 30 ans dans son pays d'origine où elle n'établit ni même n'allègue qu'elle serait dépourvue d'attaches familiales, et que son époux a également fait l'objet d'un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français. Dans ces conditions, l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvoi n'ont pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée eu égard aux buts en vue desquels elles ont été prises et n'ont ainsi pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, elles ne sont pas davantage entachées d'une erreur manifeste dans l'appréciation de leurs conséquences sur sa situation personnelle.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Vienne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges, d'une part a annulé son arrêté en date du 15 juin 2017 refusant à Mme B... la délivrance d'un titre de séjour et l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours à destination de la Géorgie et, d'autre part, lui a enjoint de délivrer à Mme B... une carte de séjour portant la mention "vie privée et familiale" dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1700930 du 2 novembre 2017 du tribunal administratif de Limoges est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par Mme B... devant le tribunal administratif de Limoges et les conclusions présentées par elle devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B...épouse A...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Vienne.
Délibéré après l'audience du 29 mars 2018 à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Sylvie Cherrier, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 26 avril 2018.
Le rapporteur,
Sylvie CHERRIER
Le président,
Aymard de MALAFOSSELe greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX03752