Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 février 2016, la préfète du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Rouen du 28 janvier 2016 ;
2°) de rejeter la demande de première instance tendant à l'annulation des décisions du 26 novembre 2015 fixant le pays de destination et prononçant la rétention administrative de M. E....
Elle soutient que :
- M. E...n'établit pas être exposé à des risques en cas de retour dans son pays d'origine ;
- les diligences nécessaires à l'éloignement de l'intéressé ont été effectuées.
La requête a été communiquée à M.E..., pour qui il n'a été pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Laurent Domingo, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant qu'à la suite de son interpellation le 26 novembre 2015 par les services de la police nationale dans la zone portuaire de Calais, M.E..., de nationalité afghane, a fait l'objet d'un arrêté de la préfète du Pas-de-Calais pris le même jour lui faisant obligation de quitter sans délai le territoire français, fixant le pays de destination et ordonnant son placement en rétention administrative ; que la préfète du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 28 janvier 2016 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté en tant, d'une part, qu'il fixe l'Afghanistan comme pays de destination et, d'autre part, qu'il prononce la rétention administrative de l'intéressé ;
Sur le pays de destination :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 " ; que selon les termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; que la Cour européenne des droits de l'Homme a rappelé qu'il appartenait en principe au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments (28 février 2008, Saadi c. Italie, n° 37201/06, paragraphes 129-131 et 15 janvier 2015, AA. C. France, n° 18039/11) ;
3. Considérant que si M. E...fait valoir qu'il a fait l'objet de menaces de la part de talibans du fait des activités de chauffeur de camion qu'il aurait exercées dans le courant de l'année 2012 au profit des troupes américaines, il ressort toutefois des pièces du dossier, notamment des déclarations spontanées faites par l'intéressé lors de son audition par les services de police, d'une part, qu'il n'a exercé aucune profession, n'étant au demeurant âgé que de seize ans à l'époque des événements dont il se prévaut, d'autre part, qu'il n'a fait état d'aucune crainte en cas de retour dans son pays d'origine alors qu'il lui en avait été laissé la faculté ; qu'en outre si l'intéressé fait valoir qu'il était originaire du district d'Hiserak, qui constitue effectivement une des 22 subdivisions de la province de Nangarhar dont la situation sécuritaire est fortement dégradée, il avait toutefois indiqué lors de ses premières déclarations et dans ses premières écritures devant les premiers juges qu'il était né à Jalalabad, capitale de cette province ; que contrairement à ce que prétend l'intéressé, le district dont il se dit originaire, qui est limitrophe de la province de Kaboul, ne se situe pas à proximité de Jalalabad dont il est séparé par les districts de Sherzad et Surkhrod ; qu'enfin l'intéressé a été entendu en langue farsi qui n'est pas la langue habituellement pratiquée dans le district en cause voire même la province de Nangarhar dans laquelle résident presque exclusivement des habitants d'origine pashtoune ; que dans ces conditions, M.E..., dont les déclarations sont approximatives, peu crédibles et divergentes, n'établit pas qu'il serait effectivement originaire de la province précitée dans laquelle le degré de violence généralisée est tel qu'un civil renvoyé dans la région concernée encourrait un risque réel de subir une menace grave du seul fait de sa présence sur ce territoire ; que, par suite, la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a retenu, pour annuler la décision fixant le pays de destination, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
4. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E...devant le tribunal administratif de Rouen ;
5. Considérant que, par un arrêté n° 2015-10-54 du 16 février 2015, publié le même jour au recueil spécial n° 16 des actes administratifs de la préfecture du Pas-de-Calais, la préfète du Pas-de-Calais a donné délégation à M. D...B..., chef de la section éloignement, à l'effet de signer, notamment, les décisions relatives aux obligations de quitter le territoire français avec ou sans délai de départ volontaire, les arrêtés fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement et les décisions de placement en rétention administrative ; que, dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision doit être écarté ;
6. Considérant que la décision fixant le pays à destination duquel l'intéressé est éloigné, qui vise les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et mentionne l'intégralité des quatre premiers alinéas de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, comporte ainsi les considérations de droit qui en constituent le fondement ; qu'elle indique que l'intéressé n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine ; qu'elle comporte ainsi, également, les considérations de fait qui en constituent le fondement ; que cette décision est, par suite, suffisamment motivée ;
7. Considérant que, si l'intéressé se prévaut de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français dont il a fait l'objet à l'encontre de la décision fixant le pays à destination duquel il sera éloigné, ce moyen ne peut qu'être écarté dès lors que le tribunal administratif de Rouen, dont il y a lieu d'adopter les motifs, a rejeté à bon droit ses conclusions tendant à l'annulation de la mesure d'éloignement ;
Sur la rétention administrative :
8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration doit exercer toute diligence à cet effet " ;
9. Considérant qu'il ressort des pièces versées en cause d'appel par la préfète du Pas-de-Calais que l'autorité administrative a accompli le 26 novembre 2015 plusieurs diligences auprès des autorités consulaires afghanes afin de procéder à l'éloignement de l'intéressé ; que, par suite, c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a retenu le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 8, pour annuler la mesure de rétention administrative dont l'étranger faisait l'objet ;
10. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E...devant le tribunal administratif de Rouen ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 5 que le moyen tiré de l'incompétence du signataire du placement en rétention administrative manque en fait et doit être écarté ; qu'il en est de même de celui tiré de l'insuffisante motivation de cette décision qui comporte les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 7 que M. E...n'est pas fondé à soutenir que la décision de placement en rétention administrative dont il est l'objet, serait dépourvue de base légale ;
13. Considérant qu'en vertu de la directive du 16 décembre 2008, le placement en rétention n'est possible que si l'assignation à résidence n'est pas suffisante pour éviter le risque que l'étranger ne se soustraie à l'obligation de quitter le territoire dont il fait l'objet ; que, toutefois, il résulte des termes mêmes de la directive que, d'une part, le placement en rétention peut trouver à s'appliquer notamment s'il existe un risque de fuite ou si l'étranger empêche la réalisation de la mesure d'éloignement et que, d'autre part, l'assignation à résidence ne doit être privilégiée que dans des cas particuliers et à condition que cette mesure puisse être appliquée efficacement ; qu'il résulte du II de l'article L. 511-1 et de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la rétention administrative de l'étranger ayant fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français n'est possible que s'il s'est soustrait à cette obligation ou s'il existe des éléments objectifs qui, sauf circonstances particulières, permettent à l'autorité administrative de regarder comme établi le risque qu'il s'y soustraie ; que les cas particuliers justifiant que soit prononcé un placement en rétention administrative prévus à l'article 15 de la directive précitée sont définis à l'article L. 561-2 de code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'en outre, l'autorité administrative est tenue d'effectuer, sous le contrôle du juge, un examen de la situation de chaque étranger afin notamment d'examiner si les conditions légales permettant le placement en rétention sont réunies et si l'étranger bénéficie de garanties de représentation effectives ; qu'il en résulte que les dispositions de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne sont pas incompatibles avec les objectifs de l'article 15 de la directive du 16 décembre 2008 et ne méconnaissent pas l'exigence de proportionnalité rappelée par le 4 de l'article 8 de cette directive ainsi que son seizième considérant ; que le moyen tiré de telles incompatibilités doit, par suite, être écarté ;
14. Considérant qu'aux termes de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales (...) / " ; que les dispositions des articles L. 551-1, L. 561-1 et L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile définissent de façon suffisamment précise les cas dans lesquels un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement et qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être, soit placé en rétention, soit assigné à résidence par l'autorité administrative ; que, contrairement à ce que soutient M.E..., ces dispositions n'ont pas pour objet, et ne sauraient avoir pour effet, d'instaurer un placement automatique en rétention administrative ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée a été prise sur le fondement de dispositions législatives méconnaissant les stipulations du paragraphe 1 de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
15. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A moins qu'il ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de cinq jours, lorsque cet étranger : / (...) / 6° Fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 561-2 du même code : " Dans les cas prévus à l'article L. 551-1, l'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger pour lequel l'exécution de l'obligation de quitter le territoire demeure une perspective raisonnable et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque, mentionné au II de l'article L. 511-1, qu'il se soustraie à cette obligation (...) " ;
16. Considérant qu'il est constant que M. E...a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français le 26 novembre 2015 ; que, l'intéressé n'ayant par ailleurs présenté aucun document d'identité ou de voyage valide, ni d'adresse stable ou toute pièce justifiant l'existence d'un domicile, il doit être regardé comme ne présentant pas les garanties de représentation propres à prévenir un risque de fuite ; que, par suite, c'est sans erreur d'appréciation que la préfète du Pas-de-Calais a prononcé à son encontre une décision le plaçant en rétention administrative ;
17. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé sa décision fixant le pays de destination et celle prononçant le placement de M. E... en rétention administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Rouen du 28 janvier 2016 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. E...devant le tribunal administratif de Rouen tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination et celle prononçant son placement en rétention administrative est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A...E....
Copie en sera transmise pour information à la préfète du Pas-de-Calais.
Délibéré après l'audience publique du 5 juillet 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Michel Hoffmann, président de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- M. Laurent Domingo, premier conseiller.
Lu en audience publique le 19 juillet 2016.
Le rapporteur,
Signé : L. DOMINGOLe président de chambre,
Signé : M. C...
Le greffier,
Signé : M.T. LEVEQUE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Marie-Thérèse Lévèque
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N°16DA00327