Par une requête enregistrée le 16 décembre 2014, M. B..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 28 octobre 2014 ;
2°) d'annuler les décisions susmentionnées pour excès de pouvoir ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " et à défaut de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de travail et de lui notifier une nouvelle décision dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au profit de son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée.
Il soutient que :
- la décision du 10 février 2014 par laquelle le préfet de l'Isère a refusé son admission provisoire au séjour et a placé sa demande d'asile en procédure prioritaire est entachée d'illégalité dès lors qu'il n'est pas contesté qu'il n'a pas bénéficié de l'ensemble des informations sur les droits et obligations que tout demandeur d'asile doit recevoir dans une langue qu'il est supposé raisonnablement comprendre ; l'illégalité de la décision de refus d'admission provisoire au séjour aurait dû par voie de conséquence entrainer l'annulation du refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français qui l'ont suivie ; que le tribunal a omis de statuer sur les conséquences de la violation de l'obligation d'information sur la légalité des décisions subséquentes de refus de séjour et obligation de quitter le territoire français ;
- il appartient au juge dans tous les cas lorsque la mesure d'éloignement est prise alors que la demande d'asile est toujours en cours, d'apprécier si l'étranger rentre dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; en l'espèce, les premiers juges ont à tort considéré qu'il n'avait pas été placé en procédure prioritaire du seul fait de sa nationalité de ressortissant de pays sûr contrairement aux termes mêmes de la décision litigieuse ;
- en considérant que la motivation de la décision du pays de renvoi se confondait avec celle de l'obligation de quitter le territoire français, alors que ces deux décisions doivent être motivées spécifiquement sur la base de critères différents, les premiers juges ont entaché leur jugement d'illégalité ;
- la décision fixant le pays de destination viole les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales puisqu'en cas de retour en Serbie, il risque de subir des traitements inhumains et dégradants.
Par une ordonnance en date du 5 novembre 2015 la clôture d'instruction a été fixée au 23 novembre 2015, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 décembre 2014.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n°2725/2000 du Conseil du 11 décembre 2000 ;
- la directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relatives à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les Etats membres ;
- la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres ;
- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
- l'arrêt C 179/11 du 27 septembre 2012 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 5 novembre 2014, dans l'affaire C-166/13 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Terrade,
- et les conclusions de M. Besse, rapporteur public.
1. Considérant que M. A... B..., ressortissant serbe né le 24 décembre 1982, relève appel du jugement du 28 octobre 2014, par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du préfet de l'Isère du 10 février 2014 refusant de l'admettre provisoirement au séjour en qualité de demandeur d'asile et le plaçant ainsi en procédure prioritaire et, d'autre part, à l'annulation de l'arrêté du 30 juin 2014 de cette même autorité refusant de lui délivrer un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai de 30 jours et fixant le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office à l'expiration de ce délai ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
En ce qui concerne la décision du 10 février 2014 refusant l'admission provisoire au séjour :
2. Considérant qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 10 de la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié : " En ce qui concerne les procédures prévues au chapitre III, les Etats membres veillent à ce que tous les demandeurs d'asile bénéficient des garanties suivantes : / a) ils sont informés, dans une langue dont il est raisonnable de supposer qu'ils la comprennent, de la procédure à suivre et de leurs droits et obligations au cours de la procédure ainsi que des conséquences que pourrait avoir le non-respect de leurs obligations ou le refus de coopérer avec les autorités. Ils sont informés du calendrier, ainsi que des moyens dont ils disposent pour remplir leur obligation de présenter les éléments visés à l'article 4 de la directive 2004/83/CE. Ces informations leur sont communiquées à temps pour leur permettre d'exercer les droits garantis par la présente directive et de se conformer aux obligations décrites à l'article 11 ; (...) e) ils sont informés du résultat de la décision prise par l'autorité responsable de la détermination dans une langue dont il est raisonnable de supposer qu'ils la comprennent lorsqu'ils ne sont pas assistés ni représentés par un conseil juridique ou un autre conseiller et lorsqu'une assistance juridique gratuite n'est pas possible. Les informations communiquées indiquent les possibilités de recours contre une décision négative, conformément aux dispositions de l'article 9, paragraphe 2. " ; qu'après l'expiration des délais impartis pour transposer en droit interne des directives communautaires, tout justiciable peut se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive, lorsque l'Etat n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires ; qu'en application de l'article 43 de la directive 2005/85/CE, les dispositions de l'article 10 de cette directive devaient être transposées en droit français avant le 1er décembre 2007 ; qu'à la date du refus d'admission provisoire au séjour en qualité de demandeur d'asile en cause, le 14 juin 2011, les dispositions du a) du paragraphe 1 de l'article 10 de cette directive, qui sont précises et inconditionnelles, n'avaient pas été transposées de manière complète en droit français ;
3. Considérant qu'eu égard à l'objet et au contenu du document d'information, prévu par les stipulations précitées, sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, sur les organisations susceptibles de leur procurer une assistance juridique, de les aider ou de les informer, sur les conditions d'accueil qui peuvent leur être proposées, la remise de ce document doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile, ainsi que le prévoit l'article R. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, dans le respect notamment des délais prévus ; qu'ainsi l'obligation de remise à l'intéressé du document d'information prévu au dernier alinéa de l'article R. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est constitutive d'une garantie ; que par suite, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un tel moyen à l'appui de conclusions dirigées contre un refus d'admission provisoire au séjour au titre de l'asile, d'apprécier si l'intéressé a été, en l'espèce, privé de cette garantie ou, à défaut, si cette irrégularité a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. B..., entré irrégulièrement en France le 5 janvier 2014 selon ses déclarations, s'est présenté le 3 février 2014 en préfecture de l'Isère pour y solliciter son admission provisoire au séjour en vue de déposer une demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ; qu'il soutient que les informations prescrites par les dispositions précitées n'ont pas été portées à sa connaissance dans une langue qu'il était susceptible de comprendre et qu'ainsi il n'a pu bénéficier des garanties instituées par ces dispositions ; qu'en première instance, le préfet de l'Isère soutenait que l'intéressé s'était vu remettre un guide du demandeur d'asile lui indiquant ses droits et obligations ainsi que la procédure à suivre, sans toutefois ni établir, ni même alléguer que ce guide aurait été traduit en langue serbe, langue maternelle du requérant ; que la circonstance que la décision de refus d'admission provisoire au séjour litigieuse ait été traduite en serbe est sans incidence ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et n'est pas allégué que M. B... aurait été assisté d'un avocat ou qu'il aurait bénéficié du soutien d'une association ou d'une organisation susceptible de lui procurer une assistance juridique pour le dépôt de sa demande, ni qu'il aurait précédemment déposé une demande d'asile ; que la circonstance que l'intéressé a accompli, dans le délai, les formalités pour le dépôt de sa demande d'asile ne suffit pas à démontrer que celui-ci n'a pas été privé d'une garantie, alors que les informations prévues au paragraphe 1 de l'article 10 précité de la directive sont susceptibles d'influer sur le contenu de sa demande, et, par suite, sur ses chances de succès devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ; que, dans ces conditions, M. B...a été, en l'espèce, privé d'une garantie ; qu'il y a lieu d'annuler la décision du 10 février 2014 par laquelle le préfet de l'Isère a refusé de l'admettre provisoirement au séjour et a placé sa demande d'asile en procédure prioritaire ;
En ce qui concerne les décisions du 30 juin 2014 portant refus d'admission au séjour et obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et désignant le pays de destination :
5. Considérant qu'en raison des effets qui s'y attachent, l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, emporte, lorsque le juge est saisi de conclusions recevables, l'annulation par voie de conséquence des décisions administratives consécutives qui n'auraient pu légalement être prises en l'absence de l'acte annulé ou qui sont en l'espèce intervenues en raison de l'acte annulé ; qu'il en va ainsi, notamment, des décisions qui ont été prises en application de l'acte annulé et de celles dont l'acte annulé constitue la base légale ;
6. Considérant que seule l'intervention préalable d'un refus d'admission provisoire au séjour au titre de l'asile est de nature à conduire à la mise en oeuvre de la procédure prioritaire et à permettre au préfet de prendre les décisions refusant à un demandeur d'asile le séjour et obligeant l'intéressé à quitter le territoire français avant que la Cour nationale du droit d'asile, en cas de recours formé devant elle contre la décision négative de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, n'ait statué sur ce recours ; que de telles décisions du préfet ne peuvent ainsi légalement être prises en l'absence de décision initiale refusant l'admission provisoire au séjour ; qu'il incombe au juge de l'excès de pouvoir, saisi de conclusions recevables contre les décisions de refus de séjour et d'obligation de quitter le territoire français, de prononcer, en cas d'annulation du refus d'admission provisoire au séjour, l'annulation par voie de conséquence de ces décisions ; que, par suite, il y a lieu d'annuler par voie de conséquence de l'annulation du refus d'admission provisoire au séjour, les décisions du 30 juin 2014 par lesquelles le préfet de l'Isère a refusé de délivrer un titre de séjour à M. B..., l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours en fixant le pays de destination ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 10 février 2014 refusant de l'admettre provisoirement au séjour et plaçant sa demande d'asile en procédure prioritaire et, d'autre part, à l'annulation des décisions du 30 juin 2014 portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 513-4, L. 551-1, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. (...) " ;
9. Considérant qu'il y a lieu, en application de l'article L. 512-4 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'enjoindre au préfet de l'Isère de délivrer une autorisation provisoire de séjour à M. B... dans un délai d'un mois, et de procéder au réexamen de sa demande de titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser au conseil de M. B... au titre des frais exposés en cours d'instance et non compris dans les dépens, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridique ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du n° 1404221-1404222, en date du 28 octobre 2014 est annulé.
Article 2 : Les décisions du préfet de l'Isère du 10 février 2014 et du 30 juin 2014 sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Isère de délivrer une autorisation provisoire de séjour à M. B...dans un délai d'un mois et de procéder au réexamen de sa demande de titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à Me C... en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridique.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et au préfet de l'Isère. Copie du présent arrêt sera adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble.
Délibéré après l'audience du 24 mai 2016 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Mear, président-assesseur,
Mme Terrade, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 14 juin 2016.
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N° 14LY03860