Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 16 janvier 2018, M.C..., représenté par MeF..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 décembre 2017 du tribunal administratif de Lyon ;
2°) d'annuler les décisions du 15 décembre 2017 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement à son avocat d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination sont entachées d'incompétence ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision d'interdiction de retour sur le territoire français pendant 3 ans est illégale du fait de l'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'une erreur de droit dans l'application de l'article L. 511-1-III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 avril 2018, le préfet de l'Ardèche conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens présentés par le requérant ne sont pas fondés.
Par une décision du 27 février 2018, la caducité de la demande d'aide juridictionnelle de M.C... a été constatée.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de M. Alfonsi, rapporteur,
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant tunisien né le 29 septembre 1980, déclare être entré en France le 4 octobre 2006. Le 20 octobre 2016, lui a été notifiée une décision de reconduite à la frontière qui n'a pas été exécutée. A la suite de son interpellation alors qu'il était démuni de titre de séjour, le préfet de l'Ardèche a pris un arrêté du 15 décembre 2017 lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, désignant le pays de retour et portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de 3 ans. M.C... relève appel du jugement du 20 décembre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. Les décisions portant obligation de quitter le territoire et fixant la Tunisie comme pays de destination ont été signées par Mme B... D..., sous-préfète de Largentière, de permanence lors de la période du 15 décembre, 18 heures, au 18 décembre 2017. Mme D...a reçu délégation à cet effet par arrêté règlementaire du préfet de l'Ardèche du 11 décembre 2017, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du 12 décembre 2017. La production du planning de permanences est suffisante pour établir que Mme D...avait une délégation de compétence pour signer les décisions en litige, du 15 décembre 2018, notifiées le 16 décembre à 9h20, après l'audition de M.C... le 15 décembre 2018 à 21h20. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions en litige doit être écarté.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
4. Il est constant que M.C..., qui soutient résider en France depuis 2006 et avoir épousé une ressortissante française le 6 janvier 2018, n'a jamais sollicité la délivrance d'un titre de séjour. Il ne produit, pour justifier de la durée de sa résidence en France, aucune pièce pour 2006 et 2010 et, pour les autres années, notamment 2007, qu'un simple dossier d'inscription à une école ou, pour l'année 2013, que quatre pièces médicales et une facture qui sont insuffisants pour démontrer qu'il y aurait eu sa résidence habituelle durant ces périodes. L'attestation d'embauche qu'il produit est postérieure à la décision attaquée et il ne peut se prévaloir de son mariage avec une ressortissante française, une telle circonstance, également postérieure à cette décision, ne pouvant au demeurant, être établie par la production d'un simple faire part de mariage alors qu'il n'apporte par ailleurs aucun élément pour justifier la réalité et la durée de la vie commune antérieure au mariage. Il ne démontre pas davantage qu'il serait la seule personne à pouvoir apporter à son père, titulaire d'une carte de résident, l'aide dont ce dernier aurait besoin. Dans ces conditions, eu égard tant à la durée qu'aux conditions de son séjour en France, M. C... n'est pas fondé à soutenir que la décision qui l'oblige à quitter le territoire porte une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale ni, pour les mêmes raisons, que le préfet de l'Ardèche a entaché cette décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et familiale.
Sur l'interdiction de retour :
Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens :
5. aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable aux décisions prises à compter du 1er novembre 2016 : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III (...) [est décidée] par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français.(...) ".
6. Il n'est pas contesté que le père de M.C..., qui réside régulièrement en France sous couvert d'une carte de résident, âgé de 73 ans, a d'importants problèmes de santé. Eu égard à cette situation particulière, M. C...est fondé à soutenir que l'interdiction de retour d'une durée de trois ans prononcée à son encontre, qui aura pour effet de l'empêcher de venir visiter son père, est entachée d'erreur d'appréciation.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M.C... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.
Sur les frais liés au litige :
8.Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros à M. C...en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais exposés en cours d'instance et non compris dans les dépens .
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 20 décembre 2017 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. C...dirigées contre la décision du préfet de l'Ardèche lui faisant interdiction de retour sur le territoire pour une durée de trois ans.
Article 2 : La décision du 15 décembre 2017 par laquelle le préfet de l'Ardèche à interdit à M. C... de revenir sur le territoire français pendant une durée de trois ans est annulée.
Article 3 : L'Etat versera à M. C...la somme de 1 000 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M.A... C...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Ardèche.
Délibéré après l'audience du 18 décembre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Jean-François Alfonsi, président de chambre,
Mme G...E..., première conseillère,
Pierre Thierry, premier conseiller.
Lu en audience publique le 15 janvier 2019.
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N° 18LY00183