Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 8 août 2016, M. et MmeE..., agissant en leur nom et en leur qualité de représentants légaux de leur fils mineurA..., représentés par Me C..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 8 juillet 2016 ;
2°) de condamner la commune d'Argeliers à leur payer la somme de 20 194,86 euros en réparation des préjudices subis, et d'ordonner avant dire droit une expertise portant sur les préjudices de leur fils ;
3°) de mettre à la charge de la commune la somme de 4 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- la preuve de la chute du portail sur leur enfant est rapportée ;
- la commune n'a pas normalement entretenu l'ouvrage public ;
- la responsabilité de la commune pour carence dans l'exercice des pouvoirs de police du maire est engagée ;
- une expertise est nécessaire pour évaluer les préjudices subis par leur fils ;
- des dépenses de santé sont restées à leur charge ;
- ils ont subi un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence.
Par des mémoires, enregistrés le 14 octobre 2016 et le 2 novembre 2016, la Mutualité Sociale Agricole Grand Sud (MSA) demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures, de condamner la commune d'Argeliers à lui payer la somme provisoire de 9 404,38 euros en remboursement de ses débours, ainsi que les sommes de 1 047 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle est fondée à intervenir en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
- elle n'est pas opposée à ce qu'une expertise soit ordonnée.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 10 février 2017 et le 14 février 2017, la commune d'Argeliers conclut au rejet de la requête et des conclusions de la MSA et demande de mettre à la charge des requérants la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le contentieux n'a pas été lié ;
- la matérialité des faits n'étant pas établie, sa responsabilité pour défaut d'entretien normal ne peut être engagée ;
- la victime a commis une faute ;
- sa responsabilité pour faute ne saurait être engagée ;
- l'expertise demandée est inutile ;
- les prétentions indemnitaires sont surévaluées.
Par un mémoire en réplique, enregistré le 1er mars 2017, M. et Mme E...concluent aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens et soutiennent en outre que :
- le contentieux n'a pas à être lié en matière de travaux publics ;
- la commune n'oppose une fin de non recevoir tirée du défaut de liaison du contentieux qu'à titre subsidiaire ;
- leur enfant, qui était surveillé par sa mère, n'a commis aucune faute.
Les requérants ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 octobre 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duran-Gottschalk, rapporteure,
- et les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'engagement de la responsabilité de la commune pour défaut d'entretien normal :
1. Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction alors applicable : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée " ; que les requérants mettant en cause la responsabilité de la commune pour dommages de travaux publics, le contentieux n'avait pas à être lié par une demande préalable ; que la fin de non recevoir opposée par la commune doit être écartée dans cette mesure ;
2. Considérant qu'il résulte des procès-verbaux des auditions des témoins de l'accident établis par les gendarmes que, le 13 décembre 2014, le portail du jardin public dans lequel jouaitA..., alors âgé de six ans, a chuté sur la jambe de l'enfant ; qu'il ressort de ces mêmes auditions que le portail a été soulevé pour dégager l'enfant et replacé contre le mur ; que les gendarmes ont d'ailleurs constaté le jour même, après l'accident, que le portail n'était plus sur ses rails et que la butée était tordue ; que deux des témoins entendus par les services de gendarmerie ont mentionné qu'à leur arrivée au jardin public, le portail était hors de ses rails ; que le maire a lui-même déclaré aux gendarmes que cet ouvrage pouvait sortir de ses rails si on l'ouvrait ou le fermait fortement ; que compte tenu notamment de ces auditions, concordantes sur l'essentiel, mais également de la nature et de la gravité de la blessure constatée, une fracture du fémur, et des observations médicales effectuées - déformation du tiers inférieur de la cuisse à crosse antéro-externe et oedème du tiers inférieur de la cuisse associé à une hémarthrose - ainsi que du récit de l'accident tel qu'il a été fait immédiatement auprès de l'adjoint au maire arrivé sur place quelques minutes après l'incident, auprès des pompiers et des gendarmes, le lien de causalité entre le dommage et l'ouvrage doit être regardé comme établi ; que l'ensemble de ces éléments suffisant à démontrer la matérialité des faits et l'existence du lien de causalité entre l'ouvrage public et le dommage, la commune ne peut utilement se prévaloir ni de ce que les attestations ultérieures ne respecteraient par les règles de présentation formelle prévues par le code de procédure civile ni du classement sans suite de la plainte déposée par les parents à l'encontre du maire en l'absence de faute caractérisée nécessaire à l'engagement d'une action pénale ;
3. Considérant que la commune ne rapporte pas la preuve, dont la charge lui incombe, de l'entretien normal de l'ouvrage ; qu'il résulte au contraire de l'audition du maire par les services de la gendarmerie que l'ouvrage était défectueux ; que la faute de la victime n'est pas établie ;
4. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté leur demande d'engagement de la responsabilité de la commune pour défaut d'entretien normal ; que cette responsabilité doit être engagée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la responsabilité pour faute de la même collectivité ;
En ce qui concerne la demande d'expertise :
5. Considérant qu'aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision (...) " ;
6. Considérant que l'état du dossier ne permet pas à la cour de se prononcer sur les droits à réparation des requérants, y compris sur les chefs de préjudice qu'ils ont d'ores et déjà chiffrés ; que, dès lors, il y a lieu, avant de statuer sur la requête de M. et Mme E...et sur les conclusions présentées par la MSA, d'ordonner une expertise aux fins et dans les conditions précisées à l'article 2 du présent arrêt ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 8 juillet 2016 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : Il sera, avant de statuer sur le surplus des conclusions de la requête de M et Mme E..., procédé par un expert, désigné par le président de la cour, à une expertise avec mission pour l'expert de :
1°) se faire communiquer les documents médicaux utiles à sa mission, examinerA... E... et décrire son état actuel ;
2°) préciser dans quelle mesure l'état actuel de A...E...est imputable aux séquelles de l'accident dont il a été victime le 13 décembre 2014 ;
3°) décrire les interventions subies depuis la date de l'accident et les soins reçus ;
4°) fixer la date de consolidation des blessures ;
5°) décrire et évaluer les préjudices subis par A...E...en relation directe avec l'accident : notamment durée et taux de déficit fonctionnel temporaire total et partiel, souffrances, préjudice esthétique temporaire et définitif, taux de déficit fonctionnel permanent, préjudice d'agrément ;
- décrire et évaluer les préjudices des parents deA....
L'expert disposera des pouvoirs d'investigations les plus étendus. Il pourra entendre tous sachants, se faire communiquer tous documents et renseignements, faire toutes constatations ou vérifications propres à faciliter l'accomplissement de sa mission et éclairer la cour.
Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues aux articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président de la cour.
Article 4 : Préalablement à toute opération, l'expert prêtera serment dans les formes prévues à l'article R. 621-3 du code de justice administrative.
Article 5 : L'expert avertira les parties conformément aux dispositions de l'article R. 621-7 du code de justice administrative.
Article 6 : L'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'ordonnance le désignant. Des copies seront notifiées par l'expert aux parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. L'expert justifiera auprès de la cour de la date de réception de son rapport par les parties.
Article 7 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 8 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent jugement, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...E..., à Mme D...E..., à la Mutualité Sociale Agricole Grand Sud et à la commune d'Argeliers.
Délibéré après l'audience du 4 mai 2018, où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président de chambre,
- M. Barthez, président-assesseur,
- Mme Duran-Gottschalk, première conseillère.
Lu en audience publique, le 17 mai 2018.
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N° 16MA03242