Par une requête, enregistrée le 26 novembre 2015, MmeB..., représentée par Me D...C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 29 septembre 2015 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 1er mars 2015 du préfet du Nord ;
3°) d'enjoindre au préfet du Nord de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et, dans l'attente, de lui délivrer un récépissé l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son avocat de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté attaqué n'est pas suffisamment motivé ;
- l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne n'a pas été respecté, non plus que son droit à être entendue ;
- elle séjourne sur le territoire français depuis moins de trois mois, l'administration n'apportant pas la preuve contraire de nature à établir qu'elle aurait enfreint l'article L. 121-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet du Nord a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle en estimant qu'elle se maintient sur le territoire français depuis plus de trois mois et constitue une charge pour le système d'assistance sociale français ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle n'a pas eu un recours effectif au système d'assistance sociale et d'assurance maladie français ;
- l'arrêté attaqué méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- il en est de même des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée au préfet du Nord qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Mme B...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 octobre 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur l'Union européenne et le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le traité relatif à l'adhésion de la République de Bulgarie et de la République de Roumanie à l'Union européenne, signé à Luxembourg le 25 avril 2005 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. François Vinot, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Jean-Marc Guyau, rapporteur public.
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ou un membre de sa famille à quitter le territoire français lorsqu'elle constate : 1° Qu'il ne justifie plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 121-1, L. 121-3 ou L. 121-4-1 ; 2° Ou que son séjour est constitutif d'un abus de droit. Constitue un abus de droit le fait de renouveler des séjours de moins de trois mois dans le but de se maintenir sur le territoire alors que les conditions requises pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois ne sont pas remplies. Constitue également un abus de droit le séjour en France dans le but essentiel de bénéficier du système d'assistance sociale ; 3° Ou que, pendant la période de trois mois à compter de son entrée en France, son comportement personnel constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française. L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée du séjour de l'intéressé en France, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle en France, et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine. L'étranger dispose, pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d'un délai qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à trente jours à compter de sa notification. A titre exceptionnel, l'autorité administrative peut accorder un délai de départ volontaire supérieur à trente jours. L'obligation de quitter le territoire français fixe le pays à destination duquel il est renvoyé en cas d'exécution d'office. Les articles L. 512-1 à L. 512-4 sont applicables aux mesures prises en application du présent article. " ; qu'aux termes de l'article L. 121-1 du même code : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, tout citoyen de l'Union européenne, tout ressortissant d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse a le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'il satisfait à l'une des conditions suivantes : (...) 2° S'il dispose pour lui et pour les membres de sa famille tels que visés au 4° de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie (...) " ; que selon les termes des dispositions de l'article L. 121-4-1 du code précité : " Tant qu'ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale, les citoyens de l'Union européenne, les ressortissants d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ainsi que les membres de leur famille tels que définis aux 4° et 5° de l'article L. 121-1, ont le droit de séjourner en France pour une durée maximale de trois mois, sans autre condition ou formalité que celles prévues pour l'entrée sur le territoire français. " ;
2. Considérant, d'une part, qu'il incombe à l'administration, en cas de contestation sur la durée du séjour d'un citoyen de l'Union européenne dont elle a décidé l'éloignement, de faire valoir les éléments sur lesquels elle se fonde pour considérer qu'il ne remplit plus les conditions pour séjourner en France ; qu'il appartient à l'étranger qui demande l'annulation de cette décision d'apporter tout élément de nature à en contester le bien-fondé, selon les modalités habituelles de l'administration de la preuve ; que l'administration peut notamment s'appuyer sur les déclarations préalablement faites par l'intéressé ;
3. Considérant que, pour estimer que MmeB..., de nationalité roumaine, résidait en France depuis plus de trois mois, le préfet du Nord s'est fondé sur les déclarations qu'auraient recueillies les services préfectoraux lors de l'interpellation de l'intéressée ; que le représentant de l'Etat, alors que cette allégation est contestée par la requérante, n'a produit tant en première instance qu'en appel, aucune fiche d'entretien individuel ou aucun autre élément attestant qu'elle aurait déclaré être entrée en France depuis plus de trois mois ; qu'ainsi, le préfet du Nord n'établit pas que l'intéressée séjournait en France depuis plus de trois mois à la date de l'arrêté en litige ; qu'il ne pouvait dès lors légalement se fonder sur les dispositions précitées de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour prendre à l'encontre de la requérante une mesure d'obligation de quitter le territoire français ;
4. Considérant, d'autre part, que s'il résulte des termes de l'article L. 121-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que l'autorité administrative peut dénier le droit au séjour à des ressortissants communautaires présents depuis moins de trois mois sur le territoire français, il appartient toutefois à celle-ci d'établir que les intéressés sont devenus, pendant cette période, une charge déraisonnable pour le système d'assurance sociale en ayant effectivement recours à cette assistance ou en bénéficiant d'aides ou de prestations sociales dans des conditions telles que le droit au séjour puisse leur être refusé ;
5. Considérant que le préfet du Nord n'établit pas que l'intéressée aurait eu effectivement recours au système d'assurance sociale français, ni, à supposer que tel ait été le cas, que du fait de la durée, du montant ou de la nature de l'aide accordée, ce recours pouvait être regardé comme une charge déraisonnable au sens des dispositions de l'article L. 121-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par suite, il ne pouvait davantage se fonder sur lesdites dispositions pour procéder à l'éloignement de MmeB... ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B...est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
7. Considérant que l'exécution du présent arrêt implique que le préfet procède à un réexamen de la situation de Mme B...dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sans qu'il soit besoin de lui accorder une autorisation de travail et d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
8. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la requérante présentées sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
DÉCIDE:
Article 1er : Le jugement n° 1505489 du tribunal administratif de Lille du 29 septembre 2015 et l'arrêté du préfet du Nord du 1er mars 2015 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Nord de procéder à un nouvel examen de la situation de Mme B...dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...B..., au ministre de l'intérieur, au préfet du Nord et à Me D...C....
Délibéré après l'audience publique du 7 juin 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Michel Hoffmann, président de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- M. François Vinot, premier conseiller.
Lu en audience publique le 21 juin 2016.
Le rapporteur,
Signé : F. VINOTLe président de chambre,
Signé : M. E...
Le greffier,
Signé : M.T. LEVEQUE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Marie-Thérèse Lévèque
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N°15DA01867