Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 juillet 2016 et le 8 décembre 2017, la SCI Laetitia, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 9 juin 2016 ;
2°) à titre principal, de condamner solidairement le département de la Haute-Corse et Me D...en sa qualité de liquidateur de la société Azur TP, successeur de la SARL Trojani, à lui payer la somme de 127 710 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 28 juillet 2010 ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement le département de la Haute-Corse et Me D...en sa qualité de liquidateur de la société Azur TP, à lui payer la somme de 35 640 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 28 juillet 2010 ;
4°) d'enjoindre au département de la Haute-Corse et à Me D...en sa qualité de liquidateur de la société Azur TP de verser ces sommes dans le délai d'un mois ;
5°) de mettre les dépens à la charge solidairement du département de la Haute-Corse et de Me D...en sa qualité de liquidateur de la société Azur TP ;
6°) de mettre à la charge solidairement du département de la Haute-Corse et de Me D...en sa qualité de liquidateur de la société Azur TP la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa créance n'est pas prescrite ;
- elle est victime d'un dommage de travaux publics dont elle est un collaborateur occasionnel et le département de la Haute-Corse, maître d'ouvrage des travaux, et la SARL Trojani, entrepreneur, sont responsables et doivent l'indemniser du préjudice qu'elle subit ;
- ils sont également responsables pour négligence fautive, les déblais sur le terrain dont elle est propriétaire n'ayant pas été enlevés malgré la fin des travaux publics ;
- à titre principal, le montant du préjudice qu'elle subit correspond au coût de l'évacuation et du déplacement de l'ensemble de ces déblais ;
- à titre subsidiaire, le montant du préjudice qu'elle subit correspond au coût de l'évacuation et du déplacement des déblais provenant du mur de soutènement de la route.
Par un mémoire, enregistré le 27 octobre 2017, la SMABTP, représentée par
Me F...-B..., indique qu'elle n'a pas d'observations à formuler et demande à la cour de mettre à la charge de la SCI Laetitia la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 novembre 2017, le département de la Haute-Corse, représenté par MeB..., conclut :
- à titre principal, au rejet de la requête ;
- à titre subsidiaire, à ce que sa condamnation soit limitée au coût de l'évacuation des seuls déblais provenant des travaux publics ;
- à ce que soit mise à la charge de la SCI Laetitia la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la SCI Laetitia ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de la constitution de la collectivité de Corse à compter du 1er janvier 2018 en lieu et place, notamment, du département de la Haute-Corse (articles L. 4421-1 et L. 4421-2 du code général des collectivités territoriales).
Par un mémoire enregistré le 23 avril 2018, la collectivité de Corse, représentée par
MeB..., a présenté des observations en réponse à cette mesure d'information. Elle conclut :
- à titre principal, au rejet de la requête ;
- à titre subsidiaire, à ce que sa condamnation soit limitée au coût de l'évacuation des seuls déblais provenant des travaux publics ;
- à ce que soit mise à la charge de la SCI Laetitia la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle indique qu'elle se substitue au département de la Haute-Corse.
Vu :
- l'ordonnance du 15 avril 2015 du président du tribunal administratif de Bastia ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Barthez,
- et les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
Sur le bien fondé du jugement :
1. Aux termes de l'article L. 4421-1 du code général des collectivités territoriales : " La collectivité de Corse constitue, à compter du 1er janvier 2018, une collectivité à statut particulier au sens de l'article 72 de la Constitution, en lieu et place de la collectivité territoriale de Corse et des départements de Corse-du-Sud et Haute-Corse ". Aux termes de l'article L. 4421-2 du même code : " La collectivité de Corse est substituée à la collectivité territoriale de Corse (...) et aux départements de Corse-du-Sud et de Haute-Corse dans tous leurs biens, droits et obligations (...) ". Eu égard à son caractère général, ces dispositions incluent les droits et obligations attachés aux actions juridictionnelles pendantes au 1er janvier 2018. Ainsi, la collectivité de Corse est substituée au département de la Haute-Corse dans les obligations en cause dans le présent litige.
En ce qui concerne le fondement de la responsabilité de la collectivité de Corse et de la SARL Trojani :
2. Il résulte de l'instruction que, lors des travaux d'aménagement de la route départementale n° 464 achevés au mois de mai 2002, la SCI Laetitia a permis à la SARL Trojani, aux droits de laquelle vient la société Azur TP, entrepreneur, d'entreposer les déblais, provenant de la rectification d'un virage et de la construction d'un mur de soutènement, sur une parcelle située à proximité et dont elle est propriétaire. Ces travaux, dont le département de la Haute-Corse était le maître d'ouvrage, exécutés dans un but d'utilité générale sont des travaux publics pour lesquels la SCI Laetitia, en raison de l'autorisation ainsi donnée, a la qualité de participant. Par suite, la responsabilité solidaire de la collectivité de Corse et de la société Azur TP est engagée sur le terrain de la faute à l'égard de la SCI Laetitia pour les dommages qu'elle aurait subis.
3. Ainsi que le soutient la société requérante, l'aide qu'elle a apportée a présenté un caractère bénévole. Cependant, eu égard à sa nature, elle n'a pas donné à la SCI Laetitia la qualité de collaborateur des services publics pouvant bénéficier d'un régime de responsabilité sans faute fondée sur le risque créé par l'activité de la puissance publique.
En ce qui concerne la faute :
4. Les travaux publics en litige ont fait l'objet d'un procès-verbal d'opérations préalables à la réception en présence de la SARL Trojani dans lequel le maître d'oeuvre constate notamment que les travaux et prestations prévus au marché ont été exécutés et que les installations du chantier ont été retirées. Ces travaux ont fait l'objet d'une réception sans réserve du département de la Haute-Corse le 7 octobre 2002 avec effet au 17 mai 2002.
5. Il résulte de l'instruction que l'autorisation donnée par la SCI Laetitia présentait un caractère provisoire valant pour la durée du chantier. En ne procédant pas à la mise en dépôt définitif des déblais, au demeurant prévue par les clauses du marché de travaux publics, la SARL Trojani a commis une faute et le département de la Haute-Corse, qui était informé de l'usage qui était fait du terrain appartenant à la requérante, est également fautif.
6. La collectivité de Corse et la société Azur TP sont donc responsables solidairement des dommages subis, de manière directe et certaine, par la SCI Laetitia en raison de ces fautes commises lors de l'exécution et de la réception des travaux publics.
En ce qui concerne la prescription :
7. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) ".
8. Il résulte de l'instruction que la SCI Laetitia a adressé des réclamations au département de la Haute-Corse portant sur le fait générateur de sa créance par courriers en date des 30 mai 2002, 23 juin 2003, 19 mars 2004, 2 février 2006, 2 juin 2008 et 4 mai 2009. Elle a saisi le 28 juillet 2010 le tribunal administratif de Bastia d'un référé tendant à ce que soit ordonnée une expertise et l'expert a rendu son rapport le 13 avril 2015. Par suite, le département de la Haute-Corse n'est pas fondé à soutenir que la créance au versement de laquelle la SCI Laetitia demande sa condamnation par une requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de Bastia le 28 juillet 2015 serait prescrite à son profit.
En ce qui concerne le montant de l'indemnisation :
9. Les déblais entreposés sur le terrain appartenant à la SCI Laetitia proviennent tant des travaux précédemment mentionnés de la route départementale n° 464 que d'autres origines, la SARL Trojani ayant continué à entreposer des gravats après le mois de mai 2002. Les travaux de déplacement et d'évacuation des seuls déblais procédant de ces travaux publics sont la conséquence directe et certaine des fautes précédemment mentionnées. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport du 13 avril 2015 de l'expert désigné par le président du tribunal administratif de Bastia, que le coût de tels travaux s'élève à la somme de 35 640 euros.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Laetitia est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande. Il y a donc lieu d'annuler les articles 2 à 6 de ce jugement et de condamner solidairement la collectivité de Corse et la société Azur TP à payer à la SCI Laetitia la somme de 35 640 euros. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre à la collectivité de Corse et à la société Azur TP de verser ces sommes dans le délai d'un mois.
En ce qui concerne les intérêts :
11. Lorsqu'ils ont été demandés et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine.
12. La requête enregistrée le 28 juillet 2010 au greffe du tribunal administratif de Bastia demandait au juge des référés seulement d'ordonner une expertise au contradictoire du département de la Haute-Corse et de la SARL Trojani afin de procéder à la constatation des désordres et de déterminer les travaux nécessaires pour y remédier. Elle ne demandait donc pas le paiement du principal. En l'absence de demande préalable, les intérêts moratoires courent à compter du 28 juillet 2015, jour de la saisine du tribunal administratif de Bastia d'une requête tendant à ce paiement. La SCI Laetitia a donc droit aux intérêts au taux légal de la somme de 35 640 euros à compter de cette date.
Sur les dépens :
13. Il y a lieu, en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative de mettre solidairement à la charge définitive de la collectivité de Corse et de la société Azur TP, parties perdantes en l'espèce, les frais de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de
6 282,08 euros par ordonnance du président du tribunal administratif de Bastia du 15 avril 2015.
Sur les frais liés au litige :
14. Il y a lieu, pour l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidairement de la collectivité de Corse et de la société Azur TP la somme de 2 000 euros à verser à la SCI Laetitia au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Les dispositions de cet article font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SCI Laetitia, qui n'est pas la partie tenue aux dépens dans la présente instance, quelque somme que ce soit à verser à la collectivité de Corse ou à la SMABTP au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Les articles 2 à 6 du jugement du tribunal administratif de Bastia du 9 juin 2016 sont annulés.
Article 2 : La collectivité de Corse et la société Azur TP sont condamnées solidairement à verser à la SCI Laetitia la somme de 35 640 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 28 juillet 2015.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Les frais de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 6 282,08 euros, sont mis à la charge solidairement de la collectivité de Corse et de la société Azur TP.
Article 5 : La collectivité de Corse et la société Azur TP verseront solidairement la somme de 2 000 euros à la SCI Laetitia en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Les conclusions de la collectivité de Corse et de la SMABTP tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Laetitia, à la collectivité de Corse, à Me C...D...en sa qualité de liquidateur de la société Azur TP et à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics.
Délibéré après l'audience du 4 mai 2018, où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président,
- M. Barthez, président assesseur,
- MmeE..., première conseillère.
Lu en audience publique le 17 mai 2018.
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N° 16MA03007