Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 février 2016, la préfète du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Lille du 25 janvier 2016 ;
2°) de rejeter la demande de première instance tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination et de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.
Elle soutient que :
- M. C...A...n'établit pas être exposé à des risques en cas de retour dans son pays d'origine ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français est justifiée.
La requête a été communiquée à M. C...A..., pour qui il n'a pas été produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Laurent Domingo, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant qu'à la suite de son interpellation le 20 octobre 2015 dans la zone d'accès restreint du port de Calais par les services de la police nationale, M.A..., de nationalité soudanaise, a fait l'objet d'un arrêté de la préfète du Pas-de-Calais pris le même jour lui faisant obligation de quitter sans délai le territoire français, fixant le pays de destination et ordonnant son placement en rétention administrative ; que la préfète du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 25 janvier 2016 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe le Soudan comme pays de destination et interdit à l'intéressé de retourner sur le territoire français pendant une durée d'un an ;
Sur le pays de renvoi :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; que la Cour européenne des droits de l'Homme a rappelé qu'il appartenait en principe au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments (28 février 2008, Saadi c. Italie, n° 37201/06, paragraphes 129-131 et 15 janvier 2015, AA. C. France, n° 18039/11) ;
3. Considérant que si M.A..., qui se déclare être né au Darfour, se prévaut, en termes généraux, des risques qu'il encourrait en cas de retour au Soudan, les déclarations lacunaires et succinctes qu'il a faites lors de son audition par les services de police au cours de laquelle il est demeuré mutique sur son lieu de naissance et n'a donné aucune indication sur son lieu de résidence habituelle au Soudan, ne permettent pas de justifier de la provenance provinciale dont il se prévaut ni même de son appartenance à l'ethnie Berti ; qu'en tout état de cause, à supposer même que l'appartenance ethnique de l'intéressé soit avérée, les sources pertinentes récentes, telles que le rapport " Forgotten Darfur : Old Tactics and New Players " publié par Small Arms Survey en juillet 2012, le " rapport Unter Feinden : intrakommunale Gewalt in Darfur " publié par German Institute of Global and Area Studies (GIGA) en 2013, les rapports du Secrétaire général des Nations Unies sur l'Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour n° S/2013/22 et n° S/2014/279 des 15 janvier 2013 et 15 avril 2014, le document " Darfur - COI Compilation " publié par Austrian Centre for Country of Origin and Asylum Research and Documentation (ACCORD) en juillet 2014 et des rapports " Sudan's Spreading Conflict (III) : The Limits of Darfur's Peace Process. Africa Report n° 211 " et " The Chaos in Darfur " de l'International Crisis Group (ICG) des 27 janvier 2014 et 22 avril 2015, témoignent d'une évolution de la situation et des alliances au Darfour depuis 2010 et du ralliement au Gouvernement soudanais de membres de certaines ethnies non arabes, parmi lesquelles sont citées les Berti, ethnie à laquelle déclare appartenir l'intéressé ; que, dès lors, la seule appartenance à l'ethnie non arabe Berti ne suffit pas pour fonder des craintes personnelles de traitements inhumains et dégradants en cas de retour au Soudan ; que M. A... n'est ainsi pas fondé à soutenir qu'il serait exposé à une menace grave en cas de retour dans ce pays ; qu'ainsi, la préfète du Pas-de-Calais, qui n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a, par l'article 1er du jugement attaqué, prononcé l'annulation, au motif de la méconnaissance de ces stipulations, de la décision fixant le pays à destination duquel M. A...sera éloigné ;
4. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A...devant le tribunal administratif de Lille ;
5. Considérant que par un arrêté n° 2015-10-54 du 16 février 2015, publié le même jour au recueil spécial n° 16 des actes administratifs de la préfecture du Pas-de-Calais, la préfète du Pas-de-Calais a donné délégation à M. E...B..., chef de la section éloignement, à l'effet de signer, notamment, les décisions relatives aux obligations de quitter le territoire français avec ou sans délai de départ volontaire, les arrêtés fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement et les décisions de placement en rétention administrative ; que, dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision doit être écarté ;
6. Considérant que la décision fixant le pays à destination duquel M. A...est éloigné, qui vise les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et mentionne l'intégralité des quatre premiers alinéas de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, comporte ainsi les considérations de droit qui en constituent le fondement ; qu'elle indique que l'intéressé n'établit pas qu'il serait exposé personnellement et directement à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'elle comporte ainsi, également, les considérations de fait qui en constituent le fondement ; que cette décision est, par suite, suffisamment motivée ;
7. Considérant que, si M. A...se prévaut de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français dont il a fait l'objet à l'encontre de la décision fixant le pays à destination duquel il sera éloigné, ce moyen ne peut qu'être écarté dès lors que le tribunal administratif de Lille, dont il y a lieu d'adopter les motifs, a rejeté à bon droit ses conclusions tendant à l'annulation de la mesure d'éloignement ;
Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :
8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile: " (...) III. L'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. (...) Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger obligé de quitter le territoire français, l'autorité administrative peut prononcer l'interdiction de retour pour une durée maximale de trois ans à compter de sa notification. (...) L'interdiction de retour et sa durée sont décidées par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) " ;
9. Considérant qu'il est constant que si M. A...est entré irrégulièrement pour la première fois sur le territoire français pour se rendre en Angleterre, il n'a fait l'objet d'aucune précédente mesure d'éloignement ; que s'il a été interpellé dans la zone d'accès restreint du port de Calais, règlementairement limitée aux seules personnes habilitées ou détentrices d'un document valide pour rejoindre l'Angleterre, cette circonstance, à elle seule, ne caractérisait pas l'existence d'une menace pour l'ordre public au sens de l'article L. 511-1 du code précité ; qu'entré très récemment en France, M. A...n'avait aucune intention de s'y installer et n'y dispose d'aucune attache familiale ou personnelle ; que dans ces conditions, la préfète du Pas-de-Calais n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a annulé, comme entachée d'une erreur d'appréciation, la décision prononçant à l'encontre de M. A...une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 20 octobre 2015 en tant qu'il fixe le Soudan comme pays de destination ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement du 25 janvier 2016 du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il annule la décision du 20 octobre 2015 fixant le Soudan comme pays de destination de l'éloignement de M.A....
Article 2 : La demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Lille tendant à l'annulation de la décision du 20 octobre 2015 de la préfète du Pas-de-Calais fixant le pays à destination duquel il sera éloigné est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la préfète du Pas-de-Calais est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C... A....
Copie sera adressée à la préfète du Pas-de-Calais.
Délibéré après l'audience publique du 5 juillet 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Michel Hoffmann, président de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- M. Laurent Domingo, premier conseiller.
Lu en audience publique le 19 juillet 2016.
Le rapporteur,
Signé : L. DOMINGOLe président de chambre,
Signé : M. D...
Le greffier,
Signé : M.T. LEVEQUE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Marie-Thérèse Lévèque
''
''
''
''
5
N°16DA00351